La brigade commando, l’arme fatale de Tsahal ©
L’instrument tout neuf d’attaque en profondeur, dans la boîte à outils de Tsahal
Au début février 2016, cette vision que plusieurs chefs d’Etat-Major précédents avaient tenté de faire progresser jusqu’à l’actuel chef d’Etat-Major, le Lieutenant-Général Gadi Eisenkot, est devenue réalité, en se concrétisant enfin dans la mise en place d’un exercice d’entraînement de la brigade commando qui s’est déroulé dans la Vallée du Jourdain.
Ce n’est en aucun cas une mission simple que de prendre quatre unités des forces spéciales, chacune entraînée pour acquérir des compétences spécialisées différentes, chacune possédant une tradition différente et une structure de commandement différente, chacune portant un béret différent – et de les réunir pour ne plus former qu’une seule et unique brigade. Ceci était, précisément, le défi auquel a fait face le Général de Brigade Uri Gordin, Commandant de la 98ème Division de Tsahal (la Division d’élite des Parachutistes) affecté au commandement de la nouvelle brigade. Gordin a commandé les récentes manœuvres, aux côtés du commandant en chef de la brigade commando, le Colonel David Zini.
Tsahal a nommé cet exercice Leil HaGsharim (« La Nuit des Ponts ») : quatre jours au cours desquels les quatre unités des opérations spéciales : Duvdevan (« Cerisier »), Maglan (« Ibis »), Egoz ( Noyer) et Rimon ( Grenadier) ont joint leurs forces dans un effort offensif unique, destiné à déstabiliser l’ennemi en mettant sur pied une percée agressive en profondeur dans les positions ennemies. La brigade commando s’est entraînée dans la Vallée du Jourdain, mais celui qu’ils avaient en tête, peut-on le présumer, était en réalité situé bien plus au nord : le Hezbollah. Durant la prochaine guerre, face aux 140.000 roquettes et missiles du Hezbollah et du potentiel dévastateur dont dispose cet arsenal, si on considère les bases-arrières israéliennes, les installations stratégiques et les bases de Tsahal, la nouvelle brigade commando sera l’une des toutes premières avant-gardes qui marchera en profondeur à l’intérieur du territoire ennemi, dans le but d’interrompre précocement le lancement de tout cet arsenal.
Le Général de Brigade Uri Gordin en connaît un rayon en matière d’unités des opérations spéciales. Il a fait fait sa carrière dans les rangs des Sayeret Matkal ( le groupe d’élite du QG de Tsahal parmi les unités des opérations spéciales) de bout en bout jusqu’au poste de Commandant de l’unité (entre 2007 et 2010). Le Chef d’Etat-Major de Tsahal à l’époque, le Lieutenant-Général Gaby Ashkenazi, l’a personnellement récompensé du rang de Colonel en tant que Commandant du Sayeret Matkal lors d’une opération spéciale pour laquelle l’unité a reçu des éloges. Deux mois avant l’Opération Bordure Protectrice, Uri Gordin est devenu le Commandant de la Brigade d’Infanterie Nahal et il a dirigé cette brigade dans les combats contre le Hamas dans le secteur nord de la Bande de Gaza.Un an après cette opération, en jullet 2015, le Chef d’Etat-Major Gadi Eizenkot a décidé de promouvoir Gordin et de le désigner au poste de Commandant de la Formation première au Feu dans Tsahal : la 98ème Division d’Elite.
Même après quatre jours sans dormir ou presque, le Général de Brigade Gordin paraissait pleinement alerte pour nous expliquer comment l’exercice d’entraînement s’est instauré et déroulé. « C’est le premier exercice de la Brigade en tant que telle. Nous l’avons appelé : « La Nuit des Ponts » et ce nom reflète le concept d’une séquence ininterrompue d’activités opérationnelles par des forces en petit nombre, qui ont l’intention de remporter une victoire significative sur les arrières de l’ennemi. La Brigade Commando est une nouveauté pour les éléments opérationnels de Tsahal – il s’agit d’un renforcement clair, net et direct de l’avantage opérationnel de l’armée.
« Selon mon interprétation, la brigade est radicalement différente de la Brigade Nahal que j’ai commandée au cours de l’opération Bordure Protectrice et radicalement différente des Sayeret Matkal que j’ai commandés au cours de l’Opération Plomb Durci. Toutes les unités qui composent la Brigade ont pris part à des activités opérationnelles au cours des combats de l’Opération Bordure Protectrice, chacun sous le commandement d’une brigade différente. Ils ont exécuté des missions qui leur étaient attribuées par les diverses brigades d’infanterie – des missions qui auraient pu être assignées à n’importe lequel des autres bataillons. A travers cette réunification, cette fusion, nous sommes déterminés à parvenir à quelque chose de tout-à-fait différent, à adapter les missions à des capacités opérationnelles ou vice-versa – afin d’ajouter un outil nouveau et d’une valeur tout-à-fait significative à la boîte à outil de Tsahal.
« L’instauration même d’une nouvelle brigade nous permet d’appréhender différemment les défis opérationnels – d’une façon plus concentrée, plus diversifiée, avec des solutions opérationnelles pour chaque type de défi auquel nous sommes confronté. En même temps, nous entrons dans un processus de développement de nouvelles capacités. C’est le premier produit et, bien qu’il apparaisse hautement significatif, cela reste le premier produit d’un processus d’apprentissage et de développement de nouvelles capacités. A l’origine, nous sommes engagés à faire fusionner différentes capacités, en faisant progresser et en développant un concept opérationnel et des plans opérationnels ».
Est-ce que le contexte de cette activité d’entraînement est spécifique à cette unité? Est-ce que chaque bataillon exécute une mission différente? S’agit-il d’un effort d’opérations multiples et combinées? A quoi pourra ressembler l’emploi de cette nouvelle brigade en temps de guerre?
« La Brigade est constituée de quatre unités opérationnelles, d’une unité médicale et d’une compagnie de communications et ils opèrent de façon coopérative – parfois conjointement et parfois de façon individualisée et séparée, vis-à-vis de chaque mission et face à tout défi. Quand ils sont partis pour le premier exercice le premier jour, ils sont tous arrivés sur zone et de là ils se sont lancés dans une séquence de presque quatre jours pleins d’activités opérationnelles sans interruption, parfois en proximité géographique étroite les unes des autres et d’autres fois de façon moins rapprochée ».
Quel est le système fondamental d’armement en usage et quel est la formation de base de la Brigade? S’agit-il d’une escouade, d’un peloton ou d’une compagnie? « Premièrement, le système fondamental d’armement de ce groupe, ce sont nos gars. Ce sont des forces spéciales composées de guerriers qui ont reçu un entraînement substantiel et très complet et qui sont capables de se lancer dans les défis et d’improviser sur le terrain – mais aussi de maintenir une gamme relativement étendue de capacités dans différentes situations de combat.
Concernant la formation fondamentale, selon notre interprétation, nous la développons tellement que même au niveau d’une équipe, ils seront capable d’exécuter une gamme très étendue de missions. D’un autre côté, nous comprenons que dans le contexte de missions plus significatives, il nous faudra un Orde de Bataille plus substantiel et en ce cas, notre formation de base sera une troupe entière. Mais je pense que la chose la plus importante que j’aimerais dire c’est que nous avons là, fondamentalement, une force possédant un très haut sens de la flexibilité opérationnelle, composée d’éléments qui vont du petit détachement à des vastes forces conjointes, de plus de deux à trois unités opérant conjointement dans un espace donné. Cela nous apportera un puissance d’attaque et d’effet-surprise très substantielle et hautement concentrée. »
Comment évitez-vous de perdre les aptitudes spécialisées, liées aux opérations sous couverture de l’unité Duvdevan ou les armements tactiques spéciaux de l’Unité Maglan? De quelle façon ces aptitudes spécialisées à chacune des unités s’adaptent aux opérations conjointes de l’ensemble des unités?
« D’abord et avant tout, s’il devait y avoir un risque ou une inquiétude concernant ce processus, ce serait bien celui-là – que nous puissions nuire sans l’avoir voulu à l’indépendance de chaque unité individuelle. Nous sommes intensément engagés dans un effort pour préserver leur puissance spécifiques et les avantages de chacun séparément. L’impression initiale de toutes les unités à la première session de débriefing préliminaire que nous avons menée, était plutôt celle d’une autonomisation et d’une responsabilisation. En ce qui concerne l’autre cadre, je pense que c’est la première fois que Tsahal a conçu cet instrument comme un outil déifférent, et du fait de cette hypothèse même qu’il est très différent, alors, chaque fois que nous sommes confrontés à un défi, nous réfléchissons à la manière de mettre sur pied la réplique utilisant cet outil des forces commandos de façon à ce qu’elles opèrent comme des commandos et non comme l’infanterie classique. C’est une opportunité extraordinaire de bâtir une force et de trouver des solutions inédites de ce type, à l’opposé de la façon dont le potentiel de ces unités a été employé comme celui d’une force standard ».
Est-ce que la Brigade Commando est conçue comme une brigade de manœuvre à l’intérieur de l’OrBat de Tsahal (ordre de Bataille)?
« Nous ne serons pas une nouvelle brigade de manœuvre. Nous serons une brigade d’unités commandos qui opère à la manière des unités commandos, qui agit contre des objectifs de haute valeur stratégique, qui tente d’accomplir les résultats désirés en focalisant sa puissance d’action sur des points spécifiques, significatifs, sur les défis que pose l’autre camp, l’ennemi. Je pense que la manière avec laquelle nous avons employé les unités des forces spéciales par le passé était grossièrement inapproprié et bien e-deçà de leur potentiel réel. Je pense que le fait même que nous les combinions et créons, par-là même, une nouvelle perspective qui nous permet de développer des capacités dont nous ne disposions pas auparavant, autant que nous parvenons à des configurations opérationnelles qui sont différentes de tout ce que nous avions adopté dans nos plans jusqu’à ce jour ».
Gordin conçoit la fondation de cette nouvelle brigade comme un mouvement stratégique déterminant. « Il s’agit d’une décision organisationnelle qui n’est rien de moins qu’historique », dit-il. « Une Brigade à part des unités des opérations spéciales, qui rappelle un peu le fameux COSC (Commandement des Opérations spéciales Conjointes) de l’armée américaine, qui opère à partir de Fort Bragg, en Caroline du Nord. Comme beaucoup d’autres grandes idées dans Tsahal et dans ce cas aussi, nous observons de très près ce que font les Américains ».
« La poigne de fer d’un commando structuré »
La nouvelle brigade commando incorpore quatre unités des opérations spéciales : Maglan – qui emploie des systèmes d’armement spécialisés derrière les lignes ennemies, l’unités des opérations secrètes Duvdevan – qui agit sous déguisement essentiellement contre les terroristes recherchés dans les territoires. Egoz, qui a été originellement créé dans les années 1990 pour constituer une force d’intervention de guérilla contre le Hezbollah au Liban, et Rimon, remis sur pied en 2010 (en adoptant le nom mythologique de l’unité Rimon de reconnaissance qui opérait dans la Bande de Gaza dans les années 1970), comme unité commando du Désert assignée à faire face aux défis que posent Daesh et d’autres éléments hostiles le long de la frontière égyptienne et dans la Bande de Gaza.
Le défi est donc conséquent. Le Chef d’Etat-Major de Tsahal Gadi Eizenkot a pris quatre unités associées à différents commandements régionaux et différentes autres unités, possédant des aptitudes, des méthodes d’opération et de fonctionemment radicalement différentes, en les subordonnant toutes au même commandant, le Colonel David Zini, qui a fait carrière en avançant dans les rangs de la Brigade d’Infanterie Golani ety a commandé l’unité Egoz par le passé. Au cours de l’Opération Bordure Protectrice, Zini a été envoyé d’urgence pour remplacer le Colonel Ghassan Alian, chef de la Brigade Golani, blessé au cours de la bataille de Sajaiyah. Le rêve de toute la vie de David Zini – en tant qu’officier qui a essentiellement fait carrière dans les rangs de la Brigade Golani – était de devenir de commandant de cette brigade. Cependant, l’été dernier, il a été convoqué par le vétéran n°1 de la Brigade Golani, le Chef d’Etat-Major de Tsahal, Gadi Eizenkot, qui a é&té l’officier commandant Zini durant de longues années et qui le connaît très bien et qui a dit à Zini : « Vous n’allez pas commander Golani. Vous allez devoir commander quelque chose qui est bien plus difficile à diriger que Golani ».
Les hommes des unités des opérations spéciales sont inquiets, profondément inquiets. Les hommes de l’unité Egoz sont inquiets du fait que leurs doctrines et tactiques de guérilla sont sur le point de changer. Les gens de l’unité Duvdevan s’inquiètent de ce qui pourrait altérer leurs capacités secrètes. Les traditions de combat vieilles de plusieurs décennies sont brusquement soumises à de nouveaux tests. De telles unités se construisent leur Esprit de Corps (en français dans le texte) et leurs symboles au fil des années et brusquement toutes les cartes sont redistribuées sur la table, rebattues et à nouveau traitées.
Quoi qu’il en soit, nous constatons que les « véritables » unités d’élite, les plus sélectives, demeurent hors de la Brigade Commando – elles demeurent au sein du Directorat des Renseignements de Tsahal, dans les Forces aériennes et la Marine ou sous le commandement du Commando d’intervention en Profondeur du QG. Jusqu’à présent, la nouvelle Brigade Commando doit consolider sa propre doctrine de combat qui puisse s’adapter à un nouveau champ de bataille. Non plus les forces armées régulières encombrantes composées de divisions blindées équipées d’armes de fabrication soviétique – mais Daesh, le Hezbollah et le Hamas. Les organisations manquant de centre de gravité militaire traditionnel, des organisations mélangées à la population civile. « L’idée est de créer une poigne de fer de commandos structurés capable d’opérer en formats larges et sur de très longues périodes de temps derrière les lignes ennemies », explique un officier supérieur de Tsahal.
Tsahal s’inscrit dans une longue histoire d’opérations commando depuis l’aube de son existence. On tourne autour de l’idée d’unifier les opérations commandos depuis l’époque du huitième Chef d’Etat-Major de Tsahal, le Lieutenant-Général Haïm Bar-Lev, qui s’opposait à l’instauration d’un unique quartier-général commando. Tsahal est à nouveau revenu sur cette idée en 1982, mais cette révision a été interrompue par l’éclatement de la Première Guerre du Liban.
En 1986, une autre tentative a eu lieu afin d’établir un Quartier-Général des commandos en profondeur sous le commandement du Général-Major Doron Rubin, mais cette initiative a été interrompue par l’Opération Kachol VeHum (« Bleu et Brun ») au Liban et l’idée a, à nouveau, été laissée à l’écart.
Au cours de la Seconde Guerre du Liban (2006), la frustration a été considérable à lasuite de l’usage inadéquat des unités des opérations spéciales de Tsahal. Tal Russo avait été désigné comme consultant spécial des opérations commando auprès du Chef d’Etat-Mahjor Dan Halutz et une opération conjuguée des unités du Sayeret Matkal et de Shaldag avait été montée à Baalbek au Liban, le 2 août 2006. Le Ministre de la Défense israélien, à cette époque, Amir Peretz, percevait l’Opération Had VeHalak (Purement et Simplement) comme « l’Opération qui allait changé le visage de la guerre », mais, en fait, cela n’a rien été de plus qu’un « voyage de vantardise » – un aller et retour en profondeur sur le territoire libanais à bord d’hélicoptères.
La question, à présent, c’est si la nouvelle brigade commando sera victorieuse et fera toute la différence sur le champ de bataille. Elle ne connaîtra jamais de temps pour chômer.
11/05/2016
|Adaptation : Marc Brzustowski