Guy Millière – Le régime de Bachar al Assad en Syrie paraît soudain en assez mauvaise posture. La prise récente de Palmyre et de Deir Ez Zor par l’Etat Islamique pourrait, à relativement court terme, ouvrir à celui-ci la route de Damas.
Les attaques menées par d’autres islamistes, regroupés autour de Jabhat al Nosra ont abouti à la chute d’Idleb et de la base militaire de Mastouma. Le port de Lattaquié est à moins de deux heures de route d’Idleb. Damas est à un peu plus de deux cent kilomètres de Palmyre.
La situation dans le pays est telle qu’il n’y a pas un camp qu’il soit possible pour le monde occidental de soutenir, sinon celui qui semblerait le moins pire, et il est difficile de voir en la circonstance quel camp est le moins pire.
Présenter Assad comme un dictateur à sauver est oublier un peu vite les dizaines de milliers de morts à porter à son actif, dans le cadre d’une tuerie qui a commencé dès les premiers soulèvements : Assad, certes, préserve la vie des Chrétiens, ce qui fait une différence, mais le rend à peine plus fréquentable.
L’Etat Islamique est incontestablement abject et incarne le retour à l’islam strict des premiers siècles, avec son cortège de destructions, de massacres, de décapitations au couteau, de viols, et de recours à l’esclavage.
Jabhat al Nosra vaut à peine mieux que l’Etat Islamique. Je n’ai pas cité l’Armée Syrienne Libre parce qu’elle ne compte plus guère.
La seule issue qui risque de rester assez bientôt au régime Assad serait un repli dans les zones alaouites, autour de Lattaquié, précisément. L’armée du régime n’a, à l’évidence, plus les moyens humains et matériels de tenir un territoire vaste, et garder Damas lui sera très difficile.
Les conséquences d’un abandon de Damas par Assad seraient, certes, immenses : il cesserait de pouvoir en quoi que ce soit se présenter comme le dictateur en charge du pays. Les conséquences seraient graves aussi pour les alliés d’Assad : l’armée syrienne est aujourd’hui composée assez largement de gens venus du Hezbollah libanais, et un abandon de Damas serait une défaite pour, outre l’armée syrienne, le Hezbollah lui-même, qui pourrait en subir le contrecoup, et en ressentir les conséquences jusqu‘à Beyrouth. Il ne fait guère de doute que l’Etat Islamique vise Damas, et à Beyrouth dans sa ligne de mire.
Jabhat al Nosra et les groupes islamistes qui l’entourent reçoivent présentement un soutien de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe, qui veulent tout à la fois tenter d’endiguer l’Etat Islamique, qui commence à faire des attentats chez les Saoud, et infliger une défaite à la Syrie, car ce serait aussi une défaite pour le Hezbollah et l’Iran.
Les Etats-Unis auraient eu et auraient encore les moyens d’intervenir, et ils ne feront très vraisemblablement rien : nous sommes dans les années Obama, qui l’ignore ?
Quelle que soit la suite, cela ressemble au commencement d’une fin de partie pour le régime Assad. Le monde occidental ne peut, vraiment, soutenir personne, non. Seuls, de toute façon, les Etats-Unis auraient eu et auraient encore les moyens d’intervenir, et ils ne feront très vraisemblablement rien : nous sommes dans les années Obama, qui l’ignore ? Les Européens n’ont aucun moyen d’intervenir de façon efficace.
L’Iran, qui soutient Assad et le Hezbollah, semble atteindre les limites de ses capacités de soutien, et est dans un bras de fer sanglant avec la Turquie, d’une part, qui soutient massivement l’Etat Islamique, et l’Arabie Saoudite et les monarchies du Golfe d’autre part, qui soutiennent Jabhat al Nosra. L’Iran paraît, soudain, sur la défensive, quand bien même il est parvenu à la sanctuarisation nucléaire sur son propre territoire. La Russie de Poutine, qui soutenait Assad, semble changer ses plans.
En parallèle, des immigrants clandestins venus de Syrie s’ajoutent aux autres immigrants clandestins et rejoignent l’Europe.
Ceux qui se réjouissaient à l’idée de voir émerger un monde post-américain en novembre 2008 ont, s’ils ajoutent au chaos syrien le chaos en Irak, le chaos en Libye, la guerre au Yemen, et les flux de clandestins arrivant en Europe, toutes les raisons de se réjouir : j’espère pour eux que c’est ce qu’ils font.
Je n’ai cessé de dire qu’un monde sans l’hégémonie américaine serait un monde où la barbarie gagnerait.
Nous entrons dans ce monde au Proche-Orient, et ce n’est vraisemblablement qu’un début.
Les Européens pourraient penser qu’ils sont, juste, spectateurs : ils risquent fort d’avoir à constater toujours davantage que le spectacle se jouera bientôt sur leur propre sol.
Guy Millière
Adapté d’un article publié sur les4vérités.com