oct 19, 20145
Historien français et rabbin vivant en Israël, Alain Michel est l’auteur de Vichy et la Shoah, enquête sur le paradoxe français (préface de Richard Prasquier), dont les idées sont largement reprises par Eric Zemmour. Il plaide pour que s’ouvre un « débat historique » sur la question, jugeant que le l’historiographie de la Shoah est figée en France.
Eric Zemmour reprend vos idées au service d’un ouvrage très politique et idéologique – Le suicide français. N’est-ce pas gênant pour l’historien que vous êtes?
Je ne suis pas responsable de l’utilisation que l’on fait de ce que j’avance, à partir du moment où l’on ne déforme pas ce que j’écris. Le livre d’Eric Zemmour reprend ses idées, ses approches, et cela ne me concerne pas. Je n’aurais pas fait la présentation de cette manière-là, concernant le chapitre sur la France de Vichy. Zemmour parle comme le polémiste qu’il est. Mais il respecte globalement l’approche qui est faite dans mon livre. Je n’ai pas à censurer quelqu’un en raison de ses idées tant que cela reste globalement dans le consensus démocratique.
Peut-on dire, comme Eric Zemmour, que « Pétain a sauvé 95% des juifs français »?
Non, ce n’est pas Pétain mais le gouvernement de Vichy. Cette politique – approuvée par Pétain – a été essentiellement menée par Pierre Laval, secondé par René Bousquet. Pétain était quelqu’un qui avait un vrai fond d’antisémitisme, qui n’existait pas, à mon sens, chez Laval et Bousquet. L’expression de Zemmour est maladroite. Il aurait fallu dire « entre 90 et 92% », et contrairement à ce qu’affirme Serge Klarsfeld, je ne pense pas que l’on puisse attribuer ces chiffres à la seule action des « Justes parmi les nations », mais principalement à la politique appliquée par le gouvernement de Vichy, qui a freiné l’application de la solution finale en France.
Existe-t-il une doxa paxtonienne (du nom de Robert Paxton, historien américain dont les recherches sur la France de Vichy font référence), comme le répète Eric Zemmour?
Oui, je pense qu’il a tout à fait raison de ce point de vue-là, malheureusement. Depuis le début des années 1980, il est très difficile d’exprimer des idées sur le plan historique qui vont à contre-sens de la pensée de Paxton. Certains chercheurs ont arrêté de travailler sur le sujet, car le poids de cette doxa les empêchait de travailler librement. C’est un problème sur le plan de la recherche historique. On peut être en désaccord sur ce que j’écris dans mon livre – considérer que la vérité est plus du côté de Paxton ou Klarsfeld – mais le débat historique doit être libre. Il ne l’est pas aujourd’hui en France.
Les ouvrages de Leon Poliakov (Bréviaire de la haine : le IIIe Reich et les juifs) et Raul Hilberg (La destruction des juifs d’Europe), auxquels vous vous référencez, sont anciens, et ont été écrits sans qu’ils aient eu accès à l’ensemble de la recherche sur le sujet, ce que vous reproche Paxton notamment…
C’est une inexactitude totale. Poliakov est revenu sur ses écrits en 1989, écrivant à nouveau que Laval n’avait jamais été antisémite. C’est l’historien de l’antisémitisme, je pense que l’on peut lui accorder un certain crédit. De la même façon, Hilberg a publié trois éditions de son livre. Il cite d’ailleurs Paxton et Klarsfeld à titre documentaire seulement, et jamais concernant leur analyse, ce qui montre bien son désaccord avec eux.
Que répondez-vous à Robert Paxton, qui affirme que vous n’êtes pas un historien sérieux?
Un historien sérieux n’est pas là pour distribuer les bonnes et mauvaises notes aux autres chercheurs. Il doit amener des faits. Dans son interview à Rue 89, il y a une série d’erreurs stupéfiantes, notamment sur les dates des déportations en France, où sur la durée de l’occupation en France et en Italie… Le gouvernement de Vichy avait bien sûr beaucoup de torts, était antisémite, mais je pense qu’il faut rééquilibrer la question et cesser de faire un récit en noir et blanc, qui diabolise Vichy et innocente les Français.
Que voulez-vous dire?
Je pense que ce qui caractérise cette période, c’est avant tout l’indifférence totale des Français. Les gens n’avaient rien à faire du sort des juifs, cela ne les dérangeait pas trop, parce qu’il existait une ambiance antisémite en France et en Europe depuis les années 1930 environ.
Qu’implique un « réexamen du régime de Vichy », que vous appeliez de vos voeux dans votre livre?
Il y a encore des archives non utilisées, ni consultées. Il faut réfléchir à nouveau à ce qu’il s’est passé durant ces années, analyser l’action de Vichy avant de poser des condamnations absolues. Je déteste les dirigeants de Vichy et n’ait aucune sympathie pour ces gens-là, mais je suis historien et nous ne faisons pas un travail d’avocat à charge. Nous devons déterminer le cours des événements et ce qu’a été la vérité historique.
Comment dire que Vichy a « protégé la majorité des juifs français », quand le statut des juifs de 1940 et 1941 les excluait de la plupart des professions et les condamnait à la misère, avec un statut de citoyen de seconde zone?
Le statut des juifs les a affaiblis quand la solution finale s’est déclenchée. Que cela ait eu des conséquences indirectes, c’est une chose, mais ce n’est pas pour ça que l’on peut dire que Vichy a sacrifié des juifs français. Le statut des juifs était antisémite, mais n’avait aucune volonté d’extermination. Il y avait en revanche une forte xénophobie vis-à-vis des juifs étrangers, et en répondant aux demandes allemandes pour livrer ces gens-là, Vichy s’est rendu complice de leur extermination.
Les enfants victimes de la rafle du Vel d’Hiv étaient, pour la plupart, nés en France et déclarés Français…
La majorité des adultes étaient des juifs étrangers, et la question de leurs enfants s’est logiquement posée. Les Allemands se sont en effet aperçus qu’ils n’allaient pas remplir leurs objectifs et ont décidé d’incorporer les enfants, sur une idée de Theodor Dannecker, le bras droit de Eichmann à Paris. L’administration française n’a appris ces changements qu’au dernier moment, et elle a dû s’y plier en vertu des accords signés avec l’occupant. Cette question est donc directement liée à la volonté allemande, même si l’administration française a participé à cet acte absolument horrible.
Vous estimez que l’historiographie de la Shoah est figée, que voulez-vous dire?
Certaines conceptions sont devenues des classiques, et on les enseigne dans les écoles et à l’université. Contrairement à l’Allemagne, Israël ou les Etats-Unis, où des débats existent sur la question de la Shoah, tout le monde parle d’une même voix en France. C’est devenu un problème affectif et idéologique. Il faut rendre cette question à l’histoire, car même si la mémoire est évidemment très importante, elle ne doit pas empêcher l’histoire d’avancer.
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Tout chrétien doit rechercher l’honnêteté, – y compris l’honnêteté intellectuelle, l’équité, la rigueur et la compétence en évaluant les événements historiques. On notera en passant que Madame Simone Weil, ancien Ministre, juive et déportée, a elle-même porté un jugement remarquablement nuancé sur le sujet abordé ici. Il n’empêche, à mon sens, que Vichy ne peut être réhabilité. Si certains ont y adhéré par idéal, parfois bien naïvement certes, et si d’autres ont voulu limiter les dommages, cette route était globalement descendante dès le départ, et aucun effort ne permettait de remonter. On a cru sage, réaliste, de survivre à coup de renoncements misérables. D’autres ont su dire non, et nous ont tirés de cet abîme moral et national. Hélas, nous restons marqués. Ne sommes-nous pas en train de faire la même chose, de nous complaire dans le renoncement, l’auto-avilissement présenté avec un petit soutire penaud comme de la sagesse et comme la clef de notre avenir ? N’ouvrons pas à la légère les boîtes de Pandore, surtout en ces temps où nous sommes dans un état de fragilité inquiétant. Le tout dit, je l’espère, sans arrogance, car je ne trouve rien en moi qui me permettre de prendre quiconque de haut. Que Dieu ait pitié de nous, c’est tout.
Bravo Hervé, belle et juste et courageuse manière de rebondir sur ce sujet.Le mot Thora signifie aussi la voie, le chemin. Tu ouvres ainsi une « thora » saine et salutaire!
Haim