Les mots des affaires
Les affaires auront été au cœur de la campagne et l’on voudrait même nous faire croire qu’elles n’ont jamais été si nombreuses. En un sens, c’est vrai.
Mais pas parce que les hommes politiques seraient devenus moins vertueux. Pour qu’il y ait une affaire, au sens péjoratif du terme (par opposition à « sens des affaires », « droit des affaires », « homme d’affaires », etc.)
- il faut un délit et
- il faut que les médias transforment ce délit en scandale.
Durant cette campagne, on a vu des affaires montées à partir de délits probables mais seulement présumés et on a vu des délits, tout aussi présumés mais nullement moins probables, qui ne devinrent jamais des affaires.
En matière de traitement médiatique inégal, on a atteint des sommets :
Fillon et Macron sont tous deux soupçonnés de détournements de fonds publics. Dans le cas de Fillon, le délit remonterait à plus de trente ans. Dans le cas de Macron, il aurait moins de trois ans et concernerait directement le financement de l’actuelle campagne. C’est un tout petit peu plus intéressant. Pourtant, sur qui s’acharne-t-on ? J’ai déjà pointé le stratagème Macron qui consista à nier une rumeur sans conséquences (et lancée par des médias russes) pour s’éviter d’avoir à répondre sur des accusations plus sérieuses (formulées par des journalistes français dans le livre Dans l’enfer de Bercy). Évidemment, son petit show a fonctionné.
Fillon et Macron sont tous deux impliqués dans une histoire de corruption aux costumes. La différence réside seulement dans le degré de jugeote des corrupteurs. Un avocat « sulfureux » (voui voui) offre des costumes à Fillon directement. Le groupe LVMH, en l’espèce la marque Vuitton, dorlote Macron mais en prêtant des vêtements à sa femme. Ils pensaient sans doute que cela passerait inaperçu. Manque de chance, on a découvert dans l’émission Quotidien que Brigitte portait du Vuitton… et l’affaire a suivi. Non, bien sûr, l’affaire n’a pas suivi.
C’est là qu’il faut se pencher sur le traitement gradué des affaires.
Dès le début, la distinction se fait sentir, entre présumé coupable et présumé innocent (selon, donc, que l’on veut nuire à la personne ou essayer de l’épargner).
- Fillon est « soupçonné de ». Macron est « accusé de ». Dans le premier cas, il est suspect, il suscite le soupçon. Dans le second, des gens l’accusent, il va falloir qu’ils apportent des preuves. Pour Macron, on en restera là.
- Le stade numéro deux, votre nom devient celui d’une affaire : « l’affaire Fillon ».
- Stade final, le motif de votre chute devient votre « gate » : « le Pénélope-gate ».
Le plus important est de comprendre qu’entre les « soupçons » et le « gate », il n’y a pas de nouvelles informations qui viendraient conforter la mise en cause. Le passage de l’un à l’autre est dû à un effet boule de neige : plus on en parle, plus on en parle. C’est strictement une différence de volume, celui du bruit médiatique suscité et complaisamment entretenu.
Enfin, cette campagne nous aura appris qu’il est des questions que l’on n’a pas le droit de se poser. Nous le savions déjà, mais nous en avons découvert une nouvelle : « pourquoi maintenant ? » Il paraît que c’est « complotiste » de poser cette question. Que non point : le complotisme se définit comme une attitude de l’esprit qui explique tout par des conspirations (ou par une grande conspiration). Être complotiste, c’est être adepte de l’explication par la théorie du complot. Ce n’est pas s’étonner ponctuellement d’une étrange coïncidence.
On devrait avoir le droit de s’étonner du moment auquel sort une affaire. On devrait pouvoir se demander qui est à l’origine de telle ou telle fuite. Nos journalistes disent « oh la la, Fillon se fait offrir des costumes ». Un vrai journaliste ajouterait : « Qui a révélé cela ? Quand ? Pourquoi ? » On nous oblige déjà à croire au Progrès continu. Maintenant, on voudrait nous faire croire au Hasard permanent. Encore quelques années et nous aurons un panthéon complet.