LE MONDE | |Par Alain Constant
Partant d’une photo montrant quatre femmes et une jeune fille d’une dizaine d’années, le réalisateur Philippe Labrune retrace avec minutie un épisode de la Shoah en Lettonie (dimanche 8 mars, à 22 h 20 sur France 5)
Une belle et grande plage, avec sable blanc et dunes qui surplombent la mer Baltique battue par les vents. A une douzaine de kilomètres de la ville de Liepaja en Lettonie, la plage de Skede ressemble à un endroit enchanteur. En décembre 1941, elle fut le théâtre d’atrocités. En seulement trois jours, 2 772 juifs, dont beaucoup de femmes et d’enfants, furent exécutés par balles et jetés dans des fosses creusées à cette occasion. L’image de cette plage est la première de ce documentaire, interdit aux moins de 10 ans. La minutie de l’enquête, la richesse des documents d’archives, la sobriété stylistique en font un moment de télévision sortant de l’ordinaire.
Tout part d’une photo exposée dans le Musée juif de Riga, la capitale lettonne. Un cliché pris par un soldat allemand, sur lequel on voit cinq femmes face à l’objectif. Quatre adultes et, sur la gauche de la photo, légèrement en retrait, une fillette d’une dizaine d’années qui semble cacher son visage derrière sa voisine.
Des zones d’ombre se dévoilent
Cette photo a été prise en décembre 1941, peu avant l’exécution. Qui était cette petite fille ? L’enquête commence. Il s’agit de comprendre l’avant, le pendant, l’après et le pourquoi de cette photo. Et à travers elle, de retracer un épisode marquant de la Shoah en Lettonie, pays qui n’a pas attendu l’arrivée des SS pour martyriser « ses » juifs. Entrée dans la zone d’influence de Moscou à l’issue du pacte germano-soviétique, la Lettonie avait vu une partie de sa population juive déportée au goulag. Lorsque les Allemands envahissent le pays en juin 1941, le sort des juifs est scellé. Les 4 et 5 juillet 1941, en représailles à un attentat, 300 juifs sont assassinés dans un jardin public de la jolie ville de Liepaja, située près de la plage de Skede. Cette belle plage où auront lieu les massacres de décembre.
Au fur et à mesure qu’avance l’enquête, des zones d’ombre se dévoilent. Les photos ont été récupérées au péril de sa vie puis cachées par David. Elles furent réalisées le 15 décembre 1941. Sur les clichés, pris par les Allemands, figurent seulement des Lettons et les futures victimes. En 1944, David les remettra aux Soviétiques. Edward Anders, 15 ans à l’époque, est l’un des rares survivants des massacres. Il témoigne, identifie les victimes, évoque la famille Epstein qui vivait à Liepaja en regardant le fameux cliché des cinq femmes. George, parti vivre à New York après la guerre, raconte l’arrivée redoutée des fameux bus bleus, sans fenêtres, dans les quartiers de Liepaja. Tout le monde savait qu’à leur bord se trouvaient les tueurs des commandos spéciaux lettons.
« La région est libérée des juifs »
L’enquête avance. Quelle est l’identité de la femme contre laquelle tente de se cacher la petite Sorella Epstein ? Est-ce Pauline Goldman, la nounou de la famille, ou Zelda Epstein, sa mère ? Après avoir étudié le dossier de près, deux experts de la police scientifique penchent pour la mère. Mais comment expliquer le fait que la mère tienne fermement la main de la femme âgée à sa gauche et ne semble pas porter attention à sa fille ? Les mystères demeurent, mais ce simple cliché est un formidable document sur la Shoah. Tout comme celui datant du 17 décembre 1941. Dans son rapport, le responsable SS note : « La région est libérée des juifs. Il fait grand froid. » Exceptionnellement, trois jours de repos ont été accordés à chaque soldat et officier ayant participé à l’opération sur la plage.
Sorella, une enfant dans la Shoah, de Philippe Labrune (France, 2014, 52 minutes). Dimanche 8 mars, à 22 h 20 sur France 5