Vladimir Jabotinsky fut le fondateur de la tendance dite « révisionniste » du mouvement sioniste.
Méprisant la rhétorique pseudo-socialiste des idéologues et de l’exécutif sioniste de l’époque, il fut l’inspirateur commun des groupes paramilitaires des années 30 et 40, et des partis israéliens au pouvoir presque sans interruption depuis 1977 en Israël, à commencer par le Likoud. Le texte « Le mur de fer » est bien connu des sionistes, mais rarement cité dans sa totalité.
Cet article à été publié pour la première fois en russe sous le titre « O Zheleznoi Stene » dans Rassvyet, le 4
novembre 1923. Il sera publié en anglais dans le Jewish Herald (Afrique du Sud) du 26 novembre 1937.
« Le mur de fer – Nous et les Arabes-«
Contrairement à l’excellente règle qui veut qu’on aille directement au sujet, je dois commencer cet article par un préambule personnel. On considère l’auteur de ces lignes comme un ennemi des Arabes, un avocat de leur expulsion, etc. C’est faux. Ma relation émotionnelle aux Arabes est le même qu’avec tous les autres peuples: de l’indifférence polie. Ma relation politique est caractérisée par deux principes.
Primo : l’expulsion des Arabes de Palestine est absolument impossible sous quelque forme que ce soit. Il y aura toujours deux nations en Palestine – ce qui me convient, à condition que les juifs deviennent la majorité.
Secondo: Je suis fier d’être membre d’un groupe qui a élaboré le programme de Helsingfors.
Nous l’avons formulé, non seulement pour les juifs, mais pour tous les peuples, et il est basé sur l’égalité de toutes les nations. Je suis prêt à jurer, pour nous et nos descendants, que nous ne détruirons jamais cette égalité et que nous ne tenterons jamais d’expulser ou d’opprimer les Arabes. Notre credo, comme le lecteur peut le voir, est parfaitement pacifique. Mais c’est une toute autre question de savoir si ces buts pacifiques peuvent être atteints par des moyens pacifiques. Ceci dépend, non de notre relation avec les Arabes, mais exclusivement de la relation des Arabes au sionisme.
Après cette introduction je peux venir à la question. Il est au delà de tout espoir et de rout rêve que les Arabes de la terre d’Israël arrivent volontairement à un accord avec nous, maintenant et dans un futur prévisible. J’exprime cette conviction intime aussi catégoriquement, non par intention de consterner la fraction modérée du camp sioniste, mais au contraire, parce que je souhaite lui épargner une telle consternation.
A part pour ceux qui sont virtuellement « aveugles » dès l’enfance, tous les sionistes modérés ont compris depuis longtemps qu’il n’y a pas le plus mince espoir de trouver un accord avec les Arabes de la terre d’Israël pour que la « Palestine » devienne un pays avec une majorité juive.
Chaque lecteur a quelques notions sur les débuts de l’histoire des pays qui ont été colonisés. Je suggère qu’ils se souviennent de tous les cas connus. S’ils essaient de trouver ne serait-ce qu’un cas d’un pays colonisé avec le consentement de ceux qui y sont nés, ils n’y parviendront pas. Les habitants (qu’ils soient civilisés ou sauvages n’y change rien) ont toujours opposé une lutte têtue. De plus, la manière d’agir du colon n’y changeait rien. Les Espagnols qui conquirent le Mexique et le Pérou, ou nos propres ancêtres au temps de Josué fils de Nun, se comportèrent, on pourrait dire, comme des brigands. Mais ces « grands explorateurs », les Anglais, les Ecossais et les Hollandais qui furent les vrais premiers pionniers de l’Amérique du Nord étaient des gens avec un standard éthique élevé; des gens qui non seulement voulaient laisser les peaux-rouges en paix mais pouvaient aussi avoir pitié d’une mouche; des gens qui en toute sincérité et innocence pensaient que dans ces forêts vierges et ces vastes plaines, un ample espace était disponible pour l’homme blanc comme pour le peau-rouge.
Mais les autochtones résistèrent aux barbares comme aux civilisés avec le même degré de cruauté. Une autre question qui n’a pas la moindre importance est de savoir s’il existait ou non une suspicion que le colon voulait chasser l’habitant de sa terre. Les immenses zones des USA n’ont jamais eu plus qu’un ou deux millions d’Indiens. Les Indiens combattirent les colons blancs non par crainte qu’ils puissent être expropriés, mais simplement parce qu’il n’y a jamais eu un habitant indigène nulle part et en nul lieu qui ait jamais accepté la colonisation de son pays par d’autres. Tous les autochtones – c’est pareil qu’ils soient civilisés ou sauvages – considèrent leur pays comme leur foyer national, dont ils seront toujours les maîtres absolus. Ils n’accepteront pas volontairement, non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire. Et c’est pareil pour les Arabes. Les amateurs de compromis parmi nous essaient de nous convaincre que les Arabes sont des espèces de fous qu’on peut tromper en formulant nos buts de manière atténuée, ou une tribu de rapiats qui abandonneront leur droit de naissance sur la Palestine pour des gains culturels ou économiques.
Je rejette carrément cette évaluation des Arabes Palestiniens.
Culturellement ils sont 500 ans derrière nous, spirituellement ils n’ont pas notre endurance et notre force de volonté, mais ceci fait le tour des différences internes. Nous pouvons parler autant que nous voulons de nos bonnes intentions, mais ils comprennent autant que nous ce qui n’est pas bon pour eux. Ils considèrent la Palestine avec le même amour instinctif et la même authentique ferveur que n’importe quel Aztèque voyait son Mexique ou n’importe quel Sioux voyait sa Prairie. Penser que les Arabes consentiront volontairement à la réalisation du sionisme en échange des bénéfices culturels ou économiques que nous pouvons leur accorder est infantile. Ce fantasme infantile de nos « Arabo-philes » vient d’une sorte de mépris du peuple arabe, d’un genre de vision infondée de cette race comme d’une populace prête à être corrompue pour vendre sa patrie pour un réseau ferroviaire.
Cette vision est absolument infondée. Des Arabes peuvent être achetés individuellement, mais ça ne veut pas dire que tous les Arabes dans Eretz Israël veulent vendre un patriotisme que même les Papous ne négocieraient pas. Chaque peuple indigène résistera à des colonisateurs étrangers tant qu’il gardera un espoir de se débarrasser du danger de la colonisation étrangère. C’est ce que font les Arabes de Palestine, et ce qu’ils persisteront à faire tant qu’il restera une étincelle d’espoir en leur capacité d’empêcher la transformation de la « Palestine » en « Terre d’Israël ». Certains d’entre nous ont imaginé qu’un malentendu avait eu lieu, que parce que les Arabes n’avaient pas compris nos intentions, ils s’opposaient à nous, mais que si nous les éclairions sur la modestie et la limitation de nos aspirations, ils nous souhaiteraient la paix les bras ouverts. C’est aussi une erreur qui a été prouvée encore et encore. Il suffit que je rappelle un incident.
Il y a trois ans, pendant une visite ici, Sokolow a fait un grand discours sur ce même « malentendu », employant un langage incisif pour prouver combien les Arabes étaient dans l’erreur en supposant que nous avions l’intention de prendre leurs biens et de les expulser du pays, ou de les éliminer. Ce n’était pas ça du tout. Nous ne voulions même pas d’un Etat juif. Tout ce que nous
voulions, c’était un régime représentatif de la Ligue des Nations. Une réponse à ce discours fut publiée dans le journal arabe Al Carmel dans un article dont je donne le contenu de mémoire, mais je suis sûr que c’est un compte-rendu fidèle.
Nos Grands du sionisme s’inquiètent sans nécessité, écrivait l’auteur. Il n’y a pas d’incompréhension. Ce que Sokolow déclare de la part du sionisme est vrai. Mais les Arabes le savent déjà. Bien sûr, les sionistes ne peuvent pas rêver aujourd’hui l’expulser ou d’éradiquer les Arabes, ou même de mettre en place un Etat juif.
Clairement, en ce moment ils ne s’intéressent qu’à une seule chose que les Arabes n’interfèrent pas avec l’immigration juive. De plus, les sionistes ont promis de contrôler l’immigration en accord avec la capacité d’absorption économique du pays. Mais les Arabes n’ont pas d’illusions, puisque dans d’autres circonstances, il n’y aurait même pas de possibilité d’immigrer.
L’auteur de l’article veut même croire que la capacité d’absorption d’Eretz Israël est très grande, et qu’il est possible d’installer beaucoup de juifs sans affecter un seul Arabe. « C’est précisément ce que veulent les sionistes, et que les Arabes ne veulent pas. De cette manière les juifs, petit à petit, deviendront une majorité et, ipso facto, un Etat juif sera formé et le sort de la minorité arabe dépendra du bon vouloir des juifs. Mais est-ce que ce ne sont pas les juifs qui nous ont dit à quel point il est « agréable » d’être une minorité ? Il n’y a pas de malentendu. Les sionistes veulent une chose – la liberté d’immigration – et l’immigration juive, c’est ce que nous ne voulons pas ».
La logique de cet éditorialiste est si simple et si claire qu’il faudrait l’apprendre par coeur et en faire une partie essentielle de notre conception de la question arabe. Peu importe que nous citions Herzl ou Herbert Samuel pour justifier nos activités. La colonisation a sa propre explication, intégrale et inévitable, et que comprend chaque Arabe et chaque juif un peu futé. La colonisation ne peut avoir qu’un but. Pour les Arabes Palestiniens, ce but est inadmissible. C’est dans la nature des choses. Il est
impossible de changer cette nature.
Il y a un plan qui attire de nombreux sionistes, et qui va ainsi : s’il est impossible pour le sionisme d’avoir l’aval des Arabes palestiniens, il faut l’obtenir des Arabes de Syrie, d’Irak, d’Arabie Saoudite et peut-être d’Egypte. Même si c’était possible, ça ne changerait pas la situation à la base. Ça ne changerait pas l’attitude des Arabes de la terre d’Israël à notre égard. Il y a soixante-dix ans, l’unification de l’Italie fut achevée, avec la rétention de Trente et de Trieste par l’Autriche.
Mais les habitants de ces deux villes non seulement refusèrent la situation, ils luttèrent contre l’Autriche avec une vigueur redoublée. S’il était possible (et j’en doute) de discuter de la Palestine avec les Arabes de Bagdad ou de La Mecque comme si c’était une espèce de petite zone marginale immatérielle, la Palestine resterait pour les Palestiniens, non pas une zone marginale, mais leur lieu de naissance, le centre et la base de leur propre existence nationale. Par conséquent il faudrait poursuivre la colonisation contre la volonté des Arabes palestiniens, comme nous le faisons à présent.
Mais un accord avec les Arabes hors de la terre d’Israel est aussi une illusion. Pour que les nationalistes de Bagdad ou de La Mecque ou de Damas acceptent une contribution si coûteuse (accepter de renoncer au caractère arabe d’un pays situé au centre de leur future « fédération ») nous devrions offrir quelque chose d’égale valeur. Nous pourrions offrir deux choses: de l’argent, un soutien politique, ou les deux. Mais nous ne pouvons offrir ni l’un ni l’autre.
Concernant l’argent il est ridicule de penser que nous pourrions financer le développement de l’Irak ou de l’Arabie Saoudite, alors que nous n’en avons pas assez pour la terre d’Israël. L’assistance politique aux aspirations politiques arabes est dix fois plus illusoire. Le nationalisme arabe se donne les mêmes buts que ceux fixés par le nationalisme italien avant 1870 ou par le nationalisme polonais avant 1918: unité et indépendance. Ces aspirations signifient l’éradication de toute trace d’influence britannique en Egypte et en Irak, l’expulsion des Italiens de Libye, la suppression de la domination française en Syrie, à Tunis, Alger et au Maroc. Pour nous, soutenir un tel mouvement serait suicide et trahison. Si nous négligeons le fait que la Déclaration Balfour fut signées pas oublier que la France et l’Italie l’ont aussi ratifiée.
Nous ne pouvons pas intriguer pour chasser les Anglais du Canal de Suez et du Golfe Persique, et éliminer les autorités françaises et italiennes sur les territoires arabes. Un tel double jeu ne peut être envisagé sous aucun prétexte.
Ainsi nous concluons que nous ne pouvons rien promettre aux Arabes de la terre d’Israël ou des pays arabes. Leur accord volontaire est hors de question. Donc ceux qui maintiennent qu’un accord avec les autochtones est une condition essentielle pour le sionisme peuvent maintenant dire « non » et quitter le sionisme. La colonisation sioniste, même la plus restreinte, doit, soit être terminée, soit être menée avec la défiance de la population native.
Cette colonisation ne peut, par conséquent, continuer et se développer que sous la protection d’une force indépendante de la population locale, un mur de fer infranchissable par la population indigène. Voici, in toto, notre politique pour les Arabes. La formuler autrement ne serait que de l’hypocrisie. Non seulement cela doit être ainsi; c’est ainsi qu’on le veuille ou non. Que signifient la Déclaration Balfour et le Mandat Britannique pour nous ? C’est le fait qu’un pouvoir désintéressé s’est engagé à créer des conditions sécuritaires telles que la population locale serait dissuadée d’interférer avec nos efforts.
Nous tous, sans exceptions, demandons constamment que ce pouvoir remplisse exactement ses obligations. En ce sens, il n’y a pas de différences significatives entre nos « militaristes » et nos « végétariens ». L’un préfère un mur de fer de baïonnettes juives, l’autre propose un mur de fer de baïonnettes britanniques, le troisième un accord avec Bagdad, et semble se satisfaire des baïonnettes de Bagdad – un goût étrange et plutôt risqué – mais nous applaudissons, nuit et jour, au mur de fer. Nous détruirions notre cause si nous proclamions la nécessité d’un accord, et remplissions les esprits des Puissances Mandataires avec l’idée que nous n’avons pas besoin de mur de fer, mais seulement de pourparlers sans fin. Une telle proclamation ne peut que nous nuire. Par conséquent c’est notre devoir sacré de mettre à nu un tel bavardage et de prouver que c’est un piège et une illusion. Deux remarques brèves : En premier lieu, si quelqu’un objecte que ce point de vue est immoral, je réponds: c’est faux ; soit le sionisme est moral et juste, soit il est immoral et injuste. Mais c’est une question que nous aurions dû résoudre avant de devenir sionistes. En fait nous avons résolu cette question, et par l’affirmative
. Nous prétendons que le sionisme est moral et juste. Et comme il est moral et juste, la justice doit être rendue. Peu importe que Joseph ou Simon ou Ivan ou Ahmed soient d’accord ou non. Il n’y a pas d’autre moralité.
Tout ceci ne veut pas dire qu’aucune sorte d’accord n’est possible, seulement qu’un accord volontaire est impossible. Tant qu’il y aura une lueur d’espoir qu’ils puissent se débarrasser de nous, ils ne vendront pas cet espoir, pour aucune sorte de mots doux ou de sucreries, parce qu’ils ne sont pas une populace mais une nation, peut être un peu loqueteuse, mais encore en vie. Un peuple en vie ne fait d’énormes concessions sur des questions aussi fatidiques que quand il ne reste plus d’espoir. Ce n’est que lors qu’aucune brèche n’est visible dans le mur de fer, que les groupes extrémistes perdent leur domination, que l’influence se transfère aux groupes modérés. Alors seulement ces groupes modérés peuvent venir à nous avec des propositions pour des concessions mutuelles. Alors seulement les modérés offriront des suggestions pour des compromis sur des questions pratiques telles qu’une garantie contre l’expulsion, ou l’égalité ou l’autonomie nationale. Je suis optimiste sur le fait qu’ils se verront effectivement attribuer des assurances acceptables et que les deux peuples, comme de bons voisins, pourront alors vivre en paix. Mais la seule voie vers un tel accord est le mur de fer, c’est-à-dire le renforcement en Palestine d’un gouvernement sans aucune influence arabe, c’est-à-dire contre lequel les Arabes combattront.
En d’autres termes, pour nous le seul chemin vers un accord dans le futur passe par un refus de toute tentative d’accord maintenant.
Merci pour cet éclairage qui permet de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui au niveau géo-politique pour Israël.