Monsieur le président, nous nous permettons de revenir sur le discours que vous avez prononcé à l’occasion de la commémoration de la libération d’Auschwitz. Nous ne pouvons que nous féliciter de la teneur de vos propos et de votre remarquable détermination à condamner sans réserve l’antisémitisme, en pleine résurgence hélas !
En revanche, vous vous adressez à nous par : « Vous, Français de confession juive », ce qui pourrait laisser croire que vous vous adressez uniquement aux Juifs croyants. Français (citoyens) juifs ( peuple, ethnie) paraît suffisant. Que le Juif soit croyant, agnostique ou athée relève de la sphère privée.
C’est Clermont-Tonnerre, qui, par sa célèbre exclamation lors du débat sur l’émancipation des Juifs – « Tout pour les Juifs comme citoyens, rien pour les Juifs comme nation ! » – avait cru trouver la formule magique qui pouvait faire l’unanimité. Désormais, nous n’étions plus désignés comme des Juifs, mais comme des « Français de confession israélite », en excluant toute connotation de peuple ou de nation pour ne retenir que celle de « confession ».
C’était une dénomination politiquement très habile et très utile à l’époque, mais néanmoins malheureuse. Car un Juif non croyant reste évidemment un Juif. Pour preuve, le peuple juif est né et s’est développé pendant près de trois siècles avant d’adopter la religion de Moïse révélée sur le mont Sinaï. Les Juifs ont cette double dimension : ils sont à la fois un peuple ET une religion.
Ceci n’est pas un détail mais un point capital.
En effet, dans l’histoire, certains ont haï les Juifs à cause de leur religion : c’est ce que l’on appela durant des siècles l’antijudaïsme chrétien. Selon ce courant et en toute logique, si vous vous convertissiez au christianisme, vous n’étiez plus du tout un Juif. La démarche pouvait souvent être sincère mais pas toujours, loin de là. L’Inquisition harcelait les convertis en les dénommant « marranes » parce qu’ils mangeaient du cochon, racine de ce mot, et en les accusant de jouer la comédie. Pour d’autres, la religion ne changeait rien au statut, on restait, physiquement si l’on peut dire, des Juifs. On sait comment Georges Bidault, président du Conseil, ironisa lors de la conversion de Maurice Shumann : « Eh bien, aujourd’hui il y a un chrétien de plus, mais il n’y a pas un Juif de moins ».
À côté de l’antijudaïsme, il y eut l’antisémitisme, mot inventé par un Allemand en 1860 pour distinguer la race de la religion. On connaît l’exploitation faite par Hitler de cette nouvelle approche : pour le racisme nazi, ce n’était pas la religion qui faisait le Juif, mais les gènes et les chromosomes.
Aujourd’hui, les antisémites arabo-musulmans et les occidentaux qui les soutiennent ne s’attaquent pas à la seule confession mais au peuple et à sa foi sans distinction, aux Juifs dans leur ensemble, englobés en particulier dans Israël. En employant le terme mixte de confession juive on ne sait pas si vous vous adressez aux seuls Juifs religieux ou à tous les Juifs de France.
Quoi qu’il en soit, au Consistoire de France, les Juifs n’utilisent désormais plus la formule désuète et inappropriée d’« israélite de confession juive ». Or « Français de confession juive » souffre de la même ambiguïté. Il est dangereux de trier les Juifs entre religieux et non religieux car l’antisémitisme ne fait pas de distinction.
En effet, après un débat que j’avais engagé à l’époque, au titre de secrétaire du Consistoire central de France, le mot israélite a été supprimé de la dénomination du Consistoire qui est devenu l’« Union des communautés juives de France ». Ce fut assez difficile, car nombre de membres de la génération précédente étaient restés attachés à l’expression « israélite de confession juive » que nous avons fini par supprimer.
Nous n’avons réussi dans cette entreprise à l’époque que grâce au tout nouveau grand rabbin de France, Joseph Sitruk, qui comprit immédiatement l’importance du changement que je préconisais. Avec son autorité, la modification fut acceptée séance tenante.
C’est pourquoi, Monsieur le président, en définissant les Juifs de « Français de confession juive », vous effacez sans le vouloir leur existence en tant que peuple, en tant que communauté spécifique. Croyez vous sincèrement que les antisémites aujourd’hui distinguent entre les pratiquants et les nationalistes ? Israël n’est pas un Etat de religion juive mais l’Etat des Juifs, croyants ou pas. Sinon les Arabo-musulmans ne devraient avoir aucune hostilité pour l’Etat laïc juif.. Les terroristes tuent les Juifs comme l’ont fait les nazis, en tant que peuple qu’ils soient orthodoxes, traditionalistes, sceptiques ou athées. Et les Palestiniens anti-israéliens refusent les Juifs qu’ils soient pratiquants ou pas. Ils se font sauter aussi bien dans une pizzeria et dans un dancing que dans une synagogue ou dans la rue lorsque les Juifs portent une kippa ou des tzitzits.
D’ailleurs, précisément à Auschwitz, d’où vous vous êtes exprimé, tous les Juifs déshumanisés, martyrisés, gazés sont morts, tous, absolument tous, non en raison de leur confession, mais en tant que membres d’un même peuple.
En vous remerciant de votre combat contre l’antisémitisme, je vous prie de croire, Monsieur le président, en notre haute considération.
Robert Cohen-Tanugi
(Pour mémoire : ancien président de la Communauté juive de Grenoble, ancien vice-président du Consistoire de France, ancien vice-président du Crif)
Merci, cher Monsieur, pour la transmission de cette lettre ouverte à M. Hollande citée en objet.
Après lecture et relecture attentives, je m’interroge pour savoir s’il fallait vraiment s’attacher à cette subtilité de la langue française, à ce détail (et non « point de détail » d’un certain infâme personnage) ? Croyez-vous vraiment que cela a tant d’importance pour le lui faire remarquer ?
Personnellement je ne le pense pas. Mais il est vrai que je ne possède que peu d’instruction n’ayant pratiquement pas fréquenté l’école dans ma jeunesse du fait des lois scélérates de Vichy strictement appliquées dans mon Maroc natal.
A mon gré, M. Hollande est très vraisemblablement, et même sûrementd’ailleurs, sincère, très sincère même. Aucun de ses prédécesseurs de la Vème République a dit autant de bien de nous Juifs et nous a tant respectés et sûrement pas son dernier prédécesseur.
Il faut se souvenir, et en tout cas moi je m’en souviens, que M. Sarkozy ne se contenta que d’envoyer M. de Villepin (22 juillet 2005) et M. Fillon (22 juillet 2007) à la Commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’ et ne se déplaça jamais.
Il faut se souvenir, et en tout cas moi je m’en souviens, que lors de la Commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’ du 22 juillet 2012, M. Hollande prononça un discours plus fort à mon gré que le très courageux discours de M. Chirac du 16 juillet 1995, M. Chirac qui, le tout premier, reconnut la responsabilité de la France dans cette ignominie en déclarant « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable » (j’y étais). Oui, le 22 juillet 2012, il (M. Hollande) fut clair et net « La vérité, c’est que le crime fut commis en France par la France » (j’y étais également).
Il faut se souvenir, et en tout cas moi je m’en souviens, que M. Hollande inaugura le 21 septembre 2012, le Mémorial de la Shoah à Drancy (j’y étais là encore). Avant lui, à ma connaissance, aucun président de la République ne se rendit dans cette commune pourtant située à moins d’une demie heure de Paris, cette commune dans laquelle se trouvait ce camp de la honte, dernière étape avant le départ pour le néant pour 76.000 Juifs, hommes, femmes, vieillards, enfants et bébés dont très peu revinrent. Pourquoi ?
Alors, de grâce, cher Monsieur, laissons de côté les petites subtilités de la langue française, même si elles vous semblent importantes, pour n’en retenir que l’essentiel que je pense avoir, peut être maladroitement, résumées ci-dessus.
Autres choses, entre autres, si vous me le permettez :
1 – J’ignorais totalement la réflexion pour le moins déplacée, voire idiote, de M. G. Bidault glosant sur la conversion de M. M. Shuman. Merci de me l’avoir appris, ça me rassure, je ne mourrai ainsi pas idiot.
2 – Par principe et en principe, je n’écris jamais le nom du monstre hitler ni ceux des autres criminels de guerre ayant assassiné 6 millions des miens dont 1 million et demi d’Enfants avec une majuscule, considérant que ce ne sont plus pour moi des noms propres.
3 – Par principe et en principe, je n’utilise jamais le mot « nazi » et écrirais « le racisme de beaucoup allemands et de leurs complices ». Pourquoi ? Parce que je crains que quelques générations des gens ne sauront plus de quel pays surgit la « bête immonde » qui assassina 6 millions de Juifs dont 1 million et demi d’Enfants.
4 – Ces monstres, ces assassins ne sont pas des humains. Je me souviendrai toujours que le Professeur V. Jankélévitch, pourtant germanophile et germanophone, déclara en substance, découvrant l’étendue de la Shoah « Ce peuple débonnaire transformé en peuple de chiens enragés ». Lorsqu’on lui fit la remarque que ce n’était pas bien de comparer des hommes à des chiens, il reconnut qu’il avait eu tort et présenta ses excuses aux…………chiens !!!
Enfin et par contre, je regrette profondément l’utilisation par M. M. Valls, cet homme courageux et intelligent, des mots « apartheid » et « ghetto ».
Comme ils auraient été heureux les Noirs d’Afrique du Sud de souffrir d’un tel « apartheid » !
Comme ils auraient été heureux les Juifs de Varsovie, Lodz et autres ghettos d’Europe dans lesquels ils furent forcés de vivre par des allemands et leurs complices, ou plutôt de mourir d’ailleurs, s’ils avaient été dans les conditions dans lesquelles vivent les habitants de certaines banlieues !
Il avait bien raison Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ! »
J’arrête là ma réaction et, en tout état de cause, encore merci.
Avec toute ma sympathie. Chavoua tov.
Charles Etienne NEPHTALI