Justice-politique : la dangereuse confusion des genres.
L’affaire Fillon fait grand bruit et occupe le devant de l’actualité suscitant de nombreux commentaires et réactions.
De quoi s’agit-il ?Affaire Fillon, le juge volera t-il au peuple son droit inaliénable de choisir son président ?
- Le Parquet Général Financier (PGN) est une institution judiciaire créée sous la présidence de François Hollande en décembre 2013 (suite au scandale Cahuzac) pour lutter contre la grande délinquance économique et financière.
- Suite à certaines informations en provenance du Ministère des Finances communiquées par voie de presse, le PGN procède à une enquête préalable sur le candidat favori des Français, François Fillon.
- Cette simple enquête qui ne préjuge en rien de la culpabilité du candidat de la Droite et du Centre, provoque une intense agitation dans le microcosme politico-médiatique. Certains suggèrent déjà à Fillon de se retirer et de laisser la place à Juppé.
- Très vite le PGN «transmet le bébé» à un pôle de trois juges d’instruction. Compte tenu du délai très court qui sépare cette enquête de la date des élections, les spécialistes considèrent que cette affaire connaîtra son dénouement judiciaire dans les mois suivants. La vie démocratique peut donc poursuivre son cours sereinement.
Surprise : les juges d’instruction convoquent François Fillon pour lui signifier sa mise en examen au 15 mars 2017 soit deux jours avant la clôture des dossiers de candidature à l’élection présidentielle. Le temps d’offrir à Juppé (ou à un autre) le soin de déposer sa candidature ?
⇒ Sur le plan du droit, le mis en examen bénéficie jusqu’au prononcé du jugement, de la présomption d’innocence.
Pourtant, à partir de cette annonce, les choses s’emballent.
- François Fillon, cloué au pilori dans les médias, annonce qu’il entend poursuivre jusqu’à son terme le mandat que les électeurs lui ont donné.
- Il met sérieusement en cause la démarche des juges et parle d’un véritable assassinat politique. La justice serait instrumentalisée pour lui barrer la route et favoriser l’élection de son concurrent direct, celui qui est la «coqueluche» du microcosme politico-médiatique : Macron.
Les commentateurs ne parlent plus que de cette mise en examen.
Les pressions exercées pour que Fillon se retire se font plus fortes.
- En quelques heures, les défections commencent à pleuvoir.
- Au bout de deux jours, on en compte une soixantaine.
- On donne sur tous les plateaux de télévision la parole à ceux qui appellent à ce retrait.
- On parle peu du programme du candidat de la Droite et du Centre.
⇒ Anomalie majeure : depuis le début, le temps médiatique consacré à charger Fillon est très supérieur à celui consacré à sa défense.
Ce qui prend la dimension d’une véritable affaire d’Etat pose une question de fond, celle de l’usage des décisions judiciaires par le monde politique.
Lorsqu’on examine cette question à la lumière de l’histoire récente, on distingue deux périodes :
- une période qui va de la Révolution française jusqu’à la Vème République au cours de laquelle les décisions prises par les juges sont sans incidence sur la capacité d’un citoyen à se présenter devant le peuple.
- Pendant toute cette période, être condamné, y compris à de la prison ferme, y compris à la peine capitale, n’est nullement invalidant au plan politique.
- Il a existé un temps où le suffrage universel était bien au-dessus des contingences des procédures judiciaires. Un temps où un certain Blanqui, après avoir purgé une peine de 30 années de prison, fut élu triomphalement !
- Un temps où Victor Hugo contraint à l’exil était acclamé comme un véritable héros.
- Un temps où Emile Zola était jugé par une Cour d’Assises tout en continuant à être auréolé de prestige.
- Un temps où un obscur général nommé de Gaulle, condamné à mort par les instances régulières de son pays, est porté triomphalement à la tête de l’Etat cinq ans plus tard.
- Un temps où un certain Mandela, après avoir purgé 29 années de prison, est devenu non seulement le Président de son pays mais une sorte d’icône internationalement fêtée.
- Un temps où quasiment tous les responsables de gauche passaient par la case prison : Thorez, Blum, Mendes-France…
Il sera brutalement mis un terme à cette forme de relation Justice-Politique avec l’extension continue du domaine du droit, avec la judiciarisation à outrance de tous les domaines de la société, y compris celui de l’histoire.
L’usage fait par les politiques des décisions judiciaires connaît une évolution paradoxale. Pour les catégories les plus pauvres, les décisions des juges sont critiquables comme le montre la campagne visant à faire libérer Jacqueline Sauvage pourtant condamnée à 10 ans par deux Cours d’Assises, ou celle entourant Omar Raddad, jugé innocent par la presse.
A l’inverse, les décisions prononcées par les juges à l’encontre des dirigeants sont sacralisées.
Les simples décisions judiciaires deviennent des condamnations et des exclusions politiques majeures. On ne peut les critiquer sans être accusé de commettre un crime contre la République, la Démocratie, etc. à tel point qu’un simple soupçon suffit à éliminer du monde politique celui qui en est la cible.
Les victimes de cette nouvelle morale politique fondée sur la récupération du judiciaire sont légion ; on rappellera pour mémoire :
Chaban-Delmas ; Valérie Giscard d’Estaing ; Carignon, l’ancien Maire de Grenoble ; Michel Noir ; Pierre Bérégovoy ; DSK ; Sarkozy, etc.
(Le seul qui ait survécu aux basses attaques est Georges Pompidou. Mais il avoue en avoir été profondément blessé. On ne parlera pas ici des dégâts collatéraux causés par cette nouvelle morale délétère qui a pour effet d’éloigner les personnes de grande valeur lesquelles, face à ce «panier de crabes» qu’est devenu le monde politique, s’effacent spontanément ou refusent d’entrer dans la compétition pour le poste suprême. On pense ici à Simone Weil ou à Jacques Delors, tous deux en leur temps personnalités préférées des Français.)
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Hier, la justice poursuivait son travail sans que celui-ci n’impacte directement et radicalement le champ politique. Le peuple jugeait et des décisions des juges et du programme des candidats.
Aujourd’hui, la justice est utilisée par les groupes de pression pour éliminer les concurrents du jeu politique.
Le juge serait-il réduit à l’état de pion sur l’échiquier politique ?
L’usage abusif et dévoyé du judiciaire fausse la vie politique. Par ce moyen, le peuple est privé d’une partie essentielle de sa souveraineté. Le peuple est privé de son droit de choisir qui bon lui semble et la justice de suivre sereinement son chemin.
C’est ainsi que François Fillon, choisi par le suffrage universel, est invité à se retirer parce que des «soupçons» pèsent sur lui.
Rappelons un fait évident : les juges ne demandent pas le départ de Fillon. C’est la classe politico-médiatique qui transforme la procédure judiciaire en une automatique condamnation politique faisant dire aux juges, par le moyen de ce subterfuge, ce que ces derniers ne disent pas.
Il ne faut pas oublier l’essentiel : ils sont deux à avoir reçu l’onction populaire : Fillon et Hamon.
Ces deux candidats ont affronté le suffrage universel et contre l’avis des appareils, ont triomphé. Leur véritable crime est là, comme l’ont souligné certains commentateurs.
Eliminer arbitrairement Fillon de la course à l’Elysée, c’est commettre une double faute :
- contre la Justice que l’on instrumentalise à des fins de basse cuisine électorale ;
- contre le peuple auquel on vole son droit inaliénable de choisir qui bon lui semble.
Rappelons un principe fondamental : la République est fondée sur la séparation des pouvoirs ; leur confusion est dangereuse. Elle est source de désordres et de violences. Elle conduit à la dissolution du corps politique. En sommes-nous là ?
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