Dix Israéliens au coeur des campus français
« Nazis » à Paris VIII, échanges passionnants sur d’autres campus: témoignage d’un groupe d’étudiants israéliens
La semaine dernière, dix étudiants israéliens ont effectué une tournée des campus français, invités par l’Union des Etudiants Juifs de France. Ils étaient venus lutter contre les campagnes de boycott à l’égard d’Israël et appeler au dialogue.
A Paris, Lyon, Bordeaux, ils se sont racontés, ont écouté et répondu aux questions. A Saint-Denis, ils ont été menacés et expulsés. Ailleurs, ils n’ont jamais été autorisés à pénétrer dans l’enceinte de l’université parce qu’ils étaient Israéliens.
Quelques jours seulement après leur retour en Israël, nous avons recueilli leurs impressions.
Le voyage commence en Israël. Les étudiants qui s’apprêtent à partir pour la France viennent des quatre coins du pays. Parmi eux, il y a Oz, étudiant à l’université de Beer Sheva, Perle de Jérusalem, mais aussi Dan, Batsheva et Sarah de Tel Aviv. Leurs domaines d’étude sont divers et leurs opinions politiques aussi. Ils font partie de l’association “What Israel”, créée par une poignée d’étudiants israéliens dans le but de promouvoir le dialogue entre étudiants et de lutter contre le mouvement BDS (Boycott, Disinvestment, Sanctions) qui prône le boycott d’Israël.
“Pourquoi tu me détestes ?
– Parce que tu tues des enfants.”
« La plupart des étudiants français rencontrent des Israéliens pour la première fois. « Pourtant, ils parlent d’Israël comme s’ils l’avaient toujours connu. Le plus dur est donc dans un premier temps de balayer les idées préconçues qui empêchent ou faussent le dialogue », expliquent les jeunes Israéliens.
Dans les facs françaises, les préjugés sont courants. Les “sionistes” sont un peuple, “sioniste” est une nationalité ou une insulte synonyme de “fasciste”. Les Juifs ne sont qu’une religion et pas un peuple, alors pourquoi auraient-ils droit à un Etat ? Ils vivent d’ailleurs sur des terres volées. Tous les Juifs sont israéliens, et tous les Israéliens sont juifs. Une conception qui ignore les 1.6 million d’Arabes israéliens. Tous les Israéliens sont soldats et par conséquent, ont tué des enfants palestiniens de leur plein gré. Sur tous les campus, la langue utilisée pour décrire le conflit israélo-arabe est la même. Un lexique qui semble avoir été formaté pas les médias.
i24news“A Tolbiac, un étudiant m’a lancé un regard menaçant après avoir craché sur le tract que je lui avais tendu”, raconte Batsheva, membre de la délégation. “Petit à petit, il a compris qu’il ne savait pas tout”, se souvient l’étudiante israélienne dont l’échange s’est terminé par une séance photo avec son interlocuteur et d’autres étudiants de Tolbiac qui avaient finalement accepter de l’écouter.
“Résistance de Saint-Denis à Gaza”, “Israël casse-toi, Palestine n’est pas à toi” “Israéliens, hors de la fac!”
Ce sont, entre autres, les slogans qui ont été scandés vendredi dernier à l’Université Paris 8 de Saint-Denis sur le passage de la délégation israélienne. Menacés par des militants pro-boycott, les étudiants israéliens ont été contraints de quitter le campus. La directrice de l’Université a fini par inviter la délégation à la rejoindre dans son bureau par une porte dérobée, précisant aux étudiants israéliens qu’ils devraient d’abord quitter le campus par l’entrée principale pour faire croire qu’ils étaient partis. Les Israéliens devaient ainsi être expulsés au vu de tous, puis réintroduits en cachette sur le campus..
Est-ce la démission de la fac et d’une présidente d’université qui a suscité le dégoût du côté des étudiants israéliens ? La délégation a poliment décliné l’invitation de la directrice. “En Israël, les délégations – surtout lorsqu’elles prônent le dialogue – sont reçues dignement, et entrent par la porte principale”, a rappelé Dan, étudiant dans la région de Tel Aviv.
“Dites-moi, vous devez savoir vous, quelle est la recette pour ouvrir une start-up ?”
Contre toute attente, le conflit est parfois relégué au second plan. A l’heure où les économies européennes sont en crise, la “Start-up Nation” attire l’attention et suscite même l’admiration. Désormais, Israël est (aussi) associé au dynamisme de Tel Aviv, ses plages et sa gay-pride.
On replace également Israël dans sa région, le Moyen-Orient. Les révolutions, les massacres, les attentats et les violations des Droits de l’Homme en Syrie, en Egypte et au Liban – trois pays voisins d’Israël- et dans toute la région – ont contribué à détourner l’attention de l’Etat hébreu. Pour un nombre grandissant d’étudiants, Israël s’impose comme la seule démocratie de la région.
“J’ai répété plusieurs fois que nos voisins à nous ne sont ni la Belgique, ni la Suisse, ni l’Allemagne… Cela les faisait sourire”, explique Sarah, membre la délégation israélienne, qui a utilisé à plusieurs reprises cette image pour illustrer la complexité de la situation.
“Mes parents m’avaient promis que je ne porterais jamais l’uniforme”
Certains aspects de la vie d’un étudiant israélien contrastent avec le quotidien d’un élève français. Il y a d’abord le service militaire, obligatoire pour les filles et les garçons. Puis les cours interrompus par les tirs de roquettes dans le sud du pays, ou par les périodes de réserve à l’armée. Là encore, les étudiants israéliens déconstruisent un préjugé : ils n’aiment ni la guerre et ni l’armée . “Mais nous n’avons pas le choix”, a répété Oz aux étudiants qui lui posaient la question.
Lors d’une conférence à Lyon 2, l’étudiant israélien a expliqué que ses parents n’avaient pas pu tenir leur promesse. A 27 ans, Oz a terminé son service obligatoire de trois ans et effectue des périodes de réserve chaque année.
“Je suis Iranienne, toi Israélienne. Tu veux bien me parler ? ”
Le passage de la délégation israélienne n’a pas échappé aux étudiants libanais, égyptiens et même iraniens installés en France dans le cadre de leurs études. Il aura fallu qu’ils parcourent des milliers de kilomètres pour pouvoir se rencontrer, loin de leurs pays d’origine respectifs. Ensemble, ils ont évoqué l’attachement à leur pays, leur identité, leur culture. Alors qu’étudiants israéliens et arabes parviennent à s’entendre sur ces convictions, le sentiment nationaliste semble être devenu tabou parmi les jeunes Français, a constaté Batsheva.
“Après l’épisode à Tolbiac où j’ai réussi à discuter avec des étudiants qui avaient craché en me voyant, je n’ai plus eu peur de parler à personne”
i24newsAprès sept jours sur les campus français, l’impression des étudiants israéliens est mitigée. “Il faut faire abstraction d’une parole antisémite qui s’assume complètement. J’ai été traitée de nazi quatre fois cette semaine, on m’a dit de retourner dans les chambres à gaz”, raconte Perle.
Malgré cela, les Israéliens sont rentrés optimistes et avec le sentiment d’avoir posé les bases d’un dialogue qui peut se poursuivre. Les étudiants croient connaître la situation sur le bout des doigts, mais ils manquent en réalité cruellement d’informations. “La plupart des gens sur les campus étaient prêts à nous écouter”, explique Batsheva, “Nous apportons une parole à laquelle ils n’ont pas accès”.
Les étudiants israéliens n’étaient pas venus dire qu’Israël a toujours raison, mais que la situation est plus complexe que celle décrite par les médias. Ils n’étaient pas venus appeler au boycott mais au dialogue. Ils n’étaient pas venus ignorer la souffrance palestinienne, mais rappeler que la souffrance existe également chez eux. Enfin, ils sont venus rappeler que les Israéliens aspirent à vivre en paix, aux côtés de leurs voisins. “Une idée évidente, mais qui a surpris la plupart des étudiants avec qui j’ai discuté”, raconte Sarah après un échange avec un étudiant de l’université de Lyon 2.
Certains ont prévu de se rendre prochainement en Israël “pour voir de leurs propres yeux”. D’autres ont promis d’être vigilants quant aux informations délivrées par les médias. Une certitude se dégage du récit des étudiants israéliens : ils continueront ce travail long, méticuleux, parfois dangereux, mais nécessaire.
Sarah Barembaum est rédactrice pour le site d’i24news.