Poutine réitère sa politique du mépris envers les dirigeants du monde.
Israël ne mange pas de ce pain-là
Ce qui est dit est dit : Netanyahu ne pouvait faire moins que de « rappeler » à qui ne les aurait pas encore entendues, ce que sont les « lignes rouges » défensives d’Israël. A ce stade, le Rubicon des flots de paroles sans lendemain est allègrement franchi et la prochaine étape ne se négociera pas, puisque Poutine comme Trump du reste, ont bien fait comprendre par leur silence face à ses récriminations que Netanyahu et Israël, sont, pour eux, hors-jeu dans le redécoupage futur de la Syrie, avec l’Iran comme second maître de ballet.
Peu après ces entretiens de Sochi, l’organe de presse du donneur d’ordres du Kremlin, la Pravda, s’est montré extrêmement acide à l’encontre du premier Ministre israélien : n’accordant aucune substance à ses menaces, la voix de son Maître décrit très sévèrement le chef de gouvernement israélien et commander-in-chief de Tsahal, comme « au bord de la panique ».
Le choix pour le moins très peu « diplomatique » des termes employés à l’égard d’une puissance certes moyenne, au niveau mondial, mais dominante sur le plan régional, et de son émissaire et dirigeant Bibi Netanyahu, incidemment ancien membre des Commando Sayeret Matkal et frère de Yoni, héros de guerre antiterroriste, mort au combat, relève stratégiquement du « contre-bluff » :
il s’agit, à froid, de démontrer que Netanyahu a, non seulement, fait chou blanc, que sa démarche n’a impressionné personne au Kremlin, mais pire, qu’il en serait ressorti « dans ses petits souliers », voire « paniqué, tremblant, pris de convulsions et de sueurs froides ». Au-delà de la tentative de déstabiliser l’homme et son public, en le tournant en ridicule, il y a aussi une contre-affirmation pleine de morgue et de menaces indirectes : « j’ai choisi mon camp », dit Poutine, l’Iran se situe dans mon axe, sert ma stratégie globale, autant que le maintien d’Assad, aux yeux de l’Occident« .
Zeev Elkin, présent lors de ce huis-clos, dément l’article de la Pravda comme une pure « Fake News » : « Ceux qui veulent continuer à écouter ce que dit la Pravda peuvent continuer à écouter ce que dit la Pravda » , a dit Elkin à Radio 103FM mardi, rejetant le récit fait par le journal de cette rencontre à huis-clos. Il a précisé qu’il était inexact et non-sourcé, et a affirmé que les faits énoncés relevaient plutôt de spéculations sans fondement de son auteur. Il n’emèche, dira t-on, il n’y a rien en Réussie, qui puisse sortir dans la presse tout-à-fait au hasard ou à l’humeur du journaliste. Celaémane bien de quelque part et sert des intérêts directement liés à la vision de Poutine…
Poutine choisit donc de refaire à Netanyahu ce qu’on croit être le coup de 2007 contre Sarkozy, où, selon le journaliste Nicolas Hénin, l’ancien Cerbère du FSB aurait menacé « d’écraser » le Président français et l’Hexagone dans le même souffle : « C’est bon, tu as fini là?’ […] Alors je vais t’expliquer. Tu vois, ton pays il est comme ça [en faisant un geste avec ses mains], le mien il est comme ça [en écartant les bras]’ », raconte le journaliste, en évoquant ensuite la menace de Poutine : « Tu continues sur ce ton et je t’écrase. » [rapport de Hénin, Jean-David Levitte -Sherpa- et d’autres, dont le journaliste Michaël Darmon, mettant le stress du petit Nicolas au cœur d’artichaut sur le contexte de la rupture avec Cécilia- et contredisant cette version, en rappelant même un ton badin pour parler de l’addiction aux chocolats].
Le problème de l’entrevue entre Poutine et Sarkozy n’est pas tant de savoir si oui ou non, elle s’est bien déroulée comme le relate la légende, que le fait incontournable que cette légende puisse exister et être parfaitement crédible aux yeux de bien des observateurs du tempérament d’Oncle Vlad. Là où l’ex-Président français était encore dans un échange de mises en garde à caractère économique et énergétique (gazier), le Premier Ministre israélien est en état technique de guerre contre la Syrie depuis plus de 40 ans et de guerre préventive et secrète, dans le cadre de la lutte contre les génocides, face à l’Iran apocalyptique de l’Ayatollah Ali Khamenei. A commencer par les dernières déclarations de son chef d’Etat Major de l’Armée Iranienne, Abdolrahim Mousavi : « Israël n’existera plus dans 25 ans ».
C’est bien ce qu’il faut lire entre les lignes de la Pravda : la supposée « panique » de Netanyahu « n’a rien de « personnelle », comme on dit dans les thrillers de barbouzes où l’un des deux doit être exécuté à coup de balles dum-dum fonçant vers sa cible, avec un bruit sourd par la chambre d’écho du silencieux. Il s’agit bien d’une menace voilée, ou du moins, d’affirmation que Poutine ne bougera pas de ses positions actuelles, qu’il sent la victoire au bout du Mig-29 et qu’il n’est pas là pour traiter selon les conditions de celui qui ne s’est pas directement battu au cours de cette guerre de six ans en Syrie, mais sur le point de partager les bénéfices avec les « braves », seraient-ils même des barbares hirsutes des milices chiites et du Hezbollah…
Depuis le début de l’intervention de la Russie aux côtés d’Assad -et, par voie de conséquence, de l’Iran, premier sur le terrain depuis 2013, par Hezbollah et consorts interposés – il a toujours existé deux scénarios potentiels : le roman rose et le roman gris, dans les rapports entre Moscou et Jérusalem. Mais Bibi Netanyahu a toujours choisi de discuter en tête-à-tête, sachant qu’au final, Israël est et demeure seul, quel que soit le problème à traiter : la centrale de Saddam à Osirak, le réacteur d’Assad près de Deir Ez Zor, ou la double-menace proche et lointaine de l’Iran, par Hezbollah et missiles balistiques interposés. La Russie est, ici, plus une entrave, un bouclier et un obstacle qu’un ennemi au sens guerrier du terme…
Poutine est parvenu à arracher sa petite larme sur son enfance auprès d’une famille qui lui parlait de la Torah, à Saint-Petersbourg ou dans sa manière de caresser dans le sens du poil de barbe les Habad locaux, porteurs de son message au reste du monde juif : « Je ne suis pas votre ennemi ». On l’a rêvé en défenseur de la veuve juive et de l’orphelin, face aux menaces d’extermination iranienne : « Il y a 1, 5 million d’ex-citoyens russes en Israël et je me considère responsable de leur sécurité ». Cette autre part de légende plaisait aux foules juives et à ces expat-rapatriés d’ex-URSS. Comment le bon Tsar Vlad 1er pourrait-il se retourner contre ses « enfants? ». A croire que les millénaires de cohabitation avec l’âme « slave » n’ont pas encore assez endurci ce bon vieux sentimentalisme juif qui fait perdre la lucidité suffisante et nécessaire à la mise en alerte et en mode-survie…
Il y aurait cette proximité de cœur et puis, on ne doit rien retrancher des intérêts effectifs de la Russie : pour la start-up Nation israélienne, mais aussi l’attrait du Leviathan et de Tamar, dans une éventuelle alliance à trois ou plus, avec l’Egyptien El-Sissi, dans l’Est de la Méditerranée. Jusqu’à un certain point, cette doctrine reste valide, puisque Poutine a besoin, dans cette autre partie sud du bassin méditerranéen, du Président égyptien comme homme fort et appui de l’autre général Haftar en Libye, afin d’y asseoir un autre port, complémentaire de Tartous, en Cyrénaïque…
Et puis, il y a la deuxième version : celle de la nostalgie d’empire des anciens du KGB dont fait précisément partie Vladimir Poutine, ce défenseur les armes à la main, seul contre la foule et qui la fait fuir, de la résidence des services spéciaux et de la Stasi à Berlin-Est, au moment de l’effondrement du Mur. Ce Maître d’échec et de poker qui a fait plier un à un tous les oligarques pour s’emparer du pouvoir politique et financier, de Gazprom et des restes de « l’empire », qui a emprisonné et broyé tous ses opposants et qui ne s’est jamais vraiment remis des « humiliations », réelles et/ou supposées, que sa patrie a ou aurait subi (subjectivement parlant), lors de son démembrement, notamment sous Eltsine, de la part d’un Occident triomphaliste.
Il ne faut jamais sous-estimer ni oublier tout ce qui constitue le narcissisme politique d’un homme, qui trace son destin, de petit employé des services secrets russes, jusqu’à la mairie de Saint-Petersbourg, puis vers les sommets de l’Etat à la demande de ses anciens employeurs. Ils lui ont fait comprendre à quel point, à ce tournant dramatique de l’effondrement de cet empire, il est « l’homme qu’il faut à la place ou il faut ». Fait par l’histoire, il est l’homme qui doit la réaliser…
Pour aboutir à une paix durable, les Occidentaux -et les Israéliens sont parmi les mieux placés pour cela- auraient pu ou dû ou voulu se contenter d’un « status-quo », d’un nouvel équilibre des forces auto-dissuasives, où, comme du temps du « Mur », chacun sait, finalement bien, parce qu’il les voit devant ses yeux, ce que sont les « lignes rouges » de l’autre.
Or, les miradors et rangées de barbelés et de grillage allant de Berlin à Berlin n’existent plus. La théorie « asianiste » a remplacé le désir d’hégémonie sur l’Europe, dans les milieux nationaliste autorisés russes. L’Iran est, pour la Russie, indispensable afin que Téhéran ne sombre point entre les bras du concurrent chinois, grand consommateur d’énergies iraniennes. Sur le plan géostratégique, l’Iran est, comme la Turquie, à l’autre croisement vers l’Europe, au carrefour de l’Asie Centrale, par son influence sur les Talibans contre les Occidentaux et de l’Extrême-Orient, par son partenariat atomique et balistique avec PyongYang, qui fait trembler Tokyo, Séoul et les alliés de l’Amérique dans le Pacifique.
De ce point de vue, sans présager d’une coordination tout-à-fait assumée entre les Etats-voyous périphériques et les centres de Pékin et Moscou, les menaces croissantes de la Corée du Nord, suivies d’effets balistiques certains – ne se payant pas uniquement de mots-, jouent un rôle tout-à-fait utile à l’Iran (voire à Moscou) : elles servent à amuser et distraire ce grand fou de Trump : il pense être le seul en capacité de mener une Présidence comme un bluff total, où il jouerait le rôle de maître du monde… Englué, en politique intérieure, dans les algues des fameux effets des « hacking russes » à répétition et de la compromission des Mickaël Flynn et d’autres, entraîné, à l’extérieur, vers le SAS de panique, cette fois, du déclenchement d’un conflit limité, en tout cas suffisant à rétablir la « dissuasion », vis-à-vis de Kim Jung-Un. Trump n’a ni les moyens ni le temps de se laisser accaparer par la poussée vers l’Ouest de l’Iran, ni par les inquiétudes bien réelles de Jérusalem et de ses émissaires les plus brillants (envoi du « Mannequin », Yossi Cohen, à la Maison Blanche).
Netanyahu n’est pas allé à Sochi abattre sa dernière carte pour revenir les mains vides, mais annoncer l’ouverture d’un nouveau chapitre des relations, sachant que Poutine ne reviendra pas en arrière sur ses alliances effectives et qu’il sait très bien quelles forces il coordonne.
D’ici quelques temps, la situation va radicalement changer au Moyen-Orient, à commencer par son épicentre, la Syrie. Parmi les nouveaux dossiers qui s’empilent, parallèlement à la chute progressive de Daesh, dont il ne faut pas non plus sous-estimer les nombreux retours de flammes, les résultats courus d’avance du référendum sur l’Indépendance du Kurdistan d’Irak, qui concerne plus ou moins directement tous les Kurdes de la région.
L’Iran et la Turquie, alliés des Russes, se mobilisent et se concertent pour savoir comment écraser ce mouvement populaire (en Syrie et en Irak), qui à terme, menace d’être comme la plaque sismique alimentée par les Occidentaux et Israël, traversant leurs rêves d’hégémonie dans la région. Selon la façon dont les différents acteurs impliqués réagiront, par la violence ou d’abord les menaces et le sabotage, un nouvel espace géopolitique conflictuel risque donc de s’ouvrir sous les pieds de l’Iran (et de la Turquie), à mesure que la résistance de Daesh s’amenuise.
Même si Trump préfère, de loin, s’entendre avec Poutine, l’un et l’autre n’ont plus, dans ce Mikado moyen-oriental, les mêmes intérêts ni les mêmes alliances, face à ce type d’enjeux. Les Rangers comme les forces spéciales de différents pays occidentaux sont présents, tant auprès des Peshmergas d’Irak que des YPG de Syrie.
Surtout, la nouvelle armée des Forces Démocratiques Syriennes, d’abord Kurdes, mais auxquelles se rallient de plus en plus d’Arabes de la région de Deir Ez Zor ou d’Abu Kamal, constitue une véritable alternative à l’armée régulière syrienne, dans la reprise de Raqqa et des rives de l’Euphrate. Cette victoire pressentie, à moyen terme, 60% de la ville serait déjà entre les mains des FDS, redéfinira les enjeux, sachant aussi que le véritable noyau dur de Daesh se reconstitue vers Al Mayadin, AbuKamal, Deir Ez-Zor, comme un nouveau combat pour l’Euphrate, à la lisière du reste « d’empire » en peau de chagrin de l’Etat Islamique.
Les milices chiites et l’armée syrienne n’auront donc pas gagné seules, la guerre de sept ans en Syrie, même avec l’aide de Poutine. La Jordanie, l’Arabie Saoudite ne veulent pas, comme Israël, des milices iraniennes à leurs portes. Les Etats-Unis, même un ton en dessous – et Trump déçoit beaucoup ses alliés sur ce plan, mais peut aussi la jouer plus finement qu’on ne l’en croit capable- fédèrent et cimentent une ligne de défense qu’ils n’entendent pas mener seuls au Moyen-Orient, sous la forme d’un substitut d’OTAN arabo-kurdo-egypto-israélien, qui fasse front contre la poussée russo-iranienne.
En évoquant des « lignes rouges », Netanyahu, flanqué de Yossi Cohen et de son nouveau Conseil à la Sécurité, Ben-Shabbat, ne fait pas que décrire la ligne de crête du Golan, ni espérer renvoyer le Hezbollah derrière les rives du Litani, au Liban. Il parle d’un nouveau bras de fer qui est en train de se consolider sur toutes les lignes où on peut aujourd’hui apercevoir un Russe, un Chiite, un Iranien, Afghan-Pakistano-Irakien, de Quneitra jusqu’à Kaboul. Il faudra, certes, se méfier de ses nouveaux amis comme de ses pires ennemis, mais on peut dire, dès à présent, que la nuit, tous les chats sont gris, au cœur du triangle formé par Moscou, Téhéran et Jérusalem. Avec le Kremlin, on parle encore et toujours de « Grand Jeu », rarement de qui, précisément, se cache derrière un rocher à quelques pas de la frontière supra-géographique…
La partie est loin d’être finie, on peut même dire qu’elle ne fait que commencer. Elle promet d’être bigrement risquée, mais passionnante…
Par ©Marc Brzustowski