Qu’est-ce que les informations recueillies par les renseignements israéliens (Mossad) révèlent sur les pourparlers avec l’Iran?
Au fil des années de négociations, un lâchage de concession après concession de la part de l’Occident.
Le 26 novembre 2013, trois jours après la signature de l’accord intérimaire (JPOA) entre les puissances et l’Iran, la délégation iranienne est retournée au pays pour faire son rapport à son gouvernement. Selon les informations obtenues par les renseignements israéliens (Mossad), tous à Téhéran partageaient, alors, un sentiment de grande satisfaction au sujet de cet accord et une grande confiance qu’au bout du compte l’Iran parviendrait à convaincre l’Occident de signer un accord final entièrement favorable à l’Iran. Cet accord final, signé à Vienne la semaine dernière, semble bien confirmer une telle confiance à l’époque. Les renseignements (Mossad) révèlent que les délégués iraniens ont raconté à leurs supérieurs, dont l’un appartenait au bureau du Guide Suprême l’Ayatollah Ali Khamenei, que « notre réussite la plus significative » dans ces négociations, c’est le consentement américain à la poursuite de l’enrichissement d’uranium sur le territoire iranien.
Cela fait sens. La reconnaissance par l’Occident du droit de l’Iran à réaliser la totalité du cycle d’enrichissement nucléaire – ou enrichissement d’uranium – a constitué une volte-face complète, par rapport à la position déclarée de l’Amérique, avant et au cours des négociations. Des responsables américains et européens de haut-rang qui se sont rendus en Israël immédiatement après les négociations avec l’Iran commencées à la mi-2013, ont déclaré, selon les protocoles de ces réunions, qu’à cause des violations répétées de l’Iran du Traité de Non-Prolifération Nucléaire, « Notre objectif est que, dans l’accord final, il n’y aura pas d’enrichissement du tout », sur le territoire iranien. Plus tard, dans un discours devant le Forum Saban, en décembre 2013,le Président Barack Obama a réitéré que face au comportement de l’Iran, les Etats-Unis ne reconnaîtraient pas le droit de l’Iran à l’enrichissement de matériel fissile sur son propre sol.
En février 2014, le premier signe d’effondrement de cet engagement était évident, dès que la cheffe de la délégation américaine dans les négociations avec l’Irazn, Wendy Sherman, a déclaré aux responsables israéliens qu’alors que les Etats-Unis aieraient bien que l’Iran cesse globalement d’enrichir de l’uranium, ce n’était pas « une attente réaliste ». Les dirigeants du Ministère iranien des affaires étrangères, au cours des rencontres à Téhéran qui ont fait suite à cet accord JPOA, comptaient bien sur le fait qu’à partir du moment où le principe d’un droit iranien à enrichir l’uranium était établi, il servirait de fondement à l’accord final. Et, en effet, cet accord définitif, signé en début de ce mois, n’a fait que confirmer cette évaluation iranienne.
Les sources qui m’ont permis l’accès aux informations recueillies par Israël (Mossad) sur les négociations avec l’Iran insistent sur le fait que cela n’a pas été obtenu grâce à l’espionnage contre les Etats-Unis. Cela provient, disent-elles, de l’espionnage réalisé par le Mossad israélien en Iran, ou des contacts routiniers entre des dirigeants israéliens et des représentants du P5+1 au cours des négociations. Ces sources ne m’ont montré que ce qu’elles voulaient bien que je vois, et dans ce genre de cas, il y a toujours un risque d’imposture et de fabrication de pièces. Cela dit, ces sources se sont avérées fiables par le passé et si je me fonde sur mon expérience concernant ce type de matériau, il apparaît être tout-à-fait crédible. Il n’est pas moins important que ce qu’on peut obtenir à partir du matériel classifié dans les registres d’Israël, au cours des négociations est largement corroboré par certains détails apparus dans le domaine public depuis lors.
Au début 2013, indiquent ces documents dévoilés, Israël a appris de ses sources des renseignements (Mossad) en Iran que les Etats-Unis poursuivaient un dialogue secret avec des représentants iraniens à Muscat, dans la cité-état d’Oman. C’est n’est que vers la fin de ces discussions, lors desquelles les américains ont persuadé l’Iran d’entrer dans un processus de négociations diplomatiques concernant son programme nucléaire, qu’Israël a reçu un rapport officiel qui évoquait ces rencontres secrètes, de la part du gouvernement américain. Peu de temps après, la CIA et la NSA ont interrompu leur coopération avec Israël dans les opérations destinées à saboter le projet nucléaire iranien, opérations qui avaient accumulé des succès significatifs au cours de la décennie précédente.
Le 8 novembre 2013, le Secrétaire d’Etat John Kerry s’est rendu en visite en Israël. Le Premier Ministre Binyamin Netanyahu l’a vu à sa descente d’avion à l’Aéroport Ben Gurion et lui a fait part du fait qu’Israël avait reçu des renseignements du Mossad affirmant que les Etats-Unis étaient sur le point de signer un « très mauvais accord » et que les représentants de l’Occident se retiraient progressivement sur les mêmes lignes dans le sable qu’ils avaient eux-mêmes tracées.
La lecture du matériel recueilli sur lequel Netanyahu s’est basé, ajouté aux échanges colériques qui s’en sont suivis sur le tarmac, ont rendues évidentes deux conclusions : les délégués occidentaux occidentaux ont renoncé sur presque chacun des problèmes cruciaux qu’ils s’étaient résolus à ne pas abandonner et aussi qu’ils avaient clairement et distinctement promis à Israël qu’ils ne le feraient pas.
L’une des promesses faite à Israël était que l’Iran n’aurait pas l’autorisation de stocker de l’uranium. Plus tard, on a dit qu’il n’y aurait qu’une petite quantité qui serait laissée à l’Iran que tout ce qui excéderait ce volume serait transféré en Russie pour procéder de telle sorte de rendre ce reliquat inutilisable à des fins militaires. Dans l’accord final, l’Iran a reçu l’autorisation de conserver 300 kgs d’uranium enrichi ; le processus de conversion devrait se dérouler sur un site iranien (surnommé « la fabrique des déchets indésirables » par le Mossad, les services de renseignements israéliens). L’Iran serait aussi responsable de recycler ou de vendre l’énorme quantité d’uranium enrichi qu’il a stockée jusqu’à aujourd’hui, quelques 8 tonnes.Le dossier de l’installation d’enrichissement secret de Qom (connue en Israël comme l’installation de Fordo) est un autre exemple de concessions à l’Iran. Cette installation a été édifiée en violation flagrante du Traité de Non Prolifération et les délégués du P5+1 ont solenellement promis à Israël, lors d’une série de réunions à la fin 2013 qu’elle serait démantelée et ses contenus détruits. Dans l’accord final, les Iraniens ont l’autorisation de laisser en place 1.044 centrifugeuses (il y en a actuellement 3.000) et et de s’engager dans la « recherche » et l’enrichissement de radioisotopes.
Dans la principale installation de Natanz (ou Kashan, le nom utilisé par le Mossad dans ses rapports), les Iraniens vont continuer à faire fonctionner 5.060 centrifugeuses des 19.000 fdont ils disposent à présent. Plus tôt durant les négocations, les représentants occidentaux ont exigé que les centrifugeuses restantes soient détruites. Plus tard, ils ont retiré cette exigence et, aujourd’hui les Iraniens n’ont aucune autre obligation que de les mettre en veilleuse. De cette façon, ils seront en capacité de les réinstaller en un délai très bref.
Le Mossad, les renseignements israéliens soulignent l’existence de deux sites de l’industrie militaire iranienne qui sont actuellement impliqués dans le développement de deux nouveaux types de centrifugeuses : les sites de Teba et Tesa, qui travaillent respectivement sur les modèles IR6 et IR8. Ces nouvelles centrifugeuses permettront aux Iraniens de mettre sur pied des installations d’enrichissement plus petites et donc plus difficiles à détecter et cela réduit le temps nécessaire à la fabrication d’une bombe si et quand ils décideront de vider l’accord de sa substance.
Les Iraniens perçoivent comme cruciale la poursuite du travail sur les centrifugeuses avancées. D’un autre côté, ils doutent de leur capacité d’y parvenir secrètement, sans risquer d’être découverts et d’être accusés d’avoir rompu l’accord. Ainsi, les délégués d’Iran ont reçu l’ordre d’insister sur ce point. Le Président Obama avait dit, lors du Forum Saban que l’Iran n’avait aucun besoin de centrifugeuses avancées et ses représentants ont encore promis à Israël, plusieurs fois de suite, que la Recherche et le Développement ne seraient pas permis aux Iraniens, mais avec certaines restrictions que les experts du Comité Israélien à l’Energie Atomique pensent n’avoir qu’une efficacité marginale.
Tout comme en ce qui concerne le délai suffisant pour fabriquer une bombe, au début des négociations, les délégués occidentaux ont décidé qu’il s’agirait au moins » d’un certain nombre d’années ». Dans le cadre de l’accord final, cela s’est réduit à moins d’un an selon les Américain et même moins de deux à trois mois selon les experts nucléaires israéliens.
Plus la signature de l’accord se rapprochaient, plus des cycles de discussion se déroulaient en Iran, à la suite desquelles les délégués recevaient l’instruction d’insister pour ne ne rien révéler du point d’avancement du pays sur les aspects militaires de son projet nucléaire. Au cours des 15 dernières années, un énorme volume de matériel a pu être ammassé par l’Agence Internationale à l’Energie Atomique – certains rapports remplis par ses propres inspecteurs et certains apportés par les agences de renseignements – sur les efforts réalisés en secret par l’Iran pour développer les aspects militaires de son programme nucléaire ( que les Iraniens appellent par les noms de code PHRC, AMAD et SND). L’AIEA divise cette activité en 12 différents secteurs (métallurgie, minuteurs, fusées, source neutronique, tests hydrodynamiques, adaptation d’ogive nucléaire au missile Shehab 3, explosifs à haute intensité et d’autres), tous ayant à voir avecle travail de R&D qui doit être réalisé dans le but d’être capable de convertir du matériel enrichi en une véritable bombe atomique.
L’AIEA a exigé des réponses concrètes à un grand nombre de questions concernant les activités de l’Iran dans ces domaines. L’agence a aussi demandé à l’Iran de lui permettre d’interroger 15 scientifiques iraniens, une liste que domine le Professeur Mohsen Fakhrizadeh, que le Mossad surnomme « le Cerveau », qui pilote le programme nucléaire militaire. Cette liste a été écourtée puisque 6 de ces 15 individus sont morts dans le cadre obscur d’éliminations que les Iraniens ont attribué à Israël, mais l’accès aux neuf autres n’a jamais été autorisé. Pas plus les inspecteurs de l’AIEA n’ont eu l’autorisation de visiter les installations où se déroulaient les activités suspectes. A l’origine, l’Occident insistait sur ces points, pour finir par retirer ses exigences et les laisser irrésolues dans le cadre de cet accord.
A la mi-2015 une nouvelle idée a fait son apparition dans les négociations à Téhéran : l’Iran se refuserait d’importer des missiles tant que son propre développement et sa propre production n’est pas limité. Cette idée se reflète aussi dans l’accord final, où l’Iran est autorisé à développer et produire ses propres missiles, qui sont précisément le moyen de véhiculer des armes nucléaires. Plus les négociations se prolongeaient,plus la liste des concessions faites par les Etats-Unis à l’Iran augmentait, y compris le droit de laisser en place le réacteur à eau lourde et le site d’eau lourde d’Arak et d’accepter comme « légitime » le refus de l’Iran de laisser les inspections accéder à ses sites suspects.
Il est possible de remettre en cause la façon dont Netanyahu a choisi de mener la controverse au sujet de l’accord avec l’Iran, en provoquant une confrontation de plein fouet et sans prendre de gants avec le Président américain. Cela dit, le matériel recueilli par le Mossad sur lequel il s’appuyait met en exergue des conclusions sans la moindre ambiguïté : les délégués occidentaux ont franchi toutes les lignes rouges qu’ils ont eux-mêmes tracées et qu’ils ont concédé l’essentiel de ce qui était considéré comme crucial au début du processus ; et que les Iraniens ont atteint presque la totalité de leurs objectifs.
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Par Ronen Bergman
Adaptation : Marc Brzustowski.
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