En 1942 à Alger, des résistants juifs ont mené une opération délicate pour faciliter le débarquement américain
C’était comme dans un conte de fée hollywoodien : à presque minuit, quelques centaines d’hommes ont surgi de partout dans la ville, pour se diriger vers des bâtiments gouvernementaux et des casernes de l’armée. Ils n’avaient pas de formation militaire, et la plupart d’entre eux n’avait jamais touché à une arme auparavant. Certains de leurs fusils n’avaient même pas de balles. Leur but était de prendre la ville et de neutraliser l’armée française, rien de moins.
Nous somme en novembre 1942 à Alger, au moment où l’armée américaine est sur le point de débarquer pour affronter les armées allemandes en Afrique du Nord. Un coup d’Etat a lieu dans la ville. Il est mené par un groupe de la résistance gaulliste, composé principalement de Juifs, qui tentent de faciliter la mainmise américaine sur la ville. Dans l’un des chapitres les plus surréalistes de la Seconde Guerre mondiale, une petite armée inorganisée de bénévoles a réussi à tromper 200.000 soldats de l’Hexagone et de l’Axe.
Le plan était simple: les forces alliées débarquaient sur la côte ouest du Maghreb, contrôlée par la France de Vichy, et la résistance s’occuperait de paralyser les troupes du régime afin de remettre la ville aux Alliés. Les résistants allaient présenter des papiers contrefaits à l’Etat-major de Vichy, lui donnant l’ordre de remplacer les soldats dans les institutions centrales par des gardes civils.
Dans la confusion, les soldats de Vichy ont permis à des centaines de membres de la résistance de s’emparer du bureau de poste, du commissariat, de la salle des communications et de la maison du commissaire. Leurs commandants, y compris l’adjoint de Philippe Pétain, ont été placés sous les verrous sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré. Au cours de ces événements renversants, un Juif a même réussi, dans un message diffusé à la radio, à se faire passer pour un général français et a ordonné à toute l’armée de se rendre. À l’aube, les Américains sont arrivés et ils ont finalement repris la ville.
Ce drame méconnu est raconté dans le film Night of Fools (“La nuit des dupes”, ndlr), qui sera diffusé jeudi en Israël, dans le cadre de la Journée de la mémoire de la Shoah. L’histoire est restée pratiquement inconnue puisque personne n’avait intérêt à l’inclure dans les livres d’histoire: les Américains n’avaient pas envie de partager leur victoire et il s’agissait, pour les Français de Vichy, d’un épisode embarrassant. Les historiens ont pour leur part consacré l’essentiel de leur temps et de leur énergie à étudier la Shoah en Europe.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, il y avait environ 120.000 Juifs en Algérie. Suite à l’occupation française du pays en 1830, les Juifs ont adopté progressivement la culture française et ont fini par obtenir la citoyenneté française. “Les Juifs algériens étaient très fiers de la République française”, affirme l’historien Claude Sitbon dans le film They wanted to be more French than the French (“Ils voulaient être plus Français que les Français”, ndlr).
Quand la France s’est rendue en 1940, les Allemands ont divisé le pays en deux: le nord et l’ouest constituaient la « France occupée » sous le contrôle des nazis et la « France libre” était dirigée au sud par un gouvernement fantoche installé dans la ville de Vichy. Le chef du gouvernement de Vichy, le maréchal Pétain, contrôlait également les colonies françaises en Afrique du Nord, dont la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, où vivaient deux millions de Français.
À partir de 1940, les Juifs algériens ont commencé à être persécutés socialement et économiquement. Le régime de Vichy y a appliqué les lois de Nuremberg pour les Juifs: leur citoyenneté a été annulée et ils ont été expulsés des écoles et des universités. Un membre juif de la résistance dit dans le film que « la nouvelle situation posait un dilemme pour les Juifs, mais nous avons décidé de relever la tête et de ne pas céder ».
En effet, les Juifs constituaient environ 85% des membres de la résistance algérienne, en partie parce qu’ils étaient moins soupçonnés de dénoncer ou de trahir leurs camarades.
L’historien Léon Poliakov, a souligné l’importance de la résistance d’Alger dans la succès du débarquement. Selon lui, l’intervention alliée se serait terminée par une catastrophe sans la participation de la résistance. Plus de 500 soldats américains sont morts lors du débarquement de Casablanca le même mois, alors que celui d’Alger n’a fait aucun mort, en raison du mouvement clandestin.
Cet épisode a été un tournant symbolique dans l’enchaînement des événements, selon Sitbon, car c’est un acte de résistance, effectué essentiellement par des Juifs, qui a conduit à l’une des premières victoires alliées de la Seconde Guerre mondiale. Jusque-là, l’Allemagne et ses alliés remportaient toutes leurs batailles, mais après le débarquement en Afrique du Nord, le vent a tourné.
Le réalisateur du film Rami Kimchi, qui également maître de conférences au département communication de l’université d’Ariel, souligne que “cette histoire compte tous les éléments d’une narration typiquement juive: un grand danger et une menace d’anéantissement qui conduisent au désespoir, mais qui provoque aussi une forte envie de prendre son destin en main”.
“Quand j’ai commencé à travailler sur le film, je pensais que les membres de la résistance avaient agi de façon extraordinaire. C’est seulement après les avoir rencontrés et avoir entendu leurs témoignages que j’ai compris que leur succès était très incertain. Ils avaient de vieux fusils, mais beaucoup de nerfs. On peut dire qu’ils ont eu plus chance que d’intelligence. Ils croyaient qu’ils avaient raison et que Dieu allait les aider. Heureusement, ils ont eu raison », conclut-il.
Adi Schwartz est un journaliste et chercheur israélien.