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En 1911, Paris suffoquait déjà sous la canicule

By 1 juillet 2019Le mot du jour

En 1911, Paris suffoquait déjà sous la canicule

À la Belle époque, on ne parlait pas encore de « réchauffement climatique. » Mais pendant 70 jours de juillet à septembre 1911, la capitale ploie sous le soleil cuisant. Et perd des milliers de bébés.

Au début du XXe siècle, on n’avait pas encore coutume de dire que tout ce qui faisait fureur aux Etats-Unis franchirait tôt ou tard l’Atlantique. Et pourtant… Juste après avoir semé la mort en Amérique, une vague de chaleur écrasante déferle à son tour sur l’Europe de l’Ouest.En France, elle va prendre ses quartiers d’été en 1911 : 70 jours de canicule presque sans discontinuer pour une longue saison de cuisson.

Le mercure commence son ascension le 4 juillet, s’octroie un petit break entre les 16 et 18, avant de se remettre dans le rouge jusqu’au 31. Sous les toits en zinc de la capitale, la fournaise est devenue si insupportable que beaucoup préfèrent dormir dans la rue. Sur les boulevards brûlants, les Parisiens en canotiers ne s’attardent pas. Certains s’abritent à l’ombre des marronniers, où ils essuient leurs moustaches perlées de sueur.

Et que dire de ces pauvres dames en lourde robe, qui agitent frénétiquement leurs éventails. On en voit même se glisser furtivement dans les couloirs du nouveau métropolitain, en quête de fraîcheur salvatrice, quand les gamins préfèrent, eux, se jeter dans l’eau douteuse de la Seine. Paris brûle, mais la situation n’est pas plus réjouissante en province – 40 °C à Lyon et Bordeaux les 22 et 23 juillet – ou même à Londres.

Les journaux s’échauffent contre les « météorologistes »

« Lorsque le mois de juillet est chaud, le mois d’août est frais », se rassure-t-on en misant, faute de mieux, sur les poncifs. Août sera pire encore… Pendant quinze jours d’affilée, le thermomètre parisien refuse de descendre sous la barre des 30 °C ! « La chaleur bat nos murs, se répand sur le pavé de Paris ses éclaboussures de feu, dessèche les gosiers, brûle les crânes, et donne aux plus joyeux comme une envie de pleurer », décrit avec emphase le Figaro du 29 juillet.


Un chauffeur de taxi fait la sieste./Maurice-Louis Branger  

Les journaux commencent à s’échauffer contre les « météorologistes officiels », qui avaient annoncé un peu vite la fin du cauchemar : « Et v’lan, nous sommes bons pour une nouvelle vague de chaleur puisque ces messieurs – qui ne se sont jamais trompés, à condition qu’on prenne le contre-pied de leurs prédictions – nous font espérer de la fraîcheur », s’agace le 10 août une plume du Gil Blas (cité par le site Rétronews)

Le lendemain, « Les Annales politiques et littéraires » cherchent un peu plus haut le responsable. Après tout, pourquoi ne pas convoquer le ciel au tribunal ? « Faisons comparaître ce mois de juillet coupable d’excès de température, et interrogeons-le sévèrement », s’amuse la revue dominicale. Il n’y a bien que les viticulteurs pour se réjouir des raisins moins nombreux mais gorgés de soleil. Le Guide Hachette des vins accordera 19/20 aux crus de Bourgogne, de Côtes-Du-Rhône et d’Alsace.

Plus de 40 000 morts, surtout des bébés

Mais il y a beaucoup plus préoccupant : certains quartiers de la capitale n’ont plus d’eau. Les gazettes égrènent chaque jour la liste des victimes, fauchées par la chaleur ou ses conséquences. Le Dr Jacques Bertillon, chef de la statistique municipale, par ailleurs frère aîné d’Alphonse, le célèbre criminologue, tient les comptes morbides dans son « Bulletin hebdomadaire ». Du 23 au 29 juillet, puis du 13 au 19 août, la mortalité atteint des sommets, note le démographe. L’ennemi mortel, c’est la diarrhée, qui fait des ravages dans toute la France. Les plus savants parlent de « toxicoses caniculaires ».


Paris, le 9 août. Le mercure affiche des records historiques./bg/adoc-photos  

Au total, la canicule de 1911, qui s’étire jusqu’à la mi-septembre, fera 41 072 décès dans l’Hexagone (surcroît de mortalité observée en regard de la moyenne des trois dernières années). Une véritable hécatombe qui frappe pour un quart les personnes âgées. Quasiment toutes les autres victimes sont des bébés de moins de deux ans !

Parmi eux, les plus vulnérables sont les enfants abandonnés, et, de l’autre côté de l’échelle sociale, les petits placés en nourrice. Ils boivent en effet leur lait en biberon et cet été-là, une épidémie de fièvre aphteuse fait des ravages dans les cheptels bovins. « Il faudra marquer cette année d’une croix noire », consigne, dans son journal, un médecin de la Semaine inférieure.

Cette tragédie, matérialisée par une surmortalité infantile en hausse de 20 % ! – déclenche une prise de conscience collective. Quand la température baisse enfin le 14 septembre, le doute gagne cette « Belle époque » grisée par tant de progrès. Les pouvoirs publics réagiront aussitôt en menant une vaste politique de prévention à l’égard des bébés. Pour les vieux, il faudra attendre encore quelques décennies, avec la canicule de 2003…

En France d’autres étés meurtriers

En août, les méfaits causés par la chaleur faisaient la Une des journaux./Lee/Leemage

Si l’on sait que l’été 1911 a fait 40 000 victimes et la canicule d’août 2003 15 000 alors que celle, pourtant intense, de 1947, a peu tué, les précédentes vagues de chaleur historiques restent difficiles à évaluer, tant pour les températures que la mortalité. On sait en revanche, grâce aux travaux d’Emmanuel Le Roy-Ladurie, qu’un terrible coup de chaud en 1636 a emporté 500 000 sujets du roi Louis XIII.

Ces hécatombes s’expliquaient par des épidémies de dysenterie, l’eau – souvent infectée – venant à manquer. D’après sa monumentale « Histoire humaine et comparée du climat » en trois tomes (Fayard), les étés 1718-19 sont également restés dans les annales avec 700 000 décès enregistrés, une région parisienne transformée en Sahara et même l’apparition de nuées de sauterelles !

Le Parisien

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