Bonne nouvelle: je suis de nouveau tendance en Pologne
Un musée à Varsovie, un festival à Cracovie: une renaissance juive en Pologne? Pas évident… sans Juif
Je suis de nouveau tendance! Tout comme les chaussures à plate-formes, moi, la Juive, suis revenue à la mode en Pologne. C’est la fin d’un long chemin, depuis le jour où j’étais complètement out, quand mon institutrice m’a chassée de l’école à Cracovie parce qu’elle avait appris que mes parents – comme 50.000 autres Juifs- avaient l’intention de quitter la Pologne dans une vague d’immigration baptisé en l’honneur du chef du parti communiste de l’époque, l’”Aliyah Gomulka » (1956-1958).
Elle ignorait évidemment mon plan secret de militante de 8 ans consistant à récupérer le rôle de Gomulka à la tête du parti en Pologne. Mais trop tard. Nous sommes partis. Le docteur Ewa Wegrzyn, une diplômée polonaise de l’une des nombreuses facultés traitant de l’histoire juive, a étudié cette vague d’immigration. Elle croit en une théorie selon laquelle, Gomulka aurait été payé par Israël pour qu’il laisse partir les Juifs. Je me sens mieux à l’idée que quelqu’un d’autre ait vraiment voulu de moi à cette époque. Et voilà que je reviens et je suis tellement tendance que même des non-Juifs veulent (ou prétendent) être Juifs. Quel revirement de situation! Mais l’est-ce vraiment?
Lily Galili
Lily Galili
« Le musée juif de Varsovie »
La relation entre les Juifs et la Pologne, tout au long des mille ans de leur histoire commune, est caractérisée par une certaine dualité. Celle-ci est montrée au Polin, le Musée de l’histoire des Juifs polonais, qui a récemment ouvert à Varsovie, à l’endroit où se trouvait jadis le ghetto juif. Et en passant, polin signifie Pologne en hébreu.
Si vous divisez le mot en deux parties – « po » et « lin » – vous obtenez: « ici – rester. » Tel est le message que le musée veut transmettre. Pendant de nombreux siècles, les Juifs ont été les bienvenus en Pologne. Et pourtant. « Trop de visiteurs et de médias viennent ici pour en apprendre davantage sur la mort des Juifs et non sur leur vie en Pologne », a confié à i24news Grzegorz Tomczewski, un jeune Polonais en charge de la communication du musée.
« Ca me désole de voir que les gens considèrent cette histoire, seulement à travers le prisme de la Shoah. Cela fait certes partie de notre histoire, mais ce n’est qu’une partie. Et même durant cette période, il n’y a pas eu officiellement de coopération avec les nazis. Et la Pologne occupée n’avait pas de gouvernement comme celui de Vichy. Contrairement à la France, il n’y a pas eu d’agression antisémite en Pologne depuis plus de 25 ans », explique-t-il.
Mais il y a aussi dans le pays une droite antisémite, qui critique l’existence même du musée financé par les deniers publics. Même en l’absence presque totale de Juifs sur le sol polonais (les estimations font état de 1500 à 8000 personnes) un antisémitisme primitif se développe en parallèle de cet extraordinaire esprit philosémite.
Tout cela se reflète dans la spectaculaire exposition permanente du musée à Varsovie. Le visiteur se promène à travers le temps, les paysages, les sons et les lumières. Et l’obscurité. L’ambiguïté règne.
« Le gouvernement est fortement assimilationniste en ce qui concerne l’ensemble des minorités, mais n’a pas de politique d’extermination ou d’assimilation forcée à l’égard des Juifs », avait déclaré un membre du parlement polonais dans une interview en 1927, imprimée sur les murs du musée.
« Le destin nous a uni au peuple polonais pour de bon; notre espoir et notre souhait sont d’appartenir aux deux nations », a écrit Shalom Ash, un célèbre écrivain polonais, dans un document publié en yiddish en 1928, lui aussi présenté sur le mur de l’exposition. Une déclaration antérieure datant du 16ème siècle évoque le décret qui avait forcé les Juifs à quitter Cracovie pour un quartier plus éloigné nommé Kazimierz. Celui-ci n’a jamais été un ghetto, seulement un endroit pour mener sa vie, séparé des autres. Jusqu’à présent, on l’appelle “le quartier juif ». La semaine dernière, il est devenu le lieu du mondialement célèbre “Festival juif de Cracovie », qui fêtait cette année ses 25 ans d’existence.
Lily Galili
Lily Galili
« Des coupures de journaux juifs d’époque exposées au musée juif de Varsovie »
Kazimierz, aussi appelé Casimir, est un lieux spectaculaire et fantasmagorique. Aujourd’hui, c’est l’endroit le plus branché de Cracovie. Il est bondé de petits restaurants et de bars animés, de musique jazz et de jeunes Polonais inconscients de leur histoire. Il est aussi rempli de fantômes des Juifs qui y résidaient autrefois et qui ont péri pendant la Shoah.
De nombreux bistros locaux portent le nom des Juifs qui tenaient des petits ateliers de charpentiers ou encore de cordonnerie. Un nouveau café s’appelle « Cheder » (mot signifiant pièce ou chambre en hébreu, ndlr), de vieilles synagogues font figure de mémoriaux, près des boutiques tendances.
Pendant toute la durée du festival, passé et présent se côtoient dans ce grand événement attirant les foules. Qui aurait pu croire que la musique rock hassidique pouvait être aussi sexy que celle du groupe Alte Zachen (vieux trucs) lorsqu’elle est jouée au « Nouveau Temple », qui date du 16ème siècle!
Pourtant, il est difficile de se concentrer sur la musique lorsque vous vous retrouvez à la fenêtre de l’appartement de vos grands-parents qui surplombe la synagogue. Bien que je ne les ai jamais rencontré, j’ai pu les voir passer furtivement, choqués par la modernité de la musique. C’est une épreuve de concilier toutes ces émotions contradictoires. Et peut-être que l’on n’est pas censé y parvenir.
Les organisateurs du festival sont polonais, les artistes sont polonais, israéliens et autres. Ce n’est certainement pas un évènement du genre “Violon sur le toit”. Il est moderne et au goût du jour, souvent surprenant. Une série d’événements a été consacrée à la musique juive du Maghreb. Rarement appréciés en Israël, peu connus ici, les interprètes marocains, tunisiens, et algériens ont charmé la foule entassée du Cheder, encore imbibée de l’odeur de la chala (pain juif traditionnel) fraîchement sortie du four à l’occasion du festival.
Non loin de là, le nouveau centre communautaire juif de Cracovie est en effervescence. 500 membres le fréquentent, pas tous des Juifs. C’est devenu un endroit où il est in d’être vu. Au deuxième étage, un groupe d’adolescents maîtrisent les pas des danses folkloriques israéliennes. Le mur de l’étage est orné d’affiches en hébreu critiquant le député israélien Avigdor Lieberman. Qu’il est étrange de voir cela ici.
A l’étage supérieur, Ewa Wegrzyn donne une conférence intitulée Renaissance juive en Pologne. Les livres et les publications trimestrielles consacrés au judaïsme et aux Juifs de Pologne sont plus nombreux que le nombre de Juifs qui vivent dans le pays. Les chiffres qu’elle cite sont effrayants: seulement 10% des 3,3 millions de Juifs qui vivaient en Pologne avant la guerre ont survécu, 1.500 Polonais sont morts en essayant de sauver des Juifs, 60.000 Juifs sont morts en raison de la collaboration polonaise avec les nazis, 30.000 Juifs ont survécu grâce à l’aide de Polonais qui ont risqué leur vie.
Lorsque vous marchez dans Kazimierz, où les rues portent encore des noms comme « Ester » et « Jozef »,vous avez le sentiment que la Pologne est obsédée par les Juifs, en particulier pendant les jours de fête.
C’est en partie vrai. Pour entrer en contact avec leur propre histoire, les Polonais rencontrent un Juif à chaque coin de rue. Il y a des festivals juifs dans de nombreuses villes polonaises, des tonnes de publications et un nombre croissant de facultés enseignant les études juives à des non-Juifs. Mais un seul élément manque : les Juifs.
Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, « Le million qui a changé le Moyen-Orient » sur l’immigration d’ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.