La guerre psychologique bat son plein, et l’on se demande : pourquoi les Israéliens de gauche se laissent autant et aussi facilement manipuler par le Hamas ?
À peu près au moment où l’opération de Rafah a commencé, le Hamas est entré dans une autre guerre : le terrorisme psychologique.
Il a à peu près immédiatement commencé à dire qu’il acceptait un accord de cessez-le-feu, l’organisation a fait de grandes vagues à ce sujet, qui ont été reprises par les médias occidentaux.
Cela a fonctionné au-delà de leurs espoirs : les manifestants israéliens de gauche sont de plus en plus nombreux à réclamer un cessez-le-feu. Ils sont même arrivés au point d’affirmer que la libération des otages en dépend, les fous.
Le Hamas joue sur des cordes psychologiques
J’ai interrogé de nombreux Israéliens dans les manifestations. Pas les excités et les gens violents, mais les Israéliens raisonnables, que vous croisez tous les jours au supermarché, dans le bus et dans les cafés. S’agissant des otages et de la guerre, ils vivent dans l’émotion, et uniquement dans l’émotion. Le rationnel ne fait pas partie de leur raisonnement, il a été kidnappé le 7 octobre. Leur capacité de raisonnement est court-circuitée par les vifs sentiments qu’ils ressentent. Et je ne dis pas cela négativement. La douleur, l’émotion vive, l’affection – des sentiments bien légitimes – prennent immédiatement le dessus lorsqu’on prend soin de les écouter avec empathie.
Ajoutez à cela – et le Hamas joue à fond là-dessus – leur frustration : ils ont manifesté toute l’année dernière pour déboulonner le gouvernement Netanyahou, en vain. Il suffisait alors au Hamas de lentement donner à croire que Netanyahou, et pas l’organisation terroriste, faisait obstacle à la libération des otages, et laisser l’idée faire son chemin.
Netanyahou, et pas le Hamas, est l’obstacle à la libération des otages
L’idée a fait son chemin.
Les anti-Bibi, les déçus des élections de novembre 2022, les manifestants vainqueurs contre la réforme judiciaire, les craintifs d’un gouvernement allié à « l’extrême droite », bref, la gauche israélienne des grandes villes, soutenue avec force par les médias, est à deux doigts de penser que Netanyahou ne vaut pas mieux que le Hamas – comme le soutiennent la Cour Internationale de Justice et l’ONU. Chaque semaine, avec une insistance qui monte crescendo au fur et à mesure que l’étau émotionnel se resserre autour de leur gorge, au fur et à mesure que le Hamas appuie sur le bouton « terrorisme psychologique », ils accusent un peu plus le gouvernement israélien, et pas le Hamas, de ne pas rendre les otages.
Si vous arrivez de Mars et que vous écoutez les slogans des manifestants, vous déduisez que les otages sont entre les mains du gouvernement, que le gouvernement les cache dans un recoin du quartier général de l’armée, à la Kirya de Tel-Aviv devant laquelle des milliers de manifestants agitent leurs pancartes. Vous comprenez que Netanyahou ne veut pas les rendre.
Samedi soir, les terroristes du Hamas ont renouvelé leur guerre psychologique en affirmant qu’ils avaient enlevé des soldats israéliens. Ils ont diffusé une vidéo modifiée pour étayer leur affirmation. Les forces de défense israéliennes ont rapidement démenti l’enlèvement de soldats, mais l’émotion a pris le dessus. Les soldats, les enfants de leurs amis, c’est l’autre corde hautement émotionnelle, l’envers de la même pièce. Pas besoin que l’histoire soit vraie : elle est dans les cauchemars de chaque Israélien. Bien joué.
Compte tenu de la guerre psychologique du Hamas visant à influencer l’opinion publique israélienne contre le gouvernement dans le but de forcer un cessez-le-feu et du démenti rapide de l’armée israélienne concernant l’enlèvement de soldats, l’affirmation du Hamas était de la propagande, mais elle a fait son chemin.
Le Vietnam à Tel-Aviv
La guerre du Vietnam a été perdue à cause des Jane Fonda et des étudiants de Berkeley. Les Russes ont avoué avoir manipulé les Américains et gagné la guerre du Vietnam dans l’opinion publique américaine. Sur les campus, à la télévision, avec les images, les récits et les « experts » invités sur les plateaux, et dans l’opinion. Les Etats-Unis ont cédé aux manifestants.
Ceux qui conseillent le Hamas reproduisent aujourd’hui, en Israël, exactement le même schéma, en s’adressant aux mêmes personnes, avec l’aide des mêmes journalistes, avec les mêmes messages diffusés par les mêmes organisateurs de foules, et en excitant les mêmes émotions, minutieusement. Ils montent l’opinion de gauche, la plus bruyante, la plus aimée par la télévision, la plus soutenue par les médias, la plus frustrée du gouvernement pour qui ils n’ont pas voté, pour mettre fin à la guerre et sauver le Hamas.
Le Hamas n’est pas loin de gagner la guerre, pas à Gaza, mais à Tel-Aviv :
- Le cessez-le-feu à Rafah que réclament désormais les Israéliens de gauche (« seul moyen de libérer les otages », disent-ils) leur permettra de se regrouper, de se faire livrer de l’armement en masse, de se réorganiser et de renforcer leurs guerriers, et de reprendre le contrôle de la bande de Gaza.
- Les élections que réclament les manifestants permettra de remplacer Netanyahou par des Lapid, des Gantz et des Gallant. Ceux-là mêmes qui leur donneront un Etat palestinien en échange de la normalisation avec l’Arabie saoudite, leur enverront des millions de shekels pour aider la « société civile » et ouvriront les portes aux travailleurs de Gaza pour « calmer la situation » et « apaiser » la rue arabe. Ils iront même jusqu’à offrir des champs gaziers israéliens au Liban en échange de la stabilité avec le Hezbollah – oups, pardon : ça, ils l’ont fait.
Jean-Patrick Grumberg pour Israël24 7.org