Article ancien qui met à mal la crédibilité de la revue médicale anglosaxonne : Le Lancet.
Cet article datant déjà d’il y a quelques années, on peut facilement imaginer que la situation est encore pire aujourd’hui…
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Falsification, fabrication de données d’expériences, trucages d’images, erreurs délibérées… tour d’horizon des mauvaises pratiques dans la rédaction d’articles scientifiques
par Marc Gozlan.
Un nombre non négligeable d’études scientifiques sont « rétractées » chaque année pour diverses raisons. D’après une étude parue en 2011 la rétractation concernerait 0,02 % des articles biomédicaux. Et la moitié d’entre eux le serait pour cause de fraude. Si ce phénomène ne touche qu’une toute petite fraction des publications, il a tout de même été multiplié par dix depuis 1975.
Un phénomène marginal mais non négligeable
Une revue de littérature, analysant les déclarations de 11647 scientifiques dans 21 études différentes sur cette question, a révélé que 2 % des chercheurs rapportaient avoir fabriqué, falsifié ou manipulé des résultats au moins une fois au cours de leur carrière.
Par ailleurs, une étude publiée en 2005 dans Nature, réalisée auprès de 2231 chercheurs, a montré que 33 % d’entre eux avaient déjà eu un comportement de mauvaise pratique scientifique au cours des trois dernières années.
Enfin, l’existence d’une fraude a été retrouvée dans 94% des 228 cas d’inconduites scientifiques relevées entre 1994 et 2012 par l’Office of Research Integrity, organisme américain chargé de veiller à l’intégrité de la recherche scientifique.
Des cicatrices sur le corps moral de la science
Mais au fait, qu’est-ce que la rétractation ? Elle consiste au retrait de la littérature scientifique d’un article qui n’a plus rien à y faire et dont il ne convient plus tenir compte, ni citer.
Cela équivaut donc à avertir officiellement les chercheurs qu’un article n’aurait jamais dû être publié car reposant sur une mauvaise pratique de recherche. Les rétractations permettent donc de corriger la littérature scientifique, autrement dit de dénoncer l’erreur ou la fraude, et participent donc d’une certaine façon au rétablissement de la vérité.
Il n’empêche, comme le souligne Richard Horton, rédacteur en chef de l’hebdomadaire médical britannique The Lancet, qu’elles restent des « cicatrices sur le corps moral de la science ».
Loin de jeter le discrédit sur une activité humaine, aussi noble qu’indispensable, il nous est apparu essentiel de décrire, en nous appuyant sur les trop rares publications s’y rapportant, la réalité de mauvaises pratiques dans le domaine de la rédaction d’articles scientifiques.
Aimer la science et respecter le travail des chercheurs nous impose aussi d’informer nos lecteurs sur un problème qui jette parfois, évidemment à tort, le discrédit sur l’ensemble de la recherche, moteur de l’innovation et du progrès.
1) État des lieux du problème
- Quelle est l’ampleur du phénomène depuis les années 1975 ?
Publiée en octobre 2012, Ferric Fang, Grant Steen et Arturo Casadevall ont publié une étude parue dans les comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS) estime que le taux de rétractation liée à une fabrication et une falsification de données a été multiplié par dix depuis 1975. Rappelons que ces deux raisons caractérisent la fraude, la forme la plus grave d’inconduite scientifique.
Ces mêmes auteurs de Medical Communications Consultants (Chapel Hill, Caroline du Nord) et de l’Albert Einstein College of Medicine (New York) ont rapporté cette année dans PLoS One qu’entre 1973 et 2011, parmi les 21,2 millions d’articles indexés par la base de données PubMed, 890 ont été rétractés pour fraude. On compte ainsi sur cette période de 38 ans un article fraduleux pour 23799 publications, ce qui représente un taux de rétraction de 0,004%.
Un chiffre qui ne reflète cependant pas l’ampleur du phénomène actuel. En effet, l’ensemble des études montrent que le nombre de rétractations pour mauvaise pratique scientifique est en constante augmentation depuis ces dernières années.
Surtout, notent ces chercheurs, l’augmentation du nombre de rétractations pour fraude ou erreur s’avère supérieure à l’accroissement du nombre des articles publiés entre 1995 et 2005, ce indique donc une « véritable accélération » des rétractations au cours de cette période.
- À quand remonte la première rétractation d’un article scientifique ?
C’est en 1973 qu’un article a été pour la première fois indexé dans la base de données PubMed/Medline en tant que publication rétractée.
Les premiers articles rétractés pour plagiat ou erreur l’ont été en 1979. L’annonce d’une rétractation au motif que l’article n’était qu’une duplication de résultats antérieurement publiés remonte à 1990.
Ce n’est qu’en 1984 que les rétractations identifiées ont commencé à faire l’objet de notices spécifiques indexées dans PubMed.
- Quelles raisons peuvent entraîner la rétraction d’un article ?
Un article scientifique peut être rétracté pour plusieurs raisons. Il a été rapporté que sur 2047 articles ayant subi une rétractation jusqu’en mai 2012 parmi tous ceux indexés dans la base de données biomédicales PubMed, 97% d’entre eux l’avaient été du fait de la présence d’une unique infraction. Il s’en trouvait tout de même 2% à cumuler deux types de mauvaises pratiques et 0,2% à regrouper trois sortes d’inconduites scientifiques.
Ces inconduites peuvent-être de plusieurs types :
– La fraude, la forme la plus grave d’inconduite scientifique (misconduct). Elle peut se manifester sous la forme de falsification de données (distorsion délibérée, manipulation sélective…) ou même de fabrication de données (création de données fictives).
– Données incohérentes : confirmation par d’autres chercheurs d’un doute sur la véracité des données publiées.
– Le plagiat : publication de données ou d’un texte déjà publié par d’autres chercheurs et sans mention de la publication d’origine.
– Publication redondante : publication multiple des mêmes données (articles qui se recoupent) ou auto-plagiat.
Mais on peut citer encore beaucoup d’autres mauvaises pratiques : problèmes éthiques sur la recherche incriminée, conflit entre auteurs dont certains demandent la rétractation de leur article, soumission simultanée d’un même article à deux revues internationales qui acceptent de le publier, erreur de validation ou d’interprétation des données (de bonne foi ou délibérée), erreur d’ordre administratif lors de l’édition de l’article, ou encore impossibilité de reproduire les résultats par l’équipe signataire de l’article ou d’autres chercheurs.
- Quels sont les domaines scientifiques les plus touchés ?
Une étude sino-américaine, publiée en octobre 2012 dans la revue PLoS One, indiquait que la médecine et la biologie sont des disciplines particulièrement exposées aux fraudes à en juger par le nombre de rétractations identifiées. Ainsi, ces deux domaines des sciences de la vie et la chimie concentrent bien plus de rétractations que d’autres disciplines scientifiques, telles que les mathématiques, les sciences de l’ingénieur, la physique, les sciences de la terre et de l’espace, l’agronomie, ou encore les sciences sociales.
- Les chercheurs de certains pays fraudent-ils plus que d’autres ?
Deux études publiées l’an dernier dans PLoS One et dans les PNAS ont analysé l’origine géographique des chercheurs fraudeurs. Il ressort que les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon et la Chine sont les pays où travaillent le plus grand nombre de scientifiques adeptes de mauvaises pratiques de recherche. À eux quatre, ces pays, qui ont une longue tradition de recherche scientifique, réunissent les trois-quarts des rétractations pour fraude.
Deux pays totalisent à eux deux plus de cas d’articles rétractés pour plagiat que les États-Unis : la Chine et l’Inde. À noter qu’une enquête journalistique parue fin novembre 2013 dans Nature rapporte que des officines chinoises se chargent, moyennant finance (de 1600 à 26.300 dollars), de placer en bonne place comme co-auteur, un chercheur qui n’aura ni talent, ni l’énergie, et encore moins la volonté, de mener à bien ses propres recherches ! Un vrai marché noir de la publication scientifique.
Ces mauvaises pratiques seraient-elles devenues plus nombreuses depuis que la Chine a accédé à la seconde position mondiale, derrière les Etats-Unis, en termes de nombre de publications scientifiques. Celui-ci a littéralement explosé en dix ans, passant de 41.417 articles en 2002 à 193.733 en 2012.
Une étude française analysant les cas de rétractations intervenues en 2008 d’articles indexés dans la base de données PubMed montre que l’Inde et le Japon se distinguent par la fréquence des cas de fraudes avérées, avec respectivement 43% (15 cas sur 35) et 48% des cas (12 cas sur 25). Elle confirme que le plagiat est fréquent parmi les chercheurs travaillant en Chine (34% des cas de rétractions, 10 cas sur 29). En revanche, il apparaît que les États-Unis sont bien placés pour ce qui des rétractations pour erreur (60% des cas, 31 sur 52) et que 36% des cas de plagiats ont été identifiés dans des publications de chercheurs du Royaume-Uni.
Une récente étude sino-américaine rapporte qu’un pourcentage plus élevé d’articles émanant de Chine, d’Inde et de Corée du Sud ont été rétractés ces dernières années par rapport à ce qu’on observe concernant les travaux publiés par des chercheurs travaillant aux États-Unis, dans l’Europe des 27 et au Japon.
Aucun chiffre n’est disponible pour la France, si ce n’est qu’elle figure parmi les 11 pays où des cas de rétractions pour plagiat ont été notifiés dans une étude parue en 2012 dans les PNAS. Plusieurs cas de rétractations ont récemment été signalés dans des revues biomédicales françaises (Progrès en Urologie, Revue Sage-Femme, Biologie Aujourd’hui).
- Les revues scientifiques les plus prestigieuses sont-elles aussi concernées par les rétractations d’articles ?
On compte parmi les revues comptabilisant le plus grand nombre d’articles rétractés pour fraude des journaux aussi prestigieux que Nature, Science, Cell, PNAS, mais également des périodiques médicaux d’importance tels que Blood ou le New England Journal of Medicine. Le comble lorsqu’on sait que tout chercheur en biomédecine espère un jour avoir le bonheur d’être publié dans ces périodiques à très fort « facteur d’impact » ! En effet, la publication d’articles dans ces revues majeures sert à l’évaluation des chercheurs et des institutions qui les emploient. Il s’agit donc d’un élément déterminant dans la carrière de tout scientifique.
Le fait que des revues à fort facteur d’impact soient plus souvent concernées par les rétractations que les autres suggèrent à Evelyne Decullier, Géraldine Samson et Laure Huot (Hospices civils de Lyon) que « ces revues publient plus fréquemment des articles imparfaits ou que ces imperfections y sont plus souvent détectées, notamment par leur plus grande diffusion ».
Une récente étude américaine, portant sur les rétractations signalées entre 2000 et 2010, révèle que celles pour fraude concernent plus souvent des articles parus dans des revues à facteur d’impact élevé et que les chercheurs impliqués sont plus nombreux que dans les cas d’articles rétractés pour erreur.
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