Interview exclusive de Francois Fillon par Sylvie Bensaïd
Tribune Juive : Monsieur François Fillon, à quelques jours du premier tour des élections présidentielles, nous savons que vous allez vous battre et combattre pour être élu, mais les sondeurs, les analystes et la presse étrangère vous considèrent comme battu d’avance. Où irez-vous chercher les voix qui vous manquent ? Comment rassurer les craintifs et les hésitants ? Allez-vous faire mentir les sondages ?
François Fillon : En novembre 2016, j’ai remporté la primaire de la droite et du centre, faisant mentir tous les commentateurs qui nous disaient que c’était impossible. Aujourd’hui, à nouveau, on voudrait nous faire croire que l’élection serait jouée d’avance, avec des finalistes imposés. Mais les Français sont des hommes et des femmes libres. Personne ne leur dictera leur choix pour la France. Le désir d’alternance est fort après cinq années d’échecs socialistes dont la France ressort considérablement affaiblie.
Tout est fait dans cette élection pour favoriser le désarroi, le renoncement. Tout est fait pour masquer les véritables enjeux et détourner les Français de la seule question qui vaille pour ce scrutin, celle du destin de leur pays. J’ai subi deux mois d’attaques incessantes dont le but était de priver les Français du seul candidat de la droite et du centre.
Mais les Français ne sont pas dupes et ils voient bien que je porte un projet solide, ambitieux et conquérant. De tous les candidats, je suis le seul qui ait autre chose à proposer aux Français que le chaos, la ruine ou le statu quo. Je ne suis pas un produit marketing, ma parole ne m’est pas soufflée par le microcosme parisien. Les Français le savent et je sais qu’ils agiront en conséquence le 23 avril prochain. Mes meetings sont pleins, les retours de terrain sont positifs et la mobilisation est très forte. Ce sont des signes qui ne trompent pas.
Tribune Juive : Comment pensez-vous, en tant que Président, renouer avec la croissance et le plein emploi ? Quelles réformes décisives et indispensables, voire douloureuses, allez-vous mener pour rassurer les français ?
François Fillon : Le temps des demi-mesures est passé. Avec six millions de chômeurs, neuf millions de pauvres et une croissance atone, la situation est intenable pour un grand nombre de Français. Il faut agir. Je ne parle pas de réformes, j’en appelle à un changement de logiciel. C’est la condition essentielle pour que la France puisse effectuer son retournement en deux ans, se redresser en cinq ans, et d’ici à 10 ans, devenir la première puissance européenne.
Ma priorité absolue est la lutte contre le chômage. Pour offrir un emploi à tous les Français, je mettrai le paquet sur le redémarrage des entreprises. Je baisserai massivement les charges sur les entreprises et la compétitivité de 40 milliards d’euros.
Dans la même optique, les règles du dialogue social et le droit du travail seront modernisés et allégés. Je lèverai le verrou des 35 heures en laissant à chaque entreprise le soin de décider de son temps de travail par la négociation et la signature d’accords collectifs. Le code du travail sera recentré sur ses principes fondamentaux, le reste sera renvoyé au dialogue social. Je doublerai les seuils sociaux pour faciliter l’embauche par les petites entreprises et leur permettre de se développer. Enfin, je relancerai l’investissement, véritable cœur battant de notre économie. Pour cela, je supprimerai l’ISF, impôt d’un autre siècle, d’ailleurs abandonné par toutes les économies modernes, et le remplacerai par une taxe forfaitaire de 30% sur tous les revenus du capital.
Avec ces mesures, nous pourrons restaurer notre production et distribuer les richesses créées au lieu de partager la misère comme aujourd’hui.
Tribune Juive : Vous avez affirmé lors de votre voyage en Israël que « l’existence d’Israël n’est pas discutable, et sa sécurité n’est donc pas négociable ». Une fois Président, seriez-vous aussi tenté par la solution à deux états et faire jouer à la France un rôle, face à un règlement du conflit israélo palestinien ?
François Fillon : Compte tenu des drames effroyables du passé, la communauté internationale a un devoir à l’égard de l’Etat d’Israël : celui de contribuer à sa protection contre les menaces extérieures et de condamner la violence et les incitations à la haine à son encontre.
Mais la sécurité des Israéliens, comme celle des Palestiniens, ne sera préservée à terme que si l’on met fin à un conflit qui a désormais près de 70 ans. Un conflit qui a contribué à déstabiliser tout l’environnement régional et qui a provoqué des drames humanitaires. La France doit conserver une position médiane et aider à la résolution du conflit israélo-palestinien. Mon objectif est d’amener les deux parties à la table des négociations pour que les intérêts de chacun soient entendus. Deux principes fondamentaux doivent guider notre action : la sécurité et la reconnaissance de l’Etat d’Israël ; le droit des Palestiniens à disposer d’un Etat.
Si nous voulons contribuer à la paix, j’estime aussi qu’un rééquilibrage s’impose dans notre manière d’aborder le conflit. La recherche d’une solution négociée me semble incompatible avec la mise en accusation d’une des parties ou les mises en scène diplomatiques. C’est la raison pour laquelle j’avais critiqué la conférence du 15 janvier organisée par François Hollande sur le Processus de Paix et qui s’était tenue… contre la volonté d’Israël et en l’absence des principaux protagonistes. La partialité évidente de cette conférence la condamnait à l’avance à être aussi inutile que contre-productive.
Tribune Juive : Vous, Président, affirmerez-vous vous aussi, que le boycott d’Israël est illégal, tout en entérinant par l’intermédiaire des institutions européennes l’étiquetage exclusif des produits israéliens fabriqués dans les territoires disputés, et uniquement ces produits là, tout en faisant voter la reconnaissance certes symbolique de la Palestine ?
François Fillon : Certains candidats, comme Benoît Hamon, ont cru bon d’affirmer qu’ils reconnaitraient de manière unilatérale l’Etat palestinien s’ils étaient élus. Cette reconnaissance, qui s’inscrit dans la poursuite de la diplomatie du coup de menton de ce quinquennat finissant, ne résoudra en rien les problèmes concrets et quotidiens des Israéliens ou des Palestiniens.
Elu président, je proposerai un changement de méthode et une nouvelle approche par étapes, plus pragmatique, où les Etats-Unis, l’Europe et les Etats arabes offriront des contreparties en échange de gestes concrets et progressifs de la part des parties.
La protection d’Israël est pour moi une priorité. Les tentatives de délégitimisation, à l’égard desquelles certains des candidats à la présidentielle à l’extrême droite comme à gauche me semblent compréhensifs, doivent cesser. Elles sont insupportables. C’est pourquoi je m’oppose et m’opposerai aux initiatives qui sont hostiles à Israël, qu’il s’agisse de certaines résolutions de l’UNESCO qui remettent en cause la réalité historique de Jérusalem, ou des appels au boycott d’Israël. Celui-ci est illégal en France et je veillerai à ce que tout manquement soit sanctionné. C’est quand j’étais Premier ministre, en 2010, qu’une circulaire du ministre de la Justice avait appelé à la plus grande vigilance sur ce point.
La question de l’étiquetage des produits en fonction de leur origine appartient à une autre logique : elle répond à des lignes directrices de la commission européenne de novembre 2015 qui ne font que rappeler la position européenne constante sur la reconnaissance des frontières d’Israël, conformément au droit international.
Tribune Juive : Quelles méthodes nouvelles envisagez-vous de mettre en place pour régler le problème du terrorisme et du fondamentalisme djihadiste qui s’est métamorphosé et étendu ?
François Fillon : Le terrorisme islamique doit être reconnu pour ce qu’il est : un totalitarisme aux visions hégémoniques, visant à changer l’Homme par la coercition. Cette menace totalitaire islamique s’étend sur une grande région du monde qui va du Pakistan jusqu’à l’Afrique occidentale. Elle se développe aussi comme un cancer dans les sociétés occidentales. De Paris à Stockholm en passant par Londres, Bruxelles, Nice ou Berlin, des centaines de personnes ont payé le prix de leur vie. La victoire contre le totalitarisme islamique passera par une lutte globale en appréhendant le problème aussi bien sur le plan international qu’au niveau national. Je lutterai de manière implacable contre le totalitarisme islamique.
Sur le plan intérieur, je commencerai par éloigner du territoire national ou mettre hors d’état de nuire les terroristes et leurs complices. Tous les étrangers présentant une menace terroriste seront expulsés. J’interdirai le retour, après déchéance de nationalité, de ceux qui sont allés combattre en Irak ou en Syrie. Je ferai appliquer des peines renforcées pour les atteintes à la sécurité nationale. En outre, je réclamerai un strict contrôle administratif du culte musulman, tant que son ancrage dans la République ne sera pas pleinement achevé, à l’exemple des autres religions. Le renseignement sera réformé pour mieux faire face au terrorisme et rendre au renseignement territorial les moyens humains et matériels dont il a été privé. Je renforcerai la protection des frontières de Schengen par des garde-côtes et une plus grande utilisation de Frontex.
Au niveau international, il faudra réorienter notre politique étrangère en cherchant à mettre en place des alliances efficaces pour lutter contre l’essor de l’islamisme, qui représente une menace majeure pour le monde entier. En Syrie et en Irak, je souhaite mettre tous les acteurs internationaux autour de la table pour mettre fin au règne de terreur de l’Etat islamique.
Un effort sera également fait pour renforcer les capacités opérationnelles de nos armées, c’est pourquoi je porterai le budget de la défense à 2% du PIB à terme. Je demanderai également à nos partenaires européens, et en priorité à l’Allemagne, de mutualiser le financement des opérations extérieures. Nous devons pouvoir être soutenus dans les opérations extérieures, comme par exemple au Mali et dans toute la bande sahélienne, où une présence militaire européenne va rester nécessaire pendant longtemps.
Tribune Juive : Quelle sera votre position claire sur l’abattage rituel ?
François Fillon : Comme je l’ai clairement dit devant le CRIF il y a quelques semaines, en France, la loi prévoit que les animaux, avant d’être tués, doivent être étourdis. Il y a des dérogations apportées pour permettre les abattages rituels pour la religion juive et la religion musulmane. Je ne remettrai pas remettre en cause ces dérogations.
Tribune Juive : Pouvons-nous connaitre les grandes lignes en matière de politique étrangère que vous appliquerez pendant votre mandature ? quels choix ferez-vous ?
François Fillon : A la fin du quinquennat actuel, la position de la France dans le monde a régressé. Pourtant, la France porte une voix singulière dans le monde. Je veux la faire entendre. Mais, pour peser dans les affaires du monde, nous devons être crédibles, notamment sur le plan économique. C’est pourquoi je conduirai les réformes nécessaires à la relance de notre économie.
S’agissant de la politique étrangère à proprement parler, elle sera commandée par les intérêts de notre pays et par eux seuls. La France se doit de dialoguer avec tout le monde.
Puissance indépendante, d’entrainement et d’équilibre, elle doit jouer tout son rôle pour régler les crises mondiales qui nous menacent. Ainsi, la France devra-t-elle être un allié loyal et indépendant des Etats-Unis, un allié qui jugera la nouvelle administration américaine sur ses décisions et établira un dialogue exigeant avec elle. Dans le même temps, je rétablirai le dialogue et des relations de confiance avec la Russie qui doit redevenir un grand partenaire de la France et de l’Europe Il conviendra aussi d’établir un partenariat d’envergure avec la Chine.
J’engagerai par exemple un dialogue franc avec l’Arabie saoudite et le Qatar, en ce qui concerne plus particulièrement l’appui, direct ou indirect, au fondamentalisme islamique.
En outre, je relancerai l’aide au développement au service de la stabilité et de la sécurité. Elle sera en particulier conditionnée à la coopération des pays d’origine de l’immigration afin qu’ils s’impliquent dans le retour de leurs ressortissants.
Enfin, je souhaite renouer avec le message universel de la France. Je renforcerai les liens si particuliers qui nous unissent aux pays de la rive Sud de la Méditerranée, cette Mare Nostrum, à commencer par le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, mais également Israël, l’Egypte ou le Liban. Je soutiendrai et développerai la francophonie en m’appuyant sur l’inestimable atout que représente le partage de la langue française par près de 300 millions de locuteurs à travers le monde.
Tribune Juive : Après les tragiques Événements de Toulouse, de l’hypercacher et tout récemment l’assassinat de Madame Sarah Halimi Attal, une femme de 67 ans de confession juive, qui a été défenestrée par un voisin musulman aux cris d’alaou Akbar et qui n’a pas suscité de réactions ou très peu, de la part des candidats à la présidentielle et des partis politiques, quelles mesures contre l’antisémitisme galopant envisagez-vous de prendre si vous êtes élu afin que de tels actes ne se reproduisent plus ?
François Fillon : La contribution des Juifs à l’histoire de France est inestimable. Les Français de confession juive ont contribué à forger notre identité nationale. Leur attachement à la France et à ses valeurs est exemplaire. Malheureusement, le lien entre la communauté juive et la nation française est aujourd’hui miné par l’antisémitisme. Celui-ci ressurgit de façon très inquiétante dans notre société. On l’a vu avec les enfants assassinés à l’école de Toulouse, les victimes de l’Hypercacher, c’est un danger qui menace la démocratie, qui menace l’humanité et qui doit faire l’objet de toute notre attention et de toute notre volonté. Certains de nos compatriotes juifs en viennent à douter de leur place dans la nation française et choisissent l’exil. Je ne laisserai pas s’installer ces ferments de haine qui minent notre société et notre démocratie. La République française sera toujours intraitable à l’égard de l’antisémitisme. Pour moi, les choses sont claires : la liberté d’ expression ne peut être instrumentalisée par des adversaires de l’unité française et les violeurs de mémoire. La justice doit être très ferme et notre politique éducative très claire.
L’un des aspects essentiels par lesquels je lutterai contre l’antisémitisme est le travail de mémoire. Celui-ci est essentiel pour saper les fondements de la rhétorique antisémite et de ceux qui nient la Shoah. En se battant pour défendre les juifs, contre l’antisémitisme, on se bat aussi pour défendre la France et la République.
Tribune Juive : Favoriserez- vous la promotion du dialogue interconfessionnel et le mieux vivre ensemble ? Que préconisez- vous ?
François Fillon : La laïcité est au fondement de la cohésion de notre pays. Elle permet à chacun de croire ou de ne pas croire et garantit le respect par l’Etat des convictions intimes de chacun. Je conforterai le cadre juridique qui a permis jusqu’ici aux croyants de coexister, ainsi qu’avec les agnostiques ou les athées, dans le respect les uns des autres et des principes républicains. J’aurai un point d’attention particulier pour l’Islam qui doit encore s’approprier pleinement ce cadre tout en se structurant davantage. Je serai intransigeant envers tout repli communautariste qui entendrait placer ses conceptions propres au-dessus des lois de la République. Je veillerai à la diffusion et à la bonne compréhension des règles découlant du principe de laïcité et du refus du communautarisme. Ces principes devront être diffusés et expliqués à l’école, dans les modules de contrat d’intégration républicaine et dans les formations de fonctionnaire. Pour favoriser le mieux vivre ensemble, je suis persuadé que l’éducation joue une place essentielle. Dès le plus jeune âge, il faudra que les élèves apprennent le respect des autres. Mais c’est aussi aux parents de jouer ce rôle.
Source tribunejuive.info