Israël doit choisir: ne pas se rallier aux sanctions occidentales ou mettre en péril ses liens avec Moscou
Boris Nemtsov, le chef de l’opposition libérale russe abattu sans pitié sur un pont près du Kremlin cette semaine, restera à jamais comme un martyr pour la défense de la liberté. Depuis des siècles, les esprits les plus doués et brillants de ce vaste pays du Nord ont expérimenté l’une de ces trois situations horribles: l’exil, la prison ou une balle dans la tête.
Les poètes Alexander Pouchkine et Mikhail Lermontov ont été assassinés dans un duel à la cour tsariste. Les poètes Nikolay Gumilev et Ossip Mandelstam ont été assassinés tués par les services de sécurité communistes. Comme Nemtsov, ils étaient de grands hommes punis pour leur indépendance de pensée et pour avoir dit la vérité au pouvoir.
Mon ami Boris Nemtsov en a payé de sa vie. L’année dernière, je suis tombé sur lui et sa petite amie mannequin, Anna, sur une berge ensoleillée de Tel Aviv. Lors du déjeuner qui a suivi, je l’ai supplié de ne pas revenir en arrière: il venait juste d’être déclaré “traître national”, des affiches de lui circulaient partout à Moscou et sur internet.
Tout comme à l’époque de Staline où les « ennemis du peuple » étaient condamnés à mort ou envoyés au Goulag pour un long séjour, je lui ai rappelé que les étiquettes d’aujourd’hui, y compris celle d’ »agent étranger », signifient l’envoi en prison, ou pire.
La conversation m’a rappelé l’avertissement que j’avais émis à une imminente figure russe, Mikhail Khodorkovski, avant son arrestation en 2003 suivie d’une peine d’emprisonnement de 10 ans.
Dans une interview publiée le 10 février, Nemtsov a cité sa mère juive de 87 ans, Dina Eidman. « Arrête de critiquer Poutine”, l’avait mit en garde l’ancienne pédiatre, “il pourrait te tuer ».
Les enfants du monde entier devraient toujours écouter leur maman juive.
Au cours des années, les assassinats politiques m’ont fait perdre un grand nombre d’amis et de relations professionnelles: c’est le prix à payer pour s’être trop approché de la classe politique dans l’une des régions les plus brutales du monde.
Parmi eux: les députés de la Douma russe Galina Starovoytova et Sergey Yushenkov, les journalistes d’investigation Paul Klebnikoff, Yuri Chtchekotchikhine et Anna Politkovskaïa, le Premier ministre de Géorgie Zourab Jvania, le Premier ministre serbe Goran Djinjic, et bien d’autres.
Nemtsov était un symbole de la liberté, de la société ouverte, des marchés libres et de la paix, que quelqu’un voulait étouffer. Boris était une vraie peste pour Poutine: il a enquêté sur la corruption aux Jeux olympiques de Sotchi et a travaillé sur un rapport documentant l’implication militaire russe en Ukraine.
Cependant, la marée montante du nationalisme meurtrier ainsi que l’autoritarisme n’en seront pas affectés. Après l’assassinat, on a pu lire sur les réseaux sociaux russes des réactions telles que: « Un Kike (Juïf, ndlr) de moins. Dieu-Staline-Poutine! «
En effet, les trois chaînes de télévision nationales ont boycotté Nemtsov, tandis que son parti se fait systématiquement déranger durant ses réunions. La Douma a bloqué l’aide occidentale à la plupart des organisations non gouvernementales, qui ont été étiquetées «agents étrangers». Tout homme d’affaire qui donne de l’argent pour soutenir les libéraux peut s’attendre à une visite de la police et du fisc, ou pire.
La guerre en Ukraine, à laquelle Boris s’opposait fortement, a entraîné des sanctions internationales qui, additionnées aux bas prix du pétrole, ont porté un coup dur à l’économie russe.
Le gouvernement s’est empressé de semer plusieurs fausses pistes pour protéger les vrais coupables. Des sources gouvernementales ont simultanément affirmé que Nemtsov avait été assassiné parce qu’il avait obligé sa petite amie à se faire avorter ou encore parce qu’il avait soutenu les manifestations pour Charlie Hebdo alors que de nombreux Musulmans russes en Tchétchénie et ailleurs s’y étaient opposés. Il a été tué pour faire dérailler la trêve en Ukraine? Non, « il a été tué par les services de sécurité occidentaux, par ‘provocation’ pour déstabiliser la Russie ».
En fait, l’assassinat d’un adversaire politique de premier plan à la veille d’une grande manifestation anti-guerre est un sérieux acte d’intimidation. La Russie, jadis gouvernée par la corruption, les urnes truquées et une propagande anti-occidentale à vous donner la nausée, est maintenant dirigée par les armes d’un assassin et par les incarcérations illégales.
Israël va bientôt faire face à un moment de vérité. Jérusalem peut-elle continuer à être à contre courant des puissances occidentales? Soit Israël ne se rallie pas aux sanctions, provoquant la colère de Washington et Bruxelles, soit il rejoint les boycotts et met en danger ses liens culturels, commerciaux et touristiques avec Moscou.
Alors que la répression bat son plein en Russie, que la guerre avec l’Ukraine s’éternise et que la situation économique continue de se détériorer, les perspectives d’immigration en Israël (aliyah) en provenance des anciennes républiques soviétiques semblent des plus prometteuses.
Les hommes d’affaires qui n’opteront pas pour les États-Unis, le Canada ou l’Australie pourraient choisir Israël, au moment où l’Europe semble de moins en moins attrayante en raison de la montée de l’antisémitisme.
Il est dommage que Boris Nemtsov n’ait pas écouté mes avertissements et ne soit pas devenu « oleh hadash » (nouvel immigrant en Israël, ndlr). J’espère que mes autres amis de Russie le deviendront.
Le Dr. Ariel Cohen est consultant en risques politiques internationaux et directeur du Centre pour l’Energie, les ressources naturelles et la géopolitique à l’Institut pour l’analyse de la sécurité internationale (www.arielcohen.com)