L’Iran après les “accords” de Genève
Posted On 02 déc 2013By : Guy MillièreComments: 24
Je m’interdis à moi-même de trop consulter la presse française (à quelques exceptions près), car elle me donne vite la nausée. Les « accords » de Genève suscitent un enthousiasme quasi général en ce pays. Ils représentent un « espoir », dit l’un, ils sont un « geste dans la bonne direction » dit un autre. Ils montrent que l’Europe compte puisque c’est « Catherine Ashton qui vient donner la bonne nouvelle », ajoute un troisième. Et je ne parle même pas des erreurs factuelles. En 1938, au moins, il n’y avait pas ce genre d’unanimité nauséabonde. Je ne parle pas non plus des erreurs flagrantes d’analyse : on croirait que ces gens là n’ont jamais su ce qu’est un régime totalitaire et n’ont jamais croisé un islamiste. Il est vrai que la plupart expriment aussi un regret que Mohamed Morsi, démocratiquement élu, ait été renversé par le général Sisi : que voulez-vous, ils aiment les Frères musulmans, et ils voient en eux des « modérés », comme Leur sympathique prêcheur Youssouf al Qaradawi, qui exprime de temps à autre sa nostalgie (« modérée ») pour Hitler.
La réalité, que ceux qui ne lisent pas l’anglais ne trouveront guère ailleurs que sur Dreuz, et sur des sites israéliens francophones, est conforme à ce que Stéphane Juffa a écrit pour la Mena : il n’y a pas d’accord formellement signé entre l’Iran et les six autres « signataires ». Il y a un brouillon, qui reste inachevé, et qui ne débouchera sans aucun doute sur aucun accord formellement signé, ni maintenant, ni dans six mois. Tous les dirigeants politiques qui parlent d’ « accord » mentent. Mais ils sont conséquents avec leurs mensonges, et ils parlent d’accord à leurs populations. Et ils se précipitent déjà pour signer des contrats et faire rentrer de l’argent dans les caisses de la république des mollahs, qui ne va, bien sûr, pas le dépenser pour la population iranienne, dont le niveau de vie est en chute libre, mais pour continuer leurs programmes nucléaires (« civils », bien sûr, comme celui de la Corée du Nord sous Clinton), et pour financer de sympathiques organisations comme le Hezbollah et le Djihad islamique : dès lors que cela fera rentrer de l’argent en Europe aussi, pourquoi se préoccuperaient-ils du nucléaire iranien et du Hezbollah ou du Djihad islamique ? Tout se passera donc comme s’il y avait un accord.
Seul en Occident, Obama est rentré dans de menus détails, et il s’est trouvé immédiatement contredit par les dirigeants iraniens, qui ont rappelé qu’ils n’avaient strictement rien concédé, sinon des broutilles, et qui ont souligné qu’ils poursuivaient leur programme atomique (« civil », bien sûr) sans discontinuer. Quelques inspecteurs de l’AIEA feront du tourisme sur place, regarderont ce qu’on leur dira de regarder et partiront écrire un rapport où ils diront qu’ils n’ont rien vu et rien entendu : c’est ainsi que travaillent les agences de l’ONU, ce club de dictateurs qui vient de faire entrer Cuba à son Conseil des droits de l’homme (car Cuba selon l’ONU est exemplaire en matière de droits de l’homme, et c’est pour cela que les cercles sont carrés). L’uranium enrichi à vingt pour cent sera dilué à cinq pour cent, disent les dirigeants iraniens, si connus pour leur franchise qu’on peut leur faire confiance pour dire la vérité et ne rien dissimuler, car on se contentera de leur promesse : de toute façon toute personne qui n’est pas totalement ignorante en la matière (ce qui implique de lire autre chose que la presse française) sait que repasser d’un enrichissement de cinq pour cent à un enrichissement à vingt pour cent, puis à quatre vingt dix pour cent est l’affaire de quelques jours. Les centrales nucléaires figurant sur le brouillon sont uniquement et seulement celles qui ont été découvertes par les services de renseignement israéliens et américains : il en existe sans doute d’autres. Le complexe d’Arak, contrairement à ce qui a été dit de tous côtés, continue à se construire, sous le regard enthousiaste de Khamenei : et pour cause, c’est un endroit où on peut faire du plutonium. Les services de renseignement américains eux-mêmes considèrent que l’Iran a déjà assez d’uranium enrichi à vingt pour cent (qui peut être converti en uranium enrichi à quatre vingt dix pour cent) pour fabriquer six bombes atomiques opérationnelles.
Khamenei il y a quelques jours a renouvelé ses discours génocidaires contre Israël, on le sait, et je l’ai déjà dit, mais pas un seul dirigeant européen ou pas un membre de l’administration Obama ne prend cela au sérieux, cela va de soi.
Après Genève, le régime des mollahs est heureux : il a obtenu une reconnaissance internationale sans rien concéder. Il a obtenu des milliards de dollars, sans rien donner en retour. Il peut continuer à menacer Israël, sans qu’on lui dise quoi que ce soit. Il peut continuer à opprimer la population iranienne, sans qu’on lui fasse la moindre remontrance. Il peut envisager de déstabiliser l’Arabie Saoudite, qui se sait lâchée par Obama. Il peut continuer à financer le terrorisme international sans qu’on lui fasse une seule remarque. Il sait que l’objectif d’Obama était précisément d’isoler Israël, d’empêcher au maximum Israël de frapper l’Iran (donc de protéger le régime en place à Téhéran) et de lâcher l’Arabie Saoudite. Il sait que lorsqu’Obama parle de Khameney, il dit Guide suprême, en signe de respect : en allemand, la traduction est intéressante, et s’ils avaient eu affaire à Hitler, ils auraient dû employer un mot qui faisait fureur en Allemagne à l’époque.
Aux yeux d’Obama, Israël est coupable d’avoir été si longtemps l’allié de « l’impérialisme américain »
Aux yeux d’Obama, Israël est coupable d’avoir été si longtemps l’allié de « l’impérialisme américain », tout comme l’Arabie Saoudite. Obama est un « anti-impérialiste » conséquent. Pour lui, la république islamique d’Iran est « anti-impérialiste », et il comprend, et partage largement le point de vue des mollahs. Dinesh D’Souza explique cela remarquablement dans son livre The Roots of Obama’s Rage*. Je l’explique aussi dans Le désastre Obama* que, j’en suis sûr, aucun journaliste français n’a lu (à deux ou trois exceptions près). Obama était du côté des Frères musulmans, parce que c’est à ses yeux un mouvement anti-impérialiste, et le fait que l’Arabie Saoudite ait financé le renversement des Frères musulmans au Caire lui a profondément déplu. Dans tous ses discours consacrés à l’Iran, Obama n’a cessé de s’excuser de l’action américaine de soutien au shah contre Mossadegh en 1953, et il est clair que s’il avait été Président à l’époque, il aurait été du côté de Mossadegh, et aurait laissé l’Iran de l’époque glisser dans l’orbite soviétique. Il est clair qu’il considère le régime des mollahs comme légitime. Il est clair qu’il entend donner à l’Iran l’opportunité de devenir puissance hégémonique régionale. Il est clair aussi qu’il entend laisser la position de puissance tutélaire veillant sur l’hégémonie régionale de l’Iran à la Russie.
Comprenant ce qui se joue, Erdogan renoue des liens avec l’Iran, ce qui fait qu’un pays membre de l’OTAN se rapproche nettement d’une puissance « anti-impérialiste » islamique. Comprenant ce qui se joue aussi, l’Arabie Saoudite, les émirats du Golfe et l’Egypte se rapprochent eux-mêmes de la Russie, et d’une autre puissance « anti-impérialiste », la Chine.
Le désastre Obama au Proche Orient n’est pas encore complet, mais il avance à grands pas.
J’ai déjà décrit ce que seraient les prochaines étapes : ou bien l’Iran aura la bombe atomique et se sanctuarisera, comme la Corée du Nord, et pourra consacrer ses efforts au terrorisme islamique impunément. L’Arabie Saoudite se dotera de l’arme atomique. La Turquie aussi. L’Iran essaiera néanmoins de s’emparer des zones productrices de pétrole de l’Arabie Saoudite, où la population est chiite, et prendra sans doute le contrôle du détroit d’Ormuz.
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Ou bien l’Iran s’arrêtera au seuil de l’arme atomique, et Obama soutiendra un programme de dénucléarisation régionale qui visera Israël, et il aura, dans cette perspective de dénucléarisation le soutien des Européens et de l’Organisation de la Conférence Islamique.
Ce qui peut encore empêcher cela ? Une frappe israélienne. Rien d’autre. Ou Israël frappera, ou Israël devra choisir entre vivre avec l’arme atomique en Iran, en Arabie Saoudite et en Turquie, et se confronter à des pressions en direction de la dénucléarisation. Pour être absolument sûr qu’aucune frappe israélienne ne touchera l’Iran au cours des six prochains mois, Obama a programmé des manœuvres militaires israélo-américaines au mois de mai.
Le seul avantage que je vois à cette situation est que j’espère que cela ouvrira les yeux des Israéliens qui auraient encore des illusions. Le pire ennemi d’Israël n’est pas Khamenei, non : le pire ennemi d’Israël est à la Maison Blanche. Israël doit compter sur ses propres forces, je l’ai déjà écrit, et ne peut pas compter sur l’Europe, et moins encore sur quiconque dans l’administration Obama. C’est ignoble et insupportable, je sais. Mais c’est ainsi. Les Etats-Unis peuvent se relever. L’Europe ? Je n’y crois guère. Elle fut le continent d’Hitler, c’est aujourd’hui, plutôt, le continent des enfants bâtards du maréchal Pétain.
J’ajouterai, pour que l’urgence soit bien comprise, que les dirigeants iraniens ne sont pas des acteurs rationnels, et que la perspective de destruction mutuelle assurée, qui prévalait face à l’Union Soviétique ne leur fait pas nécessairement peur. Le chiisme duodécimain est porteur d’un message apocalyptique, considérant que l’imam caché, le douzième imam, reviendra sur terre dans des flots de sang (cf. frontpagemag.com).
J’ajouterai aussi une donnée jamais prise en compte par les analystes qui se proclament géopolitologues et qu’on rencontre en France : l’Iran est dans une phase de déclin démographique qui provoque un vieillissement très rapide de sa population. Et ce déclin démographique va de pair avec le délabrement de l’économie du pays (cf. iranprimer.usip.org). Les régimes en déclin qui s’imprègnent de discours bellicistes choisissent souvent la fuite en avant, vers la guerre. Celle-ci, comme l’écrit David P. Goldman, dont les analyses se sont toujours révélées pertinentes au cours des deux dernières décennies, est « probable, bien que pas nécessairement inévitable » (cf. pjmedia.com).
David P. Goldman ajoute, « la théocratie iranienne fait montre de la même panique apocalyptique concernant son futur démographique que celle exprimée par Hitler concernant le déclin supposé de ce qu’il appelait la race aryenne ». Hitler était paranoïaque, on sait où cela a conduit. Khamenei est paranoïaque, et dire, comme je l’entends ici ou là qu’il ne veut pas l’arme atomique relève de davantage que du simple aveuglement. Dire que l’Iran est un pays du tiers monde moins dangereux que l’Allemagne nazie implique de sous estimer gravement des dirigeants paranoïaques. L’arme atomique et le terrorisme ont changé la donne. Khamenei, qui a amassé l’une des plus grands fortunes du monde (96 milliards de dollars selon le magazine Forbes), peut, certes, choisir de vivre la fin de son existence sans faire la guerre, mais nul ne peut savoir ce qui l’emportera chez lui, la cupidité, ou le fanatisme. Et je ne parierais pas obligatoirement sur la cupidité.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour Dreuz.info.
PS. Pour ceux qui douteraient encore : Obama sait que l’Iran continue à construire à Arak, et il approuve. Voir : businessweek.com. J’ajouterai que des rumeurs insistantes circulent faisant état de l’ouverture de lignes aériennes directes entre les Etats-Unis et l’Iran, ce qui offre des perspectives intéressantes pour le frêt sur une ligne Téhéran-New York, par exemple), et de rapprochements entre l’administration Obama, le Hezbollah, et le régime Assad. J’y reviendrai.
A propos de l’auteur
Guy Millière, (spécialisation : économie, géopolitique). Titulaire de trois doctorats, il est professeur à l’Université Paris VIII Histoire des cultures, Philosophie du droit, Economie de la communication et Maître de conférences à Sciences Po, ainsi que professeur invité aux Etats-Unis. Il collabore à de nombreux think tanks aux Etats-Unis et en France. Expert auprès de l’Union Européenne en bioéthique, Conférencier pour la Banque de France. Ancien visiting Professor à la California State University, Long Beach. Traducteur et adaptateur en langue française pour le site DanielPipes.org. Editorialiste à la Metula News Agency, Israël Magazine, Frontpage Magazine, upjf.org. Membre du comité de rédaction d’Outre-terre, revue de géopolitique dirigée par Michel Korinman. Rédacteur en chef de la revue Liberalia de 1989 à 1992 Il a participé aux travaux de l’American Entreprise Institute et de l’Hoover Institution. Il a été conférencier pour la Banque de France, Il a participé à l’édition d’ouvrages libéraux contemporains comme La constitution de la liberté de Friedrich Hayek en 1994 dans la collection Liberalia, puis dans la collection « Au service de la liberté » qu’il a créée aux éditions Cheminements en 2007. Il a également été rédacteur en chef de la revue éponyme Liberalia de 1989 à 1992. Il a été vice-président de l’Institut de l’Europe libre ainsi que Président et membre du conseil scientifique de l’Institut Turgot. Il fait partie du comité directeur de l’Alliance France-Israël présidée par Gilles-William Goldnadel. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages.