Parachath Chela’h lekha « Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles »
En fait l’amour de soi et l’amour de son prochain vont de pair. Toute personne qui critique autrui a, au fond de soi, une piètre opinion d’elle-même. Bien qu’elle ne se l’avoue pas, elle se méprise et se déteste. On peut constater ce phénomène dans la parachath Chela’h lekha ( Bamidbar 13,33) : Lorsque les explorateurs sont revenus d’ Erets Yisraël , ils ont fait au peuple juif le compte-rendu suivant : « Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles et ainsi étions-nous à leurs yeux [des habitants de Canaan] ». Ils ont ainsi projeté sur les habitants de Canaan une vision qu’en réalité ils avaient d’eux-mêmes ! Ce sont ces mêmes explorateurs qui ont dit du lachon hara’ sur Erets Yisraël et qui ont, indirectement, comme nous l’enseignent nos Sages, causé la destruction des deux Temples. Lorsqu’on se perçoit comme une sauterelle sans valeur, toutes nos propres valeurs disparaissent également à nos yeux. De cette façon, on n’accordera pas non plus de valeur à son prochain ni à la terre donnée par Hachem ! Et c’est ainsi que l’on pourra tomber dans le lachon hara’ le plus grave !
Haftarath Chelah lekha Rahav la zona
La haftara de la parachath Chelah lekha se situe comme à l’opposé de la paracha à laquelle elle est associée : A la catastrophe nationale qu’a engendrée l’envoi par Moïse de douze explorateurs en Erets Yisraël correspond le succès de celui, par Josué, de deux émissaires chargés de scruter la ville de Jéricho et ses alentours.
Ce succès a été causé, pour l’essentiel, par le dévouement de Rahav , une femme cananéenne qui a hébergé ces deux émissaires et leur a sauvé la vie.
Qui était Rahav ?
Le texte la désigne comme étant une icha zona , ce que l’on peut traduire soit par « aubergiste », de mazone (« nourriture »), soit par « prostituée », de zenouth (« débauche »).
Les commentateurs se partagent entre ces deux significations. Rachi et le Metsoudath David optent pour la première, le Malbim et Radaq pour la seconde ( ad Josué 2, 1).
Il est cependant curieux de constater que ce même Rachi , après nous avoir présenté Rahav comme une aubergiste, rappelle quelques versets plus loin ( ad 2, 11), que cette femme, âgée de dix ans lors de la sortie d’Egypte, s’était prostituée pendant quarante ans, et que « nul prince ou notable ne s’était privé de forniquer avec elle » ( Zevahim 116b).
Envisager que Rachi ait pu alors oublier ce qu’il venait d’écrire quelques versets auparavant serait faire injure à sa mémoire.
Peut-être a-t-il voulu ici, en réalité, se conformer à l’interdiction de rappeler à un converti sa conduite d’antan ( Baba Metsia 58b et suivants). Lorsqu’elle a accueilli les explorateurs envoyés par Josué, Rahav était déjà sur le point de se convertir au judaïsme, et il aurait été inconvenant de faire alors allusion à ses débauches passées. Aussi Rachi en a-t-il fait alors une aubergiste, quitte à rappeler plus loin, mais seulement plus loin, son passé de débauche.
Mais alors, se demandera-t-on, pourquoi Josué, auteur du livre qui porte son nom, et de surcroît mari de Rahav ( Qohéleth rabba 8, 13), a-t-il laissé subsister dans son texte une telle équivoque ?
Peut-être précisément pour donner à Rachi l’occasion de faire preuve de cette discrétion !
Jacques KOHN zal