En fait, cet homme nous parla de lui, d’une manière assez ostentatoire. Nous assistâmes à quelques-uns à cet étonnant monologue à la française, et découvrant son pedigree pré-chrétien, ma foi prestigieux, ce dont nous n’avions nullement cure pour être fidèles à la pensée de Paul qui nous enjoint à considérer ces choses comme balayures, nous réalisâmes très vite que nous n’aurions pas la possibilité de prononcer ne serait-ce que quelques paroles qui lui permettraient de percevoir les rudiments de notre réalité de ministère, d’église, etc.…
Je fis malgré tout une courte et désespérée tentative, vite interrompue par notre visiteur pressé, plein de superbe et d’ostentation. Une moue significative vint se dessiner sur son visage et nous comprîmes alors qu’il avait déjà été informé ailleurs nous concernant. Nous comprîmes aussi que ce qu’ailleurs lui avait donné comme informations lui suffisait et que l’information ait été bonne, mauvaise, ou même complètement éloignée de la réalité n’avait aucune espèce d’importance. Ce qui importait, c’était de faire du nombre, de rallier un maximum d’églises.
Je compris qu’en tant qu’église indépendante, si nous rentrions dans un tel type de fédération « d’églises indépendantes », nous serions en fait appelés avec d’autres à faire tapisserie et nombre, sous la présidence d’un homme particulièrement « indépendant » à notre égard.
Nous n’étions que des pions destinés à servir des intérêts « supérieurs » dont il ne convenait pas qu’on nous détaillât le contenu, mais dont nous devinions fort bien l’existence.
Alors ? Père spirituel ou Chronos dévoreur d’enfants ?
Revenons-en à mes débuts.
A l’époque où me fut donnée cette prophétie dans cette convention par les deux serviteurs de D.ieu dont il était question plus haut, très jeune chrétien, ébloui nuit et jour par la présence du Saint-Esprit, je percevais à travers le prisme de ma nouvelle innocence les chrétiens comme faisant partie d’un même corps. Imaginer autre chose à ce stade de ma jeune vie chrétienne eût été, je vous l’affirme, inouï, démentiel, pervers. J’allais hélas, comme tant d’entre nous, déchanter.
Dans le même temps que je fréquentais les rencontres organisées par un évangéliste au puissant ministère et au travers duquel j’étais venu au Seigneur (je vous rappelle que c’est dans une de ses réunions que mon appel me fut prophétisé en premier), je commençai à fréquenter une assemblée dans la ville où j’habitais.
Je revins donc un jour du fond de la France, heureux du fait que D.ieu m’appelât à son service. Encore tout émerveillé de l’atmosphère pleine des richesses de l’Esprit dans lesquelles j’avais baigné, je communiquai à quelques diacres et anciens de l’assemblée que je commençais à fréquenter ce que je venais de vivre en matière de prophétie reçue. Tout emporté par la joie, non pas de ces choses, mais de la présence de D.ieu dans ces choses, je ne pris pas garde aux mines renfrognées que je vis apparaître devant moi.
Dans les deux ou trois jours qui suivirent, ces mines renfrognées avaient accompli leur sinistre besogne. Je n’avais pas encore eu l’occasion de lire l’histoire de Joseph et de ses frères dans ma toute nouvelle bible aux dorures encore craquantes sous les doigts empressés mais j’allais « être mis au parfum ».
La joie de la présence du Seigneur me faisait aimer les réunions qui se prolongeaient longtemps, longtemps. Je crois que, si l’on m’avait proposé des réunions de plus d’une semaine d’affilée, j’y serais venu avec sac de couchage et sandwiches.
Lorsque les réunions se terminaient, il me fallait de longs moments avant de quitter mon siège. Un certain jeudi, ou était-ce un mardi ? je ne sais plus, l’église se vidait donc autour de mon épouse et moi, alors que nous restions dans la présence du Seigneur. Au bout d’un long moment, nous nous levâmes et nous tournâmes vers la sortie. Une surprise nous attendait à quelques pas de la porte d’entrée devant laquelle une haie de six ou sept hommes faisait une muraille impénétrable. Au milieu de cette frontière humaine se trouvait le jeune pasteur ; regard aiguisé et index sévèrement pointé vers moi, il prononça avec autorité des paroles amères : « Que viens-tu chercher ici, toi ? » (Autrement dit, quel mal cherches-tu à nous faire, ou que sais-je d’autre … ?)
Le tableau devant moi poussait presque à rire : on aurait dit les « sept mercenaires » d’après le western bien connu. Au centre, un pasteur en « caïd justicier », semblait vouloir réclamer justice avec ses acolytes offensés par je ne sais quoi dans mon attitude.
Il manquait un peu de barbe à ce frère, sans quoi, je vous l’assure, on l’aurait pris pour un Moïse « furibard » de péplum.
Fort heureusement, ce trop jeune pasteur avait encore à perdre quelques illusions superficielles telle que la cravate obligatoire comme emblème chrétien significatif pour le culte dominical.
Devant l’index accusateur du pasteur, fut-ce la direction du Saint-Esprit, je ne sais, mon regard obliqua d’un ou deux degrés vers la gauche, vers le visage noué par l’amertume de l’homme à son côté. Je compris immédiatement que l’œuvre de la jalousie avait fait son parcours dans le cœur d’un ancien. Nul n’avait en fait rien à me reprocher.
Comme la prophétie qui m’avait été donnée ne l’avait pas été au sein de l’église par le pasteur, et comme ce n’était pas l’ancien à sa droite qui l’avait reçue, je devenais l’homme à abattre, moi, le jeune chrétien, le désormais quasi envoyé de Satan. On avait dit je ne sais quoi me concernant, je n’ai jamais su quoi, et j’avais déjà été jugé.
En fait, la jalousie la plus cynique à l’égard d’un jeune converti de la part d’un « ancien » (mais quel genre d’ancien est-ce là ?) avait répandu son venin, probablement à coups d’exagérations, voire de mensonges, pour engendrer une telle réaction. Étonnamment, j’ai rencontré plusieurs fois depuis ce genre de scénarii avec toutes sortes de variables. Le bon grain est semé avec l’ivraie dans le corps. La jalousie et l’envie, la calomnie, sont hélas présents.
Judas a trahi l’amitié que lui portait son maître. Il ne nous sera pas fait moins. Mais que dire de ce jeune pasteur et de ses acolytes ? Pères spirituels ou Chronos ? Il va sans dire que ma confiance dans ces hommes fut largement ébranlée, et j’étais, je vous le rappelle, un tout jeune converti, avec ses problèmes, ses besoins d’aide, mais un homme déterminé à la loyauté à l’égard de ses responsables.
Quelle immaturité ! Si ce pasteur avait prié quelques instants, il aurait flairé immédiatement le piège. La seule connaissance de son entourage aurait dû le rendre prudent, car les problèmes se lisaient clairement sur les visages et dans les comportements de certains de ses « sept mercenaires » prêts à « dégainer » face à un couple de jeunes chrétiens à la sortie de leur église.
Je n’eus pas de peine à laisser de côté cette prophétie concernant mon appel, car je n’avais aucune intention d’en provoquer la réalisation. Ce n’était pour moi qu’une simple prophétie.
Et j’étais de toute évidence disposé à attendre sa mise en place par le Seigneur si elle devait se mettre en place. J’oubliai la chose, mais ne pus oublier les terribles tourments et oppressions que nous fait subir notre ennemi à tous.
L’année et demi qui suivit devint pour moi terrible ; en même temps que je sentais le Seigneur à mon côté, je dus faire face à de béantes plaies émotionnelles du passé et l’absence de conduite paternelle et pastorale crédible ne m’y aida en rien.
Je dus affronter des gouffres et des angoisses terribles avec le secours, il est vrai, d’interventions surnaturelles tout à fait étonnantes, et plusieurs visitations angéliques, dont hélas je ne profitai pas comme il l’aurait fallu, comme le cœur de mon Père céleste aurait voulu que j’en profite. J’étais affaibli, solitaire, déstabilisé dans ma jeune marche avec le Seigneur. J’eus également à affronter le péché et la chute, avec là aussi, le jugement, la dureté, le rejet, alors que j’étais manifestement victime de puissances démoniaques et que, sans chercher à minimiser mes propres responsabilités, j’aurais eu c’est évident besoin d’être entouré, aidé et délivré.
Le pasteur dont il est question plus haut, alors qu’il me visitait à domicile et qu’il utilisait gratuitement des locaux attenants à mon habitation pour entreposer du matériel appartenant à son église, m’annonça un jour subitement et froidement alors qu’il était confortablement assis dans mon unique fauteuil et qu’il me faisait une visite pastorale censée m’encourager, qu’il renonçait désormais à nous visiter et à garder un quelconque contact avec nous car j’étais à ses yeux un rebelle. Il m’annonça cela alors que rien dans notre échange à cette époque ne permettait de le supposer. Cet homme ne pouvait pas m’aider et au lieu de me l’avouer tout simplement et de chercher avec moi une solution auprès d’un collègue, il préféra m’abandonner.
Fort heureusement, le Seigneur Lui ne nous abandonna pas.
Je vous le répète, le Seigneur nous soutint, les anges nous visitèrent, le Saint-Esprit nous inspira des stratégies audacieuses pour vaincre, mais où étaient nos pères, pour nous aider à franchir nos gouffres, des gouffres dangereux ?
Nous vécûmes ainsi, mon épouse et moi, des mois entiers sans assemblée. Il n’en existait aucune à des kilomètres et des kilomètres à la ronde dans notre région des Ardennes, délaissées depuis des siècles par rapport à la propagation de l’Évangile ; les Ardennes belges, une région spirituellement parlant construite sur le vieux pandémonium toujours très actif et très présent des vieilles pratiques celtiques et germaniques, le tout superficiellement recouvert d’une mince pellicule de religiosité catholique et largement syncrétique, une religiosité essentiellement teintée de superstition, de mariolâtrie et d’un ciment social : on naît catholique et l’on meurt catholique. Car on est en terre de tradition, d’abord et avant tout, et ARDENNES vient du vieux celte : ARD ENN qui signifie terre rude.
Nous témoignions néanmoins du Christ, là où nous le pouvions, essentiellement nourris par notre découverte de la Parole de D.ieu, les cassettes de l’évangéliste français qui encadra les débuts de notre conversion et l’aide puissante du Saint-Esprit, dont nous pratiquions de plus en plus les dons.
Nous apprîmes à obéir au Seigneur, comme ce jour fameux où, en début de mois, il nous restait pour vivre, en fait, juste ce qui correspondait à la dîme de nos revenus, lorsque nous avions payé l’essentiel : loyer, téléphone ou électricité. Nous en étions au quatre ou cinq du mois, et il nous restait en mains deux mille francs belges, c’est-à-dire exactement dix pour cent des vingt mille francs belges dont nous disposions chaque mois à l’époque.
Notre situation était précaire, car j’avais bien entendu renoncé à ma situation d’homme de théâtre. J’aurais pu aisément retourner vers une de mes activités professionnelles anciennes, dans le domaine de la photographie, ou du design par exemple (j’avais été décorateur de plateau chez un des photographes les plus connus d’une grande ville européenne, j’avais occupé divers emplois du domaine artistique et je connaissais bien des gens), mais je ressentais qu’il me fallait rester tel que j’étais, car D.ieu avait préparé un tout autre chemin, et ce chemin était pavé d’expériences riches, mais toujours soumises à l’obéissance et à l’apprentissage de la foi.
Je proposai donc à ma femme en ce fameux début de mois de l’année 1982, au fond de notre maison de pierres battue par les vents ardennais, que nous franchissions un pas important. Car l’Esprit-Saint m’interpellait sur le don de la dîme, c’est-à-dire les deux mille francs belges qui nous restaient, comme en chaque début de mois, les deux mille francs qui nous permettaient de vivre à peu près correctement pendant moins d’une semaine. Après…
Nous résolûmes ensemble de nous laisser convaincre par ce que l’Esprit nous demandait, et nous offrîmes cette dîme, tout ce qui nous restait pour vivre, à l’œuvre qui nous soutenait par son enseignement et ses cassettes.
Vous décrire comment nous vécûmes ce mois dans lequel nous étions entrés m’est impossible. Nous échappâmes littéralement à l’espace temps, vécûmes ce mois en cinq minutes, réellement en cinq minutes sous une couverture d’amour de notre Père céleste absolument extraordinaire. Il m’arrive quelquefois de me demander si nous avons bien vécu ce mois sur la terre à mesure que nous l’avons vécu, ou ailleurs… Car ce fut une succession de miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Sans que nous ne demandions rien, ni ne parlions à qui que ce soit de notre situation, les miracles vinrent à notre rencontre, dans une espèce de défilement du temps extraordinairement accéléré et heureux. Je ne sais toujours pas aujourd’hui si nous étions sur la terre ou ailleurs pour vivre ces choses, mais je sais qu ‘à travers elles D.ieu a en Son cœur de Père un extraordinaire réservoir d’amour et qu’Il aimerait quelque peu communiquer Son état d’esprit et Sa générosité à des hommes que l’on pourrait appeler pères spirituels, par exemple.
A la même époque, nous reçûmes en provenance de l’œuvre française comme à l’accoutumée, une casette audio. Elle était inhabituelle dans son contenu : l’homme de D.ieu qui s’exprimait d’ordinaire d’une façon tellement positive, celui qui nous avait apporté tant de bénédictions, avait perdu sa paix et réglait à travers cette cassette des comptes. Nous reçûmes instantanément la conviction très forte qu’il nous fallait suspendre la réception de ces cassettes qui avaient été notre seul réconfort pendant de longs mois. L’espérance d’un père spirituel s’évanouissait de nouveau à l’horizon. La chose était d’autant plus grave que je continuais à vivre des attaques intérieures régulières et violentes de la part de Satan, et, un jour, après avoir crié à D.ieu, car je ressentais avoir besoin de délivrance, j’annonçais à mon épouse que nous allions coûte que coûte et dès le lendemain rechercher un culte dominical.