Lorsque, ensuite, tu as tourné tes regards vers le ciel qui te semblait pourtant vide, si grand, si vaste, rappelle-toi, ton âme a poussé un tel cri de détresse ! Et pour la première fois, mêlée à tes larmes, tu as osé une immense interrogation silencieuse vers moi.
J’ai attendu cet instant depuis si longtemps ».
L’inconnu, après une nouvelle pause :
« Pour toi aussi, j’avais donné des ordres afin que ta vie soit gardée tout au long de tes errances et pendant toutes ces années écoulées.
Tu n’as pas la sensibilité de Dreyfus et tu ne t’es pas aperçue de mes interventions. Par exemple, lorsque tu dormais dans la voiture qui t’avait embarquée en auto-stop entre Bruxelles et Paris, voici quelques années déjà. Tu te souviens ? Cette voiture a quitté la route en franchissant avec grande précision l’unique espace ouvert de quatre ou cinq mètres dans l’infini rail de sécurité qui bordait l’autoroute. C’était mon intervention… Le conducteur de la voiture s’était endormi ! Après l’ouverture dans les rails de sécurité, il y avait un talus de deux ou trois mètres. L’énorme tas de pierrailles amenées là, « par hasard », le jour-même pour la création d’une voie d’accès, c’était encore moi ! Votre voiture s’est enfoncée lentement dans un nuage de poussière sans qu’il y eût même à freiner. Te le rappelles-tu ?
Si tu avais été attentive, dans ton for intérieur, tu aurais su, tu aurais compris que toutes ces coïncidences n’étaient pas naturelles ».
Sans-Nom : « ….. »
L’inconnu : « En ce moment, je m’occupe aussi de l’épouse de Dreyfus. Tu ne la connais pas. C’est une noble âme. Elle est très proche de moi maintenant. Je lui ai envoyé une de mes chères filles pour qu’elle s’en fasse une amie. Elle l’aide sur la route. Mon envoyée s’appelle Myriam Bloch et sa famille provient du grand port d’où tu es partie.
Je dispose ainsi sur cette terre de nombreux amis et alliés. Ce sont des gens ordinaires, de toutes professions, de tous niveaux sociaux. Certains sont de très fidèles alliés pour m’aider à conduire ceux qui sont sur le chemin. D’autres le sont moins et j’en suis attristé. Mais ils sont libres. Mes amis sont libres, totalement libres. Toujours ! Sans cela ce ne serait pas des amis ! »
Sans-Nom : « Es-tu le général rouge ? Et les blessures que tu portes, les as-tu reçues au combat ? »
L’inconnu : « J’ai effectivement vécu de grands combats et le plus grand de tous les combats. Mais je ne suis pas le général rouge. J’ai permis que tu achètes jadis au bazar de Hong-Kong la grosse bague à pierre rouge que tu as au doigt. Tu l’as achetée en mémoire de ton père inconnu, que tu crois être le général rouge. Si je t’en ai permis l’achat, une pièce unique qui ne s’est retrouvée qu’une fois sur un étal dans toute l’histoire du marché de Hong-Kong, c’est parce qu’ainsi j’ai toujours souhaité attirer ton attention sur autre chose qui me concerne et qui t’est bien plus favorable. »
Sans-Nom : « Alors, l’argent providentiel pour l’achat de la bague à Hong Kong, c’était…toi ? »
L’inconnu dans un sourire : « C’était moi. »
Sans-Nom : « Connais-tu les Kaisers ? Et les Jovens ? Sais-tu ce qu’est devenue ma mère ?… Connais-tu un certain Polsky-Fal ?
L’inconnu : « Je connais fort bien Polsky-Fal. Je connais aussi Kazak-Star. Et d’emblée, laisse-moi te dire que Kazak-Star est peut-être la plus grande victime parmi vous tous. Je sais pourtant comment Kazak-Star a utilisé des parfums magiques pour te ravir ton fiancé. Je connais aussi toute la noirceur de son coeur et de ses moeurs débauchées. Beaucoup ont utilisé sa beauté et sa jeunesse pour satisfaire leurs passions et elle y a souvent consenti. Mais il y a tout au fond d’elle une petite fille que j’aime. Et s’il se présentait à elle un homme capable de l’aimer pour elle-même, et non de désirer sa beauté comme une brute, elle vivrait une tout autre vie.
Quand j’aurai finalement arraché Polsky-Fal à ses errements, je l’utiliserai pour mettre Kazak-Star sur la route. Et comme, tout au fond, son coeur est ouvert, j’interviendrai puissamment en sa faveur pour lui faire voir la lumière. Je la nettoierai et la consolerai après qu’elle aura pris conscience de la laideur de son existence, de ses mauvais choix et de ce que je peux faire pour elle.
Toi, Sans-Nom, je vais t’utiliser bientôt pour aider Polsky-Fal à finir son parcours. Tu lui raconteras simplement tout ceci, et tout ce qui va survenir dans les prochaines minutes. Tu retourneras ensuite vers lui. Mais avant, il te faudra revoir Il Li-Yii, car cet homme bon a tant souffert de ton départ… Et sans que tu t ’en sois rendue compte, la honte que tu as ressentie tout à l’heure en pensant à lui et à ta colère, c’était aussi moi… »
Sans-Nom sent à nouveau cette honte poindre en elle, pénible, pesante du poids d’une pierre énorme que nul ne pourrait soulever. Et en quelques instants, alors qu’elle croise pour la première fois le regard de l’homme qui lui tend d’une main un premier poisson cuit sur la braise et de l’autre main un pain frais, elle se souvient de toute une série de petits faits peu glorieux que sa mémoire avait enfouis.
La pierre de la honte l’écrase alors comme un immense nuage sombre. Des larmes viennent à ses yeux et l’homme à ses côtés dépose un nouveau poisson frais sur le foyer improvisé.
« En ce moment-même », reprend la voix de l’homme, « Polsky-Fal gît comme un pantin désarticulé sur un matelas à même le sol, dans un vaste appartement rempli de livres et de disques. Cela se passe sur les hauteurs de cette ville dont vous vous êtes enfuis un matin d’hiver. C’est Kazak-Star qui l’y a ramené. Il est seul et abandonné de tous. Les terribles passions de Kazak-Star l’ont réduit à presque rien, physiquement et moralement. Il songe à toi. Il a honte de la faiblesse passagère qui l’a conduit si loin de toi, si bas.
Il se dit qu’il ne pourra jamais plus te revoir, que la chose est impossible et sa honte devient encore plus profonde. Il ressent confusément que c’est moi, bien qu’il ne me connaisse pas encore, qui l’avait mené vers toi afin qu’il devienne ton époux. Toute sa vie, il se sentira responsable de toi. Il le sait et il en a du tourment. Il imagine mille choses plus terribles les unes que les autres te concernant et son angoisse augmente encore ».
Sans-Nom : « Mais alors,… il m’aime encore ? »
L’inconnu : « Kazak-Star l’a momentanément abandonné pour une fugue et j’ai choisi ce moment pour aider Polsky-Fal à reprendre la route.
Polsky-Fal n’a pas vraiment connu son père, et sa mère, par un comportement peu digne, a fragilisé les ressorts de la dignité chez Polsky-Fal, sans même qu’il puisse sans rendre compte. Ca s’est passé au plus profond de lui-même, et la chose s’est révélée au moment où il a rencontré Kazak-Star. Je connais aussi le secret de son coeur. Il soupire après son père absent, une grande main chaude sur la joue ou sur le front. Et les paroles surtout, les mots justes, les paroles d’un père qui vous établissent sur cette terre, en accord avec mon désir et ma connaissance qui sont bons.
Vous avez tous manqué de cela. C’est pourquoi tu t’appelles Sans-Nom. Mais Polsky-Fal a souffert plus que vous tous de ce manque et, en ce moment-même, parce que je l’aime, et que cet amour est souverain, et que nul ne peut s’opposer à lui quand il se lève, je décide qu’à l’autre bout du monde il peut entendre ma voix. Il l’entend en ce moment-même de façon audible, en lui-même, en dehors de lui comme venue de partout à la fois, des quatre coins de l’horizon.
Et je lui dis : ‘ Polsky, je suis ton Père et je t’aime !’.
A présent, un jeune homme de soixante-huit kilos qui mesure pourtant un mètre quatre-vingt-dix, se lève aux limites de la destruction du corps et de l’âme, rempli d’une joie incommensurable. Car il sait, il sait vraiment que c’est celui que les hommes appellent Dieu qui vient de lui parler. Et en ce moment-même, tu entends, il sort en rue, car il veut te retrouver. Il est comme fou, fou de joie ! Il éprouve aussi un impérieux besoin de se réconcilier avec tous ses ennemis. Il va ! »
Sans-Nom : « Qui es-tu ? »
L’inconnu : « La bague rouge que tu portes au doigt comme je te l’ai déjà dit, j’en ai favorisé l’achat, à Hong-Kong. A travers la grosse pierre rouge, d’un rouge si pur et si transparent à la fois, tu as souvent admiré la lumière du ciel. Et ce rouge si lumineux que tu as admiré, c’est le rouge de mon sang. C’est le sang que j’ai versé dans une terrible bataille contre le général rouge, en ta faveur. »
Sans-Nom : « En ma faveur… ? »
L’inconnu : « En ta faveur, en la faveur de tous tes amis et d’une quantité innombrable d’hommes et de femmes. »
Sans-Nom : « Le général rouge, c’est ton ennemi ? »
L’inconnu : « C’est aussi ton pire ennemi, lui répond l’homme. C’est lui, en ce moment, qui fait peser sur tes épaules le poids d’une accusation terrible pour toutes tes fautes passées.
C’est, par le biais de ses accusations, un redoutable empoisonneur d’âmes, un immense falsificateur. Il est menteur pour arriver à ses fins. C’est lui qui a entraîné ta mère à sa perte en se faisant passer pour un grand protecteur, un seigneur noble et vigoureux. Les trophées du général rouge, le bouquet de plumes et le sablier, représentent vanité et illusion. Orgueil et illusion qu’il glisse dans le coeur de tout homme. L’illusion que l’on peut, par exemple, éternellement retourner le sablier du temps en s’adonnant sans frein à ses passions.
Le général rouge, c’est le dragon ancien. C’est le maître absolu ès séduction, rapine et meurtre. Ta mère a tenu à emporter avec elle ces trophées et c’est ce qui l’a perdue. Mais sache bien que, par tout le sang que j’ai versé pour vous il y a bientôt deux mille ans, la puissance du général rouge a été vaincue et que tous ceux qui font appel à moi d’un coeur sincère sont immédiatement arrachés à son influence. Il ne lui est plus possible de les accuser en rien ou de les réclamer pour son royaume infernal. Même après leur mort ils m’appartiendront !
Sans-Nom, veux-tu lui échapper ? Tu as toute liberté de choix, ne l’oublie pas. »
Sans-Nom : « Tu es un homme étrange… Je n’en ai jamais connu de semblable à toi et, bien que je ressente le poids de ma misère, de mes fautes, non seulement à l’égard d’Il Li-Yii, mais de bien d’autres, je choisis de te croire car je peux voir aux blessures de tes mains et de tes pieds que tu as été violemment blessé dans ce combat pour moi. »
L’inconnu : « Sans-Nom, dans ce combat, je suis mort pour toi. Je suis allé délibérément au devant de la mort pour la vaincre, car la mort est un esprit. Je suis allé au devant de la mort de ton âme, de celle de ton esprit et de ton corps. Cette mort est l’unique salaire offert par le général rouge à tous ceux qu’il place sous son joug. C’est le joug du mal. C’est le joug du malheur. C’est le joug du désespoir qui habite tous les coeurs d’hommes et dont nul n’ose vraiment parler, comme te l’a expliqué un jour Dreyfus.
Et ils n’osent en parler car ils ne peuvent pas en parler. Sais-tu pourquoi ? Parce qu’ils sont morts spirituellement et qu’ils sont sous la domination du général rouge, de celui que l’on appelle Satan.
C’est pourquoi tu trouveras dans les Ecritures que le troisième jour, après avoir vaincu l’esprit de mort de Satan, je suis ressuscité. Et j’ai aujourd’hui le pouvoir de ressusciter ton esprit, ton âme et même l’enveloppe de ton corps s’il venait à périr. Le crois-tu, Sans-Nom ?
Sans-Nom : « Je le crois ! Je te crois !»
A l’instant précis, la lourde pierre qui pesait sur son âme se dissipe. Sans-Nom se tourne pour la première fois résolument vers l’homme qui lui a offert les pains et les poissons. L’homme s’est levé.
Il se tient devant elle. Sa face et tout son être rayonnent à présent d’une joie et d’une jeunesse que Sans-Nom ne pourra jamais décrire. Elle sait aussi qu’elle ne pourra jamais donner une idée de la lumière et du feu qu’elle voit sourdre et jaillir vers elle à présent de toutes les parties de l’homme debout devant elle.
L’homme élève la main droite et l’esprit de Sans-Nom entend ce que l’esprit de cet homme lui dit maintenant :
« Je te rendrai semblable à moi. Je te guérirai et te transformerai à la mesure de ma stature parfaite, je te le promets. Je te développerai et t’assisterai ».
Il dépose ensuite dans son coeur quelque chose qui a la forme et l’apparence d’un grand diamant pur. Un chant ineffable coule en elle. Une source est ouverte pour la vie éternelle.
Avant de la quitter, l’homme ajoute :
« Va, maintenant. Et va dire aux autres ce que j’ai fait pour toi. Va leur dire qu’à tous ceux qui pousseront un seul cri sincère, un seul appel vers moi, je répondrai toujours. Car il est écrit qu’en ce jour-là, celui qui invoquera mon nom sera sauvé. »
Sans-Nom, qui pressent le départ de son nouvel ami, lui demande :
« Mais quel est ton nom? »
L’inconnu : « Je viens de Celui qui se nomme Lui-même ‘Je suis celui qui est’. Et l’on m’appelle Yeshoua ».
L’homme se penche ensuite vers l’oreille de la jeune fille et lui murmure :
« Désormais, on ne t’appellera plus Sans-Nom… ».
Merci Haïm pour ce récit où nous pouvons par moment, en le lisant, repenser au parcours de notre vie et ses méandres, jusqu’à notre rencontre avec le Seigneur. Ce qui m’a bouleversée, c’est de réaliser que le Seigneur est toujours présent, qu’Il veille, qu’Il nous garde même dans notre errance. J’étais aussi une sans nom avant de le connaître. Qu’Il soit loué et béni notre sauveur!
Distribue ce livre autour de toi, même dans les boîtes aux lettres de francophones…Sers-toi sur le site…