Justice: l’impartialité ne se proclame pas, elle se prouve
Le Roux, Fillon… à quand l’affaire Macron?
Régis de Castelnau
est avocat.
Publié le 23 mars 2017 / Politique
Mots-clés : Bruno Le Roux, Emmanuel Macron, François Fillon, Justice, Parquet national financier
Bruno Le Roux vient de se faire épingler pour des faits qu’au groupe socialiste à l’Assemblée tout le monde connaissait parce que droite ou gauche, beaucoup de parlementaires faisaient à peu près la même chose. Démission express du ministre de l’Intérieur et ouverture au bout de 24 heures d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier (PNF).
Le Roux tombe, Fillon prend
« Coup dur pour Fillon » proclament alors sans barguigner les gazettes, parce que l’attitude « exemplaire » de Bruno Le Roux démissionnant, et l’ouverture d’une enquête préliminaire du PNF démontreraient que la gauche « fait le ménage chez elle » et que le PNF est magnifiquement impartial. On se permettra de remarquer que le PNF a quand même attendu 24 heures pour ouvrir une enquête préliminaire pour les emplois des enfants Le Roux, sachant qu’il ne pouvait pas faire autrement sans se déshonorer. Et l’après-midi même, histoire de revenir aux bonnes habitudes, violation du secret de l’instruction, pour annoncer à grand son de trompe « l’élargissement » de l’instruction Fillon à des incriminations ronflantes.
C’est qu’il y avait eu en début de semaine le débat télévisé des cinq « principaux candidats » à l’élection présidentielle. Duquel émergent deux constats : tout d’abord François Fillon connaît son affaire et donne l’impression de la stature, Emmanuel Macron ensuite, nous a fait une interprétation d’Agnan, le premier de classe à lunettes du Petit Nicolas. Ce qui n’a pas échappé à la presse étrangère qui fait des lanières de notre télévangéliste. Le combat pour la deuxième place, seule disponible, faisant rage, la presse française qui elle soutient Macron bec et ongles, a vu le danger et relancé l’offensive. À base de révélations métronomiques et d’incantations sur l’indépendance de la justice. Indépendante, peut-être, mais impartiale c’est quand même une autre histoire.
Concernant Fillon, il faut rappeler que l’enquête préliminaire a été ouverte à 11 heures le mercredi de la sortie du Canard enchaîné faisant état des emplois de Pénélope Fillon. Ce qui veut dire environ une heure après la prise de connaissance de l’information, compte tenu des horaires de travail généralement pratiqués. Premières perquisitions le lendemain, à l’Assemblée nationale, séparation des pouvoirs, connait pas. Premières auditions le vendredi, poursuivies au début de la semaine et transmission toutes affaires cessantes au journal Le Monde des procès-verbaux soumis au secret de l’enquête. Toutes choses qui établissent que le dossier était prêt déjà depuis un moment. Il y a semble-t-il quelques horreurs procédurales dans le dossier, la Cour de cassation aura à l’apprécier d’ici deux ou trois ans…
Ce talentueux Monsieur Macron…
Autre aspect judiciaire de la contre-offensive de la semaine, « l’élargissement de l’instruction » Fillon à tout un tas d’incriminations épouvantables. « Escroquerie aggravée, faux et usage de faux ». Aggravée hein, l’escroquerie, faut pas croire, en attendant « la bande organisée ». Pour le buzz c’est excellent. On se rappelle celles qui avaient concerné DSK et Éric Woerth, tout aussi ronflantes avec pourtant le résultat final que l’on connaît. Il existe une évidente connivence entre le PNF et certains magistrats du pôle financier qui peuvent ainsi solliciter des réquisitoires supplétifs qui leurs sont accordés dans les 10 minutes. L’information arrivant dans les rédactions amies dans le même temps.
Alors que jusqu’à présent le même PNF refuse obstinément d’enquêter sur une collection de faits troublants concernant Emmanuel Macron. Sur la question du délit de favoritisme commis par Business France, reconnu par l’agence, et signalé comme tel par l’Inspection générale des Finances (!), il aurait peut-être été intéressant de savoir quel avait été le rôle de la hiérarchie et en particulier de Macron dans le choix de ne pas soumettre l’achat de la prestation de 400 000 € à une mise en concurrence. Il y a pire, il faudrait peut-être enquêter aussi pour savoir si cette dépense relevait bien des attributions du ministre, ou si c’était plutôt une opération de promotion du futur candidat. Dans ce cas-là, non seulement délit de favoritisme, mais également ce que l’on appelle un « don interdit » de personnes publiques. Il a fallu une rébellion du parquet du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris qui lui, a décidé de lancer une enquête. Cela fait un peu désordre non ?
Il y a ensuite toutes les histoires de patrimoine évaporé, de déclarations approximatives à la Haute autorité pour la transparence et au fisc pour l’ISF, d’utilisation abusive de frais de bouche au ministère, de financement obscur de la campagne, toutes choses qu’il serait pourtant intéressant d’éclaircir. Peut-être d’ailleurs pour mettre Emmanuel Macron hors de cause. Mais là aussi silence obstiné du PNF, pour lequel la célérité n’est applicable qu’à François Fillon.
Trois affaires étranges…
Mais, hors de la mansuétude pour le télévangéliste, il y a d’autres choses qui amènent à légèrement lever les sourcils lorsqu’on parle de l’impartialité du parquet en général et du PNF en particulier, ce sont trois affaires étranges :
– L’affaire Lamdaoui, factotum de François Hollande pendant sa traversée du désert et après, impliqué dans d’obscures affaires d’escroqueries. Celles-ci auraient justifié une instruction, mais le parquet l’a jugée inutile. Citation directe en correctionnelle sous la seule responsabilité de celui-ci, ou le tribunal n’a pu que constater que la procédure était complètement vérolée et l’a donc annulée. Quelle surprise ! Et depuis, ça continue… même Libération trouve ça curieux.
– L’affaire Arif ensuite. Kader Arif, alors ministre des anciens combattants, a été mis en examen il y a bientôt trois ans. Flottait autour de lui et de ses frères un parfum d’arrangements à propos du financement de la campagne électorale de 2012 de François Hollande. Pas comme pour Bygmalion quand même ? On ne saura pas, pour l’instant c’est le château de la Belle au bois dormant.
– L’affaire Plenel, enfin. Le Canard enchaîné toujours lui, avait raconté dans une de ses éditions, les démarches entreprises par des membres du cabinet de François Hollande à l’Élysée auprès du ministère du Budget pour faire sauter le redressement 4 millions d’euros infligé à Mediapart. Ces pressions stupéfiantes caractérisaient un « trafic d’influence » et une tentative de « concussion », infractions graves issues du chapitre des «atteintes à la probité» du Code Pénal. Il fallut circuler, il n’y avait rien à voir.
Emmanuel Macron, produit lancé comme une lessive a repris à son compte la publicité OMO brocardée en son temps par Coluche : « OMO lave plus blanc que blanc ». Au débat sur TF1 le télévangéliste nous a asséné qu’avec lui « la justice serait plus indépendante qu’indépendante ». Cela n’est pas très rassurant lorsque l’on voit les largesses dont il semble bénéficier alors que ses adversaires font l’objet de bombardements incessants. Indépendance, indépendance, indépendance l’invocation permanente de ce mantra ne rime à rien. Ce qui compte c’est que la justice soit impartiale. C’est son devoir essentiel. Et cette impartialité, elle ne s’affirme pas, elle se prouve. Pour l’instant, désolé mais on est loin du compte.