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L’affaire se passe dans une école parisienne. Mi-mars, A., un garçon de 10 ans, aurait lancé une menace caractérisée à son enseignante : « Sur le Coran de La Mecque, je vais ramener mes frères pour te décapiter. » Il venait d’être puni pour avoir participé à une bagarre. Il est changé de classe puis d’école dans la foulée. À la demande de la famille, Aymeric Caron a pris contact avec l’inspection, pour protester. Ces propos n’auraient jamais été prononcés, assure le député de Paris.
Visiblement, Aymeric Caron a quelques soucis avec les écoles primaires. On se souvient qu’en septembre 2023, il avait été accusé d’avoir forcé les grilles de l’école de sa fille, à Versailles, pour l’accompagner jusque dans sa classe, ce qui était interdit par le règlement de l’établissement. Il avait alors dénoncé une « instrumentalisation politique ».
La nouvelle affaire se passe cette fois à Paris, dans une école de la rue Championnet (18e arrondissement, soit la circonscription d’Aymeric Caron) sur fond de menace de mort d’un élève envers une enseignante. Aux yeux de l’Éducation nationale, en intervenant dans cette histoire, Aymeric Caron a outrepassé son rôle de député.
L’institution scolaire fait bloc derrière l’enseignante choquée. Le député, fraîchement réélu, suggère au contraire que ladite menace aurait été exagérée, s’appuyant sur les seuls dires de la mère de l’enfant et d’une déléguée de parents d’élèves : ces dernières évoquent des « discriminations » voire du « racisme » de la part de l’Éducation nationale. Deux versions totalement opposées.
TOUT COMMENCE PAR UNE BAGARRE
Ce 14 mars 2024, une dispute éclate dans la cour de récréation de cet établissement de REP +. Une professeure des écoles demande le carnet de liaison d’un des élèves bagarreurs, le jeune A., âgé de 10 ans, lequel refuse de le lui donner. Elle finit par le récupérer et le pose sur son bureau, l’enfant demandant s’il aura quand même un mot s’il se tient à carreau le reste de la journée.
Malheureusement, le jeune garçon récidive et l’enseignante l’envoie dans une autre classe pour qu’il se calme. Quand il revient dans sa salle de classe en fin de journée, il regarde sa professeure et lui lance une menace caractérisée : « Sur le Coran de La Mecque, je vais ramener mes frères pour te décapiter. » C’est ce qu’affirment à Marianne deux sources au sein de la hiérarchie du ministère de l’Éducation nationale. Un relevé d’informations a été envoyé au Procureur de la république de Paris, affirme Aymeric Caron.
Estomaquée, l’enseignante écrit néanmoins un mot dans son carnet pour ses parents. Lui sort dans le couloir, continuant à éructer. Ses camarades de classe, choqués, auraient eu peur que A. mette ses menaces à exécution, assure nos sources au sein de l’Éducation nationale. Les enseignants de l’école sont aussi choqués et inquiets. D’autant plus que la période est compliquée : non loin, le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel vient d’être menacé sur Internet – le 28 février – après avoir demandé à une élève de retirer son voile. Tous les enseignants ont par ailleurs en tête l’affaire du professeur Samuel Paty, décapité par un islamiste en 2020.
Le lendemain de l’incident, soit le vendredi 15 mars, afin de préserver ses camarades de classe et son enseignante, A. est accueilli dans une autre classe de l’école, en CE2, avec un travail correspondant à son niveau de classe. Il est supervisé par l’enseignante de cette classe d’accueil. Une élue de la mairie du 18e arrondissement vient assurer l’équipe de son soutien.
DEMANDE DE CHANGEMENT D’ÉCOLE
Le lundi 18 mars, la mère de l’enfant, convoquée le matin même, arrive dans l’école avec une déléguée de parents d’élèves et demande un changement de classe. La déléguée fait savoir dans la foulée sur les réseaux sociaux qu’elle cherche un avocat pour défendre les droits d’un enfant, toujours ce même garçon, A. Il aurait été selon elle « accusé et humilié ». Le 20 mars, la mère reçoit, en mains propres, une lettre de la directrice académique des services de l’éducation : cette dernière annonce qu’elle demande un changement d’école en raison des menaces émises envers l’enseignante.
L’affaire se corse alors que, le 4 avril, le député Aymeric Caron prend contact avec l’inspection académique pour protester et soutenir la mère qui est venue se plaindre. Il finira par y être reçu, le 23 avril, avec ses collaborateurs, par une délégation fournie – une dizaine de personnes – de l’académie de Paris. « J’ai eu l’impression d’être devant un tribunal », assure ce dernier qui a écrit de longs courriers à l’inspection et passé « des jours et des jours » sur cette histoire qui, manifestement lui tient à cœur.
Du point de vue des personnes présentes, côté Éducation nationale, très étonnées et exaspérées par cette intervention politique, le député aurait pris fait et cause pour la mère, estimant que le jeune garçon était victime de « discriminations » en raison de ses origines. Ce serait le cas depuis son arrivée en CP dans cette école, aurait-il dit.
Alors que plusieurs enfants se sont dits choqués par la scène à laquelle ils avaient assisté, notamment auprès d’une psychologue dépêchée par l’établissement, Aymeric Caron indique avoir mené une enquête de son côté et avoir lui-même interrogé un élève ainsi que le jeune garçon incriminé, « tout petit, tout timide ». Les propos du jeune A. n’auraient jamais été prononcés, « l’enfant nie », assure-t-il, accusant en substance l’équipe enseignante et ses camarades témoins de la scène d’avoir affabulé.
Il remet globalement en cause l’institution, assurent encore des témoins présents, « faisant ainsi fi de tout le travail réalisé auprès de cet élève pour lequel l’équipe s’est démenée depuis son entrée dans l’école », rapporte un témoin. Parfois turbulent, le jeune garçon avait des soucis scolaires, confirme la représentante des parents d’élèves de l’école que Marianne a contactée. Deux alertes seraient remontées auparavant en raison de son comportement.
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La direction de l’académie de Paris confirme lors de cette réunion que l’enfant sera changé d’école pour apaiser les esprits. Tandis que la mère aurait été initialement d’accord, d’autant plus que l’école en question, très demandée, cumule un maximum de demandes de dérogations parentales à la carte scolaire, le député, là encore, indique qu’il s’agit d’une « discrimination ».
Aymeric Caron défend une version des faits – celle de l’enfant – différente auprès de Marianne : « Si j’avais la certitude que ces propos inacceptables avaient été prononcés, je ne soutiendrais pas la famille. L’enfant et les parents nient. Ce n’est pas parce qu’on est enseignant qu’on a forcément raison, d’autant qu’aucun témoin adulte ne corrobore ces propos. On ne peut exclure que quelque chose se soit mal passé. Je ne comprends pas l’attitude de l’académie selon laquelle la seule version de l’enseignante suffit et clôt le dossier », assure ce dernier.
Selon la déléguée de parents d’élèves qui défend également cette même version, l’enfant n’aurait « jamais évoqué une décapitation. Il a seulement dit : « sur le Coran de La Mecque, je vais ramener mes frères » », assure-t-elle auprès de Marianne, affirmant que l’enseignante aurait « fait un amalgame entre une blague, le matin, venant d’un camarade du jeune A. qui écrit le mot décapitation sur une tablette et la phrase que ce dernier a prononcé en fin d’après-midi. Elle n’a rien pu entendre puisqu’elle était dans le couloir alors que l’élève a marmonné cette phrase dans la classe. Ce sont des propos rapportés ».
L’enseignante et l’académie ont à ses yeux « clairement surréagi », ajoute-t-elle, sous-entendant que l’élève serait, par ailleurs, ostracisé de longue date, mis à l’écart, etc. Drôle d’accusation, surtout pour une école en REP + qui accueille, dans ce quartier de Paris, une forte proportion d’enfants d’origine immigrée.
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Mettant en avant, auprès de Marianne, sa qualité de « fils d’enseignants », Aymeric Caron se dit « très attaché à la laïcité et à la sécurité des enseignants et tout propos menaçant à leur égard doit être considéré avec le plus grand sérieux ». Pour autant, « le manque de respect du contradictoire dans cette affaire me choque énormément. Ainsi que le manque de respect pour la parole de cet enfant que personne n’a daigné interroger. »
Le député dit aussi avoir agi en raison de ses « doutes sur le respect des processus juridiques de convocation des parents et de changement d’école ». Il énumère une série de faits, qui à ses yeux s’apparentent à des manquements. Il considère, par exemple, que la mère de l’enfant aurait dû être « convoquée » en bonne et due forme, cinq jours avant son premier rendez-vous à l’école, selon le code de l’éducation.
UNE EXCLUSION DÉGUISÉE POUR CARON
Toujours selon Aymeric Caron, la mère conteste avoir accepté le changement d’école, comme l’affirme l’académie. Il note par ailleurs que ce changement a été notifié à la mère par « lettre simple et non recommandée sans que lui soient notifiées les possibilités de recours de la famille ». Autant d’affirmations balayées par un représentant de l’Éducation nationale, affirmant que « tout s’est déroulé dans les règles » et critique l’« esprit procédurier » du député.
La directrice de l’établissement aurait demandé à la mère de « garder l’enfant au moins deux semaines chez elle » après l’incident, afin de calmer le jeu. Pour Aymeric Caron, cela équivaudrait à une exclusion déguisée qui ne respecte pas la procédure ordinaire. « Vous allez sûrement me traiter d’islamo-gauchiste », lance-t-il à Marianne. « Mais j’agis avant tout dans l’intérêt des enfants. Les éventuelles mesures disciplinaires doivent respecter le cadre fixé par la loi », insiste-t-il dans un long courrier envoyé en avril, à la directrice académique. Il ajoute par ailleurs qu’il « ne compte pas en rester là ».
DES PARENTS « DANS LA CRAINTE »
Cette affaire, dit-il, a créé l’émoi au sein des parents d’élèves de l’école Championnet. La déléguée de parents d’élèves renchérit, affirmant que « du fait d’une ambiance détestable faite de méfiance envers l’équipe enseignante, la fête de fin d’année a été annulée ». À l’entendre, les « parents musulmans sont dans la crainte », d’autant plus que « la maman du jeune A., voilée, est musulmane ». Pour « nous, il y a une forme de racisme », assure-t-elle. L’inspection « a dit qu’elle avait bien conscience que l’enfant n’était pas dangereux mais que son entourage pouvait l’être. Pourquoi ? Est-ce parce qu’elle est voilée et que l’enfant suit des cours à la mosquée de Saint-Ouen le samedi ? C’est invraisemblable. »
Quant au jeune A., il coulerait désormais des jours heureux dans sa nouvelle école « où il a été bien accueilli », dit-elle. Une enquête sociale est en cours auprès de la famille du jeune garçon. On pourrait attendre d’un élu qu’il écoute le point de vue de l’équipe enseignante choquée, d’autant que dans un post de campagne électorale sur X, Aymeric Caron affirme que pendant son mandat « on a soutenu les personnels enseignants ». Dans cette situation, ça n’aura jamais été le cas, assurent de leur côté des personnels de l’Éducation nationale ayant assisté à la réunion, offusqués que la parole de l’enseignante puisse être mise en doute.