Indépendance : la comète Lucy Aharish fait des flammes
Les extrémistes n’éteindront pas la flamme de Lucy
La journaliste arabe israélienne a reçu une des plus hautes distinctions faite par Israël pour Yom Haatsmaut
Chaque année, l’Etat d’Israël débute les célébrations du jour de son indépendance par une cérémonie très officielle sur le Mont Herzl à Jérusalem, dont le moment fort réside dans l’allumage de douze torches symbolisant les douze tribus d’Israël. Chaque année, douze citoyens israéliens sont ainsi rigoureusement sélectionnés par un grand jury pour recevoir une des plus hautes distinctions faite par Israël: porter un des flambeaux.
La journaliste – et collègue – arabe israélienne Lucy Aharish fait partie des douze personnes sélectionnées pour la cérémonie de cette année, dont le thème n’est autre que « les citoyens israéliens révolutionnaires ».
« Ma plus grande victoire »
Les dernières élections législatives israéliennes ont pourtant laissé un gout amer chez Lucy Aharish qui avait, visiblement très émue, réagi en direct aux propos controversés du Premier ministre Benyamin Netanyahou.
Quelques heures avant la fermeture des bureaux de vote, Netanyahou avait lancé un appel aux électeurs de droite à aller voter. « Le pouvoir de la droite est en danger (…) les électeurs arabes arrivent en masse aux urnes (…) les associations de gauche les amènent en autobus », avait-il déclaré dans une vidéo.
« Participer à la cérémonie de Yom Haatsmaut (Jour de l’Indépendance en hébreu, NDLR) est ma plus grande victoire », a déclaré Aharish à i24news. « Je veux croire que Netanyahou ne pensait pas ce qu’il disait, et pour moi, allumer cette flamme devant lui est une façon de lui dire tu as perdu, les Arabes sont là, nous faisons partie de la réalité de ce pays comme les noirs aux Etats-Unis ou les Juifs en France », ajoute-t-elle.
Mais le chemin reste pavé d’embûches pour cette jeune femme de 33 ans qui se dit Israélienne, Arabe et Musulmane.
En début de semaine, l’organisation d’extrême droite Lehava (dont l’acronyme signifie en hébreu « prévenir l’assimilation en Terre sainte ») a demandé l’autorisation à la police d’organiser une manifestation contre la participation de la journaliste à la cérémonie. Selon le dirigeant de Lehava, Benzi Gopstein, Aharish est « une antisioniste qui n’est pas fidèle à l’Etat ».
« Il est tout à fait regrettable que de toutes les personnes possibles [Lucy] Aharish ait été choisie pour l’allumage d’une torche », a déclaré, Gopstein. « Ils ont choisi une femme pour qui l’étoile de David ne représente pas un drapeau, pour qui Tsahal ne représente pas une armée et qui n’a pas une âme vielle de 2000 ans qui vibre (en référence aux paroles de l’hymne nationale israélienne, NDLR).
Aharish n’a pas souhaité commenter les propos de Gopstein.
« Je ne veux pas perdre de temps à répondre aux gens remplis de haine », raconte encore Aharish ài24news. « Je viens d’apprendre que des Arabes ont également appelé à manifester contre moi », poursuit-elle.
« Certains Arabes me voient comme une traître, alors que d’autres sont fiers de moi (…) comme les Juifs, pas tous les Arabes n’ont la même façon de penser », dit-elle encore.
« Je sais qu’il y a un future en Israël », finit par affirmer Aharish. « Le chemin n’est pas facile mais je ne connais pas la signification du mot renoncer ».
« Yiddish-mame »
« Personne ne m’utilise », ajoute-t-elle. « Je ne fais pas les choses pour être aimée ou approuvée. Je le fais parce que j’en ai envie, parce que cela me semble juste », affirme encore la jeune femme. « Les personnes qui pensent qu’Israël ou les Juifs m’utilisent sont les mêmes qui se complaisent dans leur rôle de victime ».
Lucy Aharish est née de parents musulmans originaires de Nazareth (nord d’Israël). Alors âgée de six ans, elle est blessée par un cocktail Molotov lancé par un Palestinien contre la voiture dans laquelle elle se trouvait avec sa famille. En grandissant, elle fut également la seule étudiante arabe de son école et a souvent été la cible d’attaques racistes.
« Ma famille a toujours été là pour moi et m’a presque toujours soutenue, poursuit-elle. « Je suis le produit de leur éducation, je suis qui je suis grâce à eux », dit-elle encore.
Presque toujours, finit-elle par expliquer après un moment de silence, car finalement « mes parents ont 65 ans, ils n’approuvent pas toujours ma façon de vivre (…) la seule chose que ma mère voudrait c’est que je me marie, que j’ai des enfants et que je vive près d’elle (…) une vraie Yiddish mame », assure-t-elle en rigolant.
i24news: le « laboratoire »
Lucy Aharish présente le Grand Direct sur la chaîne anglophone d’i24news tous les soirs à partir de 20h. Elle collabore quotidiennement avec une cinquantaine d’autres journalistes venant de tous les horizons : Juifs, Musulmans ou Chrétiens.
Le terme de « bulle », souvent employé pour décrire Tel Aviv, où se trouvent les studios de la chaîne internationale également cataloguée ainsi « exaspère » Aharish.
« La façon dont nous travaillons dans cette newsroom est bien réelle, je n’aime pas ce terme de bulle (…) ce que nous y faisons tous les jours, c’est ça la réalité. Certes, on crie, on se dispute, nous ne sommes pas d’accord sur tout mais nous travaillons ensemble pour informer les gens et à la fin, nous mangeons à la même table », déclare-t-elle.
« Le problème en Israël c’est que la majorité est silencieuse. Seuls les extrémistes ont la voix qui porte. C’est bien de penser différemment mais ça ne devrait pas nous empêcher de vivre ensemble ».
« Oui, i24news est une sorte de laboratoire, mais l’expérience est réussie », conclue Lucy Aharish.
Julie Eltes est journaliste à i24news. Vous pouvez la suivre sur twitter: @julie_elt