Et demain, qui jugera les juges?
François Martin
Consultant et conseiller municipal.
Publié le 26 avril 2017 / Médias
Mots-clés : François Fillon, Justice, médias, présidentielle 2017
Ça y est, nous avons les noms des deux finalistes de la présidentielle, une élection qui, pour beaucoup, se présentait comme « historique ». Plusieurs futurs très différents s’offraient en effet à la France : un hypothétique Frexit, ou en tout cas un mouvement de défense et de fermeture avec Marine Le Pen ; une continuation exacerbée du progressisme mondialiste du quinquennat Hollande, soutenu par la finance et la « France d’en haut » avec Emmanuel Macron ; une tentative de redressement équilibrée et plus « classique » avec François Fillon ; ou encore une aventure à la Chavez avec Jean-Luc Mélenchon. Certains de ces futurs étaient plus dangereux que d’autres et menaçaient d’ajouter, en plus des multiples menaces internes et externes déjà existantes, de graves risques d’impuissance (cohabitations dès le début du quinquennat) ou d’explosions sociales, à long terme, ou même à très court terme. Les électeurs ont décidé, et éliminé deux de ces futurs. Il en reste deux. L’élection n’est pas du tout terminée.
Peu importe sur qui ça tombe, le mal est le même
Mais dans tous les cas, le mal est fait. Il ne fait de doute pour personne de lucide que le candidat Fillon a bien été l’objet d’un « coup d’état légal ». Nous l’avons observé jour après jour, et cela a été confirmé par la sortie, fort opportune, du livre Bienvenue Place Beauvau : au départ, mépris de la « trêve électorale », une pratique pourtant sage et indispensable. Ensuite, intrusion du pouvoir politique, à travers ses réseaux au sein de la police, de Tracfin et de l’institution judiciaire, pour déstabiliser et mettre en accusation le candidat de la droite et du centre, en plein milieu de la campagne : fuites insupportables et permanentes du dossier, organisées dans la presse au mépris de toute déontologie, reprise par celle-ci des éléments accusateurs ad nauseum, chaque jour, chaque heure, chaque minute. Nous avons tout vu et tout suivi, tout subi, jour après jour, en direct.
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Si cela était arrivé à un autre que François Fillon, le mal aurait été exactement le même. Pourquoi ? Parce qu’il est maintenant évident qu’un groupe oligarchique, composé de politiques, de magistrats, de hauts fonctionnaires, de patrons de presse et de journalistes peut s’immiscer impunément dans une campagne électorale – la plus importante qui soit – et la détourner de son objet, sans que ni les « grandes figures intellectuelles », ni le peuple lui-même, ne se révolte. Et c’est cela qui est grave.
Bien sûr, les soutiens de François Fillon se sont, d’une certaine façon, « révoltés », et l’ont sauvé in extremis au Trocadéro. Mais ce n’est pas cela que nous aurions dû faire. Nous aurions dû nous lever en masse, à l’appel de quelques « grandes consciences », toutes tendances confondues, et investir la rue, pour crier notre dégoût de ces « putschistes », de leurs méthodes et de leurs relais, et refuser que l’on nous vole notre élection. Nous ne l’avons pas fait. La ficelle était pourtant énorme ! Bien au contraire, nous sommes rentrés dans leur jeu, et nous avons suivi le feuilleton, certains suivant les accusateurs et les « laveurs plus blanc », tous plus hypocrites les uns que les autres, d’autres défendant, bec et ongles, leur candidat.
Les intellectuels ont laissé faire
Les magistrats ont détourné pudiquement les yeux, s’abritant sans doute sous le parapluie du formalisme de la loi, alors que l’esprit de celle-ci était ouvertement bafoué. Les intellectuels, pour la plupart, ont laissé faire, sacrifiant leur souci de probité, si souvent mis en avant, à leurs amitiés politiques. Les journalistes, si fiers d’affirmer d’habitude la sacro-sainte « liberté et indépendance de la presse », et si prompts à dénoncer les arrière-pensées et les manipulations des politiques, se sont cette fois-ci aplatis devant les conjurés. Servilement, ils sont entrés dans leur jeu. Ils ont crié au « complotisme », affirmant, la main sur le cœur, qu’on ne pouvait prouver l’existence d’un « cabinet noir ». Ont-ils, d’habitude, ces pudeurs de jeunes filles et ces scrupules pour attaquer le pouvoir ? Bien plus, ils en ont « remis une couche », et encore une, et même une bonne tartine, jouant au mieux les « idiots utiles », au pire les factotums zélés des putschistes, pour ne pas perdre leur place, conserver leurs avantages ou vendre un peu de papier. Nous-mêmes n’avons pas été en reste : nous nous sommes égarés, déchirés, et nous avons oublié l’essentiel, qui nous crevait les yeux : une bande de voyous étaient entrés dans nos institutions par effraction, pour nous voler le processus de désignation de notre futur chef, quel que fût celui-ci, et nous priver du choix de notre avenir.
Ces bandits légaux ont ainsi remporté une grande victoire. Ils ont prouvé, à eux-mêmes et à nous aussi, que notre pays n’avait plus d’institutions, puisque l’on pouvait les piétiner à loisir, et mépriser la volonté du peuple (que par ailleurs nous ne cessons d’invoquer), bref, que notre grand pays, si fier de son histoire, était devenu, progressivement, une république bananière. Bien sûr, demain, le « feuilleton Fillon » ne se reproduira sans doute pas, mais d’autres intrusions ou détournements auront lieu, sous d’autres formes, organisées par les mêmes ou leurs amis, avec toujours les mêmes objectifs : désacraliser la République, détourner les institutions, voler les élections au peuple, se maintenir coûte que coûte au pouvoir.
La suite logique de la désagrégation de l’Etat
Il n’y a dans toute cette affaire rien d’étonnant. La « guerre sociale » est consubstantielle à tout système politique. Elle oppose, depuis toujours, dans tous les régimes, les oligarchies et les peuples. Les oligarchies tendent à accaparer les pouvoirs et à peser sur les peuples, les peuples ont besoin d’un arbitre, qui les protège, par la force ou par la loi, par l’ordre et/ou par la justice, de l’arbitraire des pouvoirs oligarchiques. C’est pour cette raison que l’Etat et son chef existent, leur rôle principal devant être, si du moins leur mandat n’est pas détourné, de rééquilibrer le rapport forts-faibles. Après les « républiques oligarchiques » de la IIIème et de la IVème, c’est pour le rétablissement de cet équilibre que le Général de Gaulle s’était tant battu, faisant de la restauration du prestige de l’Etat, de la solidité des institutions, et de l’élection, supposément prestigieuse, de son chef au suffrage universel, la clé de voûte du rééquilibrage social, et la priorité de son combat. Selon la même logique, depuis que la Cinquième existe, les forces oligarchiques, de toutes natures, sont à l’œuvre pour tâcher de dénaturer la République, le passage au quinquennat en étant peut-être l’étape la plus marquante. Tout ceci est, si l’on peut dire, « dans la nature des choses ». Ce qui l’est moins, sans doute, c’est notre cécité collective, et notre manque de caractère pour nous y opposer.
L’épisode Fillon n’est donc nullement une « surprise », mais bien la suite d’un long et ancien programme, dans ce processus de désagrégation de l’Etat, visant à consolider aujourd’hui le pouvoir des élites et à marginaliser le peuple, la « France périphérique » chère à Christophe Guilluy. Et c’est cet Etat qui a aujourd’hui perdu, quel que soit le résultat du 7 Mai, une grande bataille. Certainement, une étape a été franchie vers une certaine forme de « totalitarisme démocratique ». Nous ne devons pas nous laisser leurrer. Nous devons décoder cette évolution et la dénoncer fortement.
Parmi les deux candidats restants, à l’évidence, l’un se satisfera aisément de cette situation, faisant de son quinquennat un « mandat-alibi » (les paroles pour le peuple et les actes pour les oligarques) plutôt qu’un « mandat de justice » (restaurer l’Etat, rééquilibrer le rapport forts-faibles). Facile de trouver qui est-ce, il suffit de se demander « à qui le crime profite »… Si c’est celui-là qui passe, pauvre « France périphérique », et pauvres de nous.
Pour l’autre, ce sera sans doute moins le cas. Si c’est elle qui est élue, et si elle veut respecter un « mandat de justice » pour le peuple, il lui faudra beaucoup de lucidité, et surtout beaucoup de poigne pour résister à la « Trumpisation » (l’establishment vent debout contre son chef) qui l’attend. Elle l’a certainement déjà compris…