Publié le : 30 décembre 2014
L’objectif est de dépeindre Israel comme un endroit sombre, où tout s’effondre, un pays du tiers-monde où les gens meurent de faim, et tout ceci évidemment à cause de Bibi.
Dans le cadre de cette campagne, les médias ont mis en avant le « rapport alternatif sur la pauvreté » de l’organisation caritative Latet, un rapport qui affirme que l’étendue de la pauvreté dépasse largement ce qui est énoncé dans le rapport officiel de la sécurité sociale, et toucherait 2,5 millions de personnes soit près d’un tiers de la population.
Le rapport de Latet est une mauvaise plaisanterie qui ne mérite même pas qu’on s’arrête dessus. Mais en vérité, le rapport de la sécurité sociale est aussi très problématique.
Le but de cet article est de montrer que l’indicateur de pauvreté de la sécurité sociale ne mesure pas la pauvreté, que son rapport avec la pauvreté est anecdotique, et que le fait de le monter en épingle comme l’indicateur suprême de la pauvreté empêche une confrontation sérieuse avec le problème de la pauvreté réelle.
Je souhaite souligner dès à présent que cet article ne cherche pas à dire qu’il n’y a pas de pauvreté en Israel, ni que tout est parfait, mais simplement que l’instrument de mesure de la pauvreté est erroné et qu’il est impossible de mener une politique efficace si on ne sait pas évaluer le phénomène.
Voici donc quelques réflexions:
Le plus important à comprendre, c’est que le « taux de pauvreté » ne mesure pas la pauvreté réelle, mais ce qu’on appelle la « pauvreté relative ».
De quoi s’agit-il ? Disons que vous vivez dans un pays où tout le monde est milliardaire mais vous êtes millionnaire – alors vous êtes « pauvre ». Inversement, si vous vivez dans un pays sous-développé où règne la famine, et que vous aussi vous mourrez de faim comme tout le monde, vous n’êtes pas pauvre selon les critères de la pauvreté relative. C’est l’essence même de cet indicateur.
C’est la raison pour laquelle la pauvreté en Israel est parait-il aussi élevée ou presque que celle du Mexique, alors que toute personne ayant visité ce pays se rend compte qu’il n’y a aucune ressemblance entre la pauvreté abjecte qui y existe et la réalité israélienne.
AIDEZ LES SOLDATS ISRAÉLIENS À PROTÉGER LES ENFANTS DE L’ETAT JUIF
Comprenez ce que cela signifie concrètement: si demain le pays connaissait un soudain boum économique et que les revenus réels de la population augmentaient de façon égale pour tout le monde de 5% par an, un taux très élevé, et après quelques années tout le monde sentirait une amélioration significative de son niveau de vie, le taux de pauvreté resterait inchangé.
Car cette pauvreté est relative et si tout le monde s’enrichit, la ligne sous laquelle on est pauvre augmente de la même proportion. De même, en cas de crise économique profonde, si les revenus de chacun s’effondraient d’un même pourcentage, le taux de pauvreté resterait identique. C’est la raison pour laquelle le taux de pauvreté peut augmenter en période de forte croissance alors que la pauvreté réelle disparait, ou au contraire il peut baisser en temps de crise alors que dans les faits la pauvreté augmente. Parce que le taux de pauvreté n’a aucun rapport avec la pauvreté.
Mais alors comment est fixé ce taux de pauvreté ? On prend le revenu médian (le revenu qui délimite le revenu des 50% les plus riches des 50% les plus pauvres) et on détermine que celui qui gagne moins de la moitié de celui-ci est pauvre. Pourquoi la moitié ? Pourquoi pas. L’Union Européenne a décidé il y a quelques années que plutôt que 50% du revenu médian, la ligne serait fixée à 60%.
Cela a provoqué immédiatement une explosion artificielle du taux de pauvreté et soudain sont apparus des titres dans les médias sur l’augmentation inquiétante de la pauvreté et les mesures qu’il fallait absolument prendre pour enrayer le phénomène. Il s’agissait d’une décision purement politique et idéologique. Car pour faire baisser le taux de pauvreté, il existe une boite à outil spéciale qui correspond très exactement aux présupposés de la gauche économique (j’y reviendrai).
Le revenu médian en Israel en 2013 était de 6,600 shekels selon le Bureau des Statistiques, faut-il en conclure que toute personne qui gagne moins de 3,300 shekels serait pauvre ? C’est un peu plus compliqué.
On ne peut pas compter un célibataire comme un couple marié, sans parler des enfants, aussi a-t-on inventé le concept de « personne standard » (l’INSEE parle d’ »unités de consommation »). Il s’agit d’une création statistique qui permet de calculer le taux de pauvreté mais ce ne sont pas des être humains.
Il est essentiel de saisir ce point – les pauvres comptés dans les statistiques ne sont pas des êtres humains mais des entités statistiques abstraites qui sont ensuite « converties » en êtres humains. Selon les calculs de la sécurité sociale, le revenu médian par « personne standard » était de 4,800 shekels en 2013 et donc une personne standard devenait pauvre si elle gagnait moins de 2,400 shekels par mois.
La sécurité sociale a décidé que le coût de la vie d’un célibataire était plus élevé que celui d’une personne vivant en couple et que donc le célibataire se verrait doté d’un coefficient de 1,25 personne standard, et ainsi devra gagner au moins 3,000 shekels pour ne pas être défini comme pauvre. Pourquoi 1,25 et pas 1,2 ou 1,3 ou 1,09878 ? Parce que. Inversement, les enfants « valent » moins et reçoivent des coefficients compris entre 0,4 et 0,65 suivant leur place d’arrivée dans la famille. Un couple avec deux enfants « vaut » donc 3,2 personnes standards et a besoin de 7,680 shekels pour ne pas être pauvre.
Mais c’est une décision purement israélienne. Ainsi par exemple l’INSEE a décrété que le coefficient pour les enfants serait de 0,3. En appliquant à Israel les méthodes de l’INSEE, la même famille ne vaut plus que 2,6 personnes standard et n’a plus besoin que de 6,240 shekels pour ne plus être pauvre. Dans la mesure où la masse de la pauvreté en Israel est concentrée dans les populations à forte natalité, cela fait une grosse différence.
L’OCDE propose son propre calcul avec une méthodologie unifiée pour tous les pays membres. Selon ses données, le taux de pauvreté en Israel est plus élevé que la moyenne mais plus bas que ce que donne la sécurité sociale (18% selon l’OCDE contre 22% selon la sécurité sociale), la principale différence concernant la pauvreté des enfants passant de 31% à 23%. Les mêmes données de base donnent des résultats significativement différents, alors qui a raison, la sécurité sociale israélienne ou l’OCDE ? Aucun des deux, ces chiffres sont ridicules dans la même mesure.
Un autre exemple de la structure particulière de ce taux de pauvreté est qu’il n’a aucune corrélation avec la situation de l’économie. En 2013 selon l’INSEE, les revenus moyens ont baissé de 1% en France. Dans le même temps, le taux de pauvreté a *aussi* baissé passant de 14,3% à 13,9%. La situation a empiré et le taux de pauvreté s’est amélioré. Parce que le taux de pauvreté n’a aucun rapport avec la pauvreté.
Au passage, le taux de pauvreté publié est le taux « net », c’est-à-dire après impôts et redistribution. Le taux « brut » israélien est en fait un des plus bas du monde développé, notamment plus bas qu’en France (28% contre 33%). La différence dans le résultat final est du à des politiques dont le but est spécifiquement de faire baisser les chiffres, quelque soit le résultat sur le terrain.
Cela signifie que pour améliorer un indicateur statistique sans véritable signification on a sacrifié l’efficacité économique, la production, l’emploi, et les revenus, et on a en fait augmenté la vraie pauvreté.
Le taux de pauvreté de la France selon l’OCDE n’est que de 8% contre 18% pour Israel. Et pourtant la France compte plus de 140,000 SDF contre à peine 3,000 en Israel (ce qui ferait 24,000 en France à population équivalente), un chômage officiel de plus de 10% (et qui n’inclut pas les centaines de milliers de faux emplois subventionnés par le gouvernement), une croissance nulle, des jeunes éduqués qui fuient le pays, et un avenir sombre. Parce qu’il n’y a aucun rapport entre le taux de pauvreté et la pauvreté.
De plus, il faut aussi noter que cet indicateur est basé sur les revenus déclarés, pas sur les revenus réels, ce qui donc n’inclut pas les revenus au noir par exemple.
Le taux de pauvreté ne s’intéresse d’ailleurs qu’aux revenus, pas au patrimoine, au capital, ou à l’aide des parents. Un étudiant fils de riche entièrement financé par ses parents est « pauvre » selon l’indicateur de pauvreté puisqu’il n’a aucun revenu. Celui qui a accumulé les millions et vit grâce à eux est tout aussi « pauvre ».
Mais qu’est-ce que ça change finalement et pourquoi c’est un problème ? Parce que si le « taux de pauvreté » est perçu comme identique à la pauvreté, alors l’objectif de la politique publique devient de baisser ce taux plutôt que de baisser la pauvreté réelle. Or il est très facile de baisser le taux de pauvreté – il suffit d’augmenter les allocations sociales et les impôts.
De façon absolument incroyable, c’est exactement ce que souhaite la sécurité sociale (puisque c’est elle qui distribue les allocations). C’est aussi en parfaite adéquation avec les idées de la gauche économique qui croit que si seulement on dépensait plus d’argent public et on réduisait les « inégalités », tout deviendrait paradisiaque, tout le monde serait heureux, et les licornes danseraient dans les nuages ou quelque chose comme ça. Ce qui signifie que le « taux de pauvreté » est juste un instrument idéologique.
Or l’application d’une telle politique ne ferait que causer d’immenses dégâts à l’économie et à la société et ferait s’accroitre la pauvreté réelle, exactement comme en France. Une telle politique ne provoquerait qu’un ralentissement de la croissance, moins d’emploi et plus de chômage, plus de dette, la fuite des gens productifs vers l’étranger, etc…
Le meilleure moyen de combattre la pauvreté, c’est de ne pas combattre la pauvreté. Il est possible de créer un meilleur indicateur, plus précis, basé sur des critères de pauvreté objective, comme par exemple un panier de produits basiques. Mais à mon avis la façon la plus efficace de réduire la pauvreté est de ne pas chercher à la combattre en particulier mais d’établir une société généralement plus riche, libre et prospère.
Plus de concurrence qui permet la baisse des prix, plus de productivité qui augmente les salaires, plus d’emploi – voilà les meilleurs moyens de baisser le niveau de la pauvreté réelle, ceci en commun avec une amélioration de l’éducation et de la formation.
Bien sûr, il existe des populations spécifiques qu’il faut aider comme les handicapés ou les personnes âgées. Il faut établir un système de protection sociale minimum qui assure les besoins basiques et fait en sorte que chacun ait de quoi manger, se vêtir, un toit où dormir, une éducation et la santé. Mais rien de plus.
Par Binyamin Lachkar – ToI – JSSNews
L’auteur est analyste en politique publique et ancien conseiller du maire de Jérusalem