Chapitre 1
C’est lorsque tu es simple voyageur sur la terre, tel Abel, que D.ieu répond à tes besoins véritables et qu’Il révèle ses mystérieuses profondeurs.
Nous nous dirigions vers la gare de Gap, distante de trente kilomètres, Elishéva, mon épouse, le frère Jean et moi-même. Je ne pouvais qu’être intérieurement réjoui de la conversation que Jean et moi entretenions à ce moment. Cette conversation n’aurait jamais été possible, sa tournure, son état d’esprit, si Jean, moi-même et les quelques membres de notre jeune assemblée du Refuge n’avions choisi délibérément, et quelles que soient les circonstances, depuis bien longtemps, cette enrichissante disponibilité à l’égard de la volonté de D.ieu, le Saint-Esprit la manifestant jour après jour.
Disponibilité jubilatoire, confrontée néanmoins régulièrement à tous les réflexes de la volonté humaine, que nous repérions en nous-mêmes, mais aussi un peu partout régulièrement dans le corps de Christ, de manière quelquefois vertigineuse, par rapport aux faibles moyens que nous avions à ce moment pour vivre la seule volonté de D.ieu.
Mais pour l’heure, pendant ce court trajet de nos domiciles jusqu’à la gare de Gap d’où le train me conduirait à Paris, ce frère, qui était appelé à rentrer un jour dans des fonctions de responsable au sein de notre assemblée, et moi-même, passions en revue le programme d’activités pour notre jeune assemblée et le lieu d’accueil du Refuge, pour les deux semaines à venir.
J’étais invité, à l’occasion d’un séminaire des Assemblées Apostoliques à Bangui, au Centre-Afrique, en tant que prédicateur, et en mon absence Jean, ancien de notre assemblée, allait devoir assumer toutes les responsabilités. Ma joie, de ce point de vue, était complète, car j’avais pu expérimenter avec lui depuis longtemps des relations empreintes de franchise totale, de disponibilité et d’humilité réciproques, durant ces quatre années de fréquentation fraternelle.
Le moteur diesel de la petite Ford qui approchait de Gap ronronnait, tranquillement, tandis qu’un éclair de lumière printanière, jailli par réflexion du rétroviseur, invitait nos regards à glisser doucement vers l’extérieur du véhicule. Les premières manifestations d’une saison tôt venue, les éclats d’argent des rivières et l’air frais du dehors peignaient le ciel bleu d’optimisme.
J’aurais aimé me taire et m’enfoncer paisiblement dans ce moment de sérénité apparente. Mais qu’y avait-il au fond de moi d’inassouvi ? Quel était ce malaise issu du plus profond de ma nature pécheresse et qui m’informait de quelque chose d’inachevé ?
Mon épouse, assise au fond de la voiture, silencieuse, semblait nous suivre à distance pendant ce trajet, comme véhiculée quelques mètres derrière nous par une autre Ford au moteur ronronnant.
C’est alors que quelque chose de l’ordre de la frustration et du ressentiment jaillit dans mon coeur à l’égard de celle que j’aurais dû appeler ma bien-aimée, comme cela se pratique si couramment dans nos milieux.
J’avais rencontré tant de visages boursouflés par le chagrin et la frustration, tant de corps tendus et maigres, tant de stupeurs existentielles déguisées en onctions religieuses, chez tant de femmes chrétiennes, chez tant de femmes de pasteurs même… Derrière ces apparences, on devinait dans nos milieux de considérables déserts relationnels, d’impitoyables parties d’échecs où maris et femmes semblaient tous deux perdants le plus souvent, dans des labyrinthes sans fin.
L’usage de ce terme de « bien-aimée » dans nos couples me paraissait très souvent presque hypocrite. Quelque chose me cernait l’âme et le coeur à entendre cette expression, connaissant que dans ma vie de couple, comme dans celle de tant de mes frères et soeurs, elle ne pouvait signifier au plus qu’une espèce de fanfaronnade infantile, creuse.
« Mon seigneur… » disait Sara (Genèse 18 : 12 et 1 Pierre 3 : 6), en parlant de son mari Abraham.
Depuis la première fois où le Rouah HaKodesh* avait enveloppé mon esprit pour le saisir avec ces quelques mots, l’Esprit de D.ieu avait médité plus d’une fois ce passage en moi (lorsque nous méditons, est-ce bien le Saint-Esprit qui médite en nous ? Car c’est là le secret de la méditation).
L’image du potentat oriental essuyant des doigts gras dans la chevelure de son épouse, celle du mâle égoïste à la lâcheté machique, n’avait évidemment rien à voir ici, je le savais.
Mais qu’était-ce alors ?
Et pourquoi D.ieu, régulièrement, attirait-il les yeux de mon âme et ceux de mon esprit vers cette simple expression : « Mon seigneur » ?
Elishéva, mon épouse, aurait-elle pu me parler de la sorte ? Intérieurement, je savais que non et je préférais alors en rire, à défaut…
Qu’y avait-il de si particulier derrière ces paroles de Sara que l’Esprit de D.ieu tentait à petites doses, mais régulièrement, de me faire comprendre ? Derrière ces mots,
* Esprit Saint en hébreu.
un fabuleux secret, celui de la position que j’avais à découvrir sans le savoir encore, était caché à mes yeux d’homme qui, en tant que mari, n’était pas encore né de nouveau.
Cette position, nous la trouvons clairement exposée en Ephésiens 5 : 25 à 33. C’est à la fois la position de Christ avec l’Eglise et de l’époux avec sa femme :
« Maris, que chacun aime sa femme, comme Christ a aimé l’Eglise, et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant et en la lavant par l’eau de la parole, pour faire paraître devant lui cette Eglise glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irréprochable. C’est ainsi que le mari doit aimer sa femme comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Car jamais personne n’a haï sa propre chair, mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l’Eglise, parce que nous sommes membres de Son corps. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand ; je dis cela par rapport à Christ et à l’Eglise. Du reste, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari. »
Cette position de seigneurie de Christ avec l’Eglise est un mystère. Mais, est-ce parce que c’est un mystère (l’apôtre Paul établit néanmoins une comparaison Christ -Eglise, mari – épouse) que la plupart d’entre nous, mes frères, avons négligé de piocher humblement la question ?
Sans nous leurrer, nous pouvons affirmer, dans un état d’esprit prophétique, que c’est bien parce qu’aujourd’hui la détresse est grande dans le domaine du couple qu’il va falloir nous tourner vers ce « mystère » pour en « ingurgiter » la substance…
Derrière ce « mystère » se cache en fait la dimension non mesurable de l’amour de D.ieu… et la croix !
« A cause de cela, je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom, afin qu’Il vous donne, selon la richesse de Sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, en sorte que Christ habite dans vos coeurs par la foi ; afin qu’étant enracinés et fondés dans l’amour, vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de D.ieu. » Ephésiens 3 : v. 14 à 19.
Maris, en ces temps d’apostasie, c’est cet amour parfait que D.ieu rêve de vous révéler en faveur de vos compagnes, afin qu’elles puissent avec leurs mots personnels, comme Sara, vous appeler un jour « mon seigneur ».
Oui, il nous faut naître de nouveau en tant qu’époux, car la plus grande part d’entre nous, mes frères, sommes peut-être des enfants de D.ieu nés de nouveau, mais la plupart de nos couples et de nos familles (et que dire des conséquences dans l’univers de nos assemblées…) errent encore dans l’enfance et l’indigence relationnelles, ainsi que dans la méconnaissance des standards divins dans le domaine relationnel.
La pensée grecque qui, comme la culture grecque d’ailleurs, place l’homme au centre, nous a tenus, dans le domaine relationnel, pendant des siècles et aujourd’hui encore, très éloignés de la Bible et de la pensée juive.
De manière inconsciente, bon nombre d’ouvrages écrits sur le couple, par exemple, placent le bonheur de l’homme et de la femme au centre et sont donc « grecs » même dans leur motivation, dans le développement de leur théorie, dans leur démarche d’écriture. Ce qui y est écrit n’est pas nécessairement mauvais, mais y est insuffisant et frustrant en fin de compte, parce que centré sur l’homme et « son bonheur ».
C’est pourquoi, à travers cet ouvrage, je vous propose une méditation sur le point de vue biblique et divin concernant le couple, afin qu’ensemble nous partions à la recherche du point de vue de D.ieu, tout en étant animés du désir de Lui plaire, de L’honorer et de remettre au centre Ses principes.
« Tu aimeras le Seigneur ton D.ieu de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Matthieu 22 : 37 à 39. Nous pourrions traduire par : « Tu chercheras tout ce qui plaît à D.ieu (et non à toi-même) et tu chercheras ce qui plaît et convient à ton prochain (et non à toi-même). »
En ce qui concerne ce jour du départ vers l’Afrique, j’avais rendez-vous avec le bras du Tout-Puissant qui allait, par pure grâce, m’identifier enfin au rôle biblique qui était le mien en tant qu’époux.
A l’intérieur du véhicule qui nous conduisait à Gap, un silence profond régnait à présent après que nous ayons débattu, Jean et moi, du programme dans l’oeuvre, pour les deux semaines à venir.
Mon épouse semblait à mille lieues de ces choses. Et pourquoi l’était-elle, me demandai-je alors ? Comment identifier ce qui m’apparaissait comme un décalage apparent entre son intérêt et le mien pour l’oeuvre de D.ieu ? J’en voulais intérieurement à Elishéva de son silence. J’agissais comme un enfant et ne le réalisais pas, car j’attendais de mon épouse approbation et encouragement. Et pourquoi ne les recevais-je pas, alors ? Pourquoi Elishéva semblait-elle apparemment sans intérêt pour ce voyage que j’allais accomplir en Afrique ? Etait-ce bien là, me disais-je, l’attitude d’une femme de serviteur de D.ieu ?
Intérieurement, j’étais toute frustration et perplexité face à tant de silence au moment d’un départ.
Un sentiment vague mais profond d’impuissance et la certitude qu’il y avait quelque part entre nous un « raté » me rejoignaient une fois de plus.
Avec quelle sincérité tragique et quel aveuglement néanmoins je laissais alors des pensées d’accusation et de ressentiment s’installer en moi vis-à-vis de mon épouse !
C’est dans cet état d’esprit que je me retrouvai sur le quai de la gare de Gap, où j’eus grand peine à refouler mon amertume face à ce que j’estimais de la part de mon épouse comme un manque de tendresse.
Ceci faisait écho en moi, sans que je l’identifie, à un immense appel affectif vers cette mère à laquelle j’étais toujours « marié », profondément lié psychiquement et inconsciemment. « Mariés » comme le sont, j’allais le découvrir plus tard, la plus grande majorité des hommes, et ceci du fait d’une absence de relation biblique et prioritaire au père terrestre.
Pour pallier à ma détresse, je saisis Jean par le bras et lui répétai de manière mécanique et assez ridicule les recommandations faites précédemment dans la voiture. Le haut-parleur annonça l’arrivée du train pour Paris d’où je devais m’envoler quelques heures plus tard vers Bangui. Au loin, le train s’immobilisa derrière un feu rouge et la présence de ma femme, deux mètres derrière moi, sembla disparaître un peu plus encore dans notre gouffre d’incommunicabilité.
Deux couples déambulaient sur le quai. Le premier, un jeune militaire de Briançon et sa fiancée, tous deux comme un joli printemps « repeint au vin blanc », l’autre, un prospère homme d’affaires aux bras duquel une blondeur tout en boucles et une ribambelle d’enfants s’attachaient le plus amoureusement du monde, me renvoyaient par le spectacle de leur bonheur extraverti, moi le « craignant D.ieu », le « serviteur de D.ieu », à ce cuisant échec dont je ne discernais ni le lieu, ni la formule, la raison profonde. Quelle gifle ! Quelle détresse !
J’ai parfois remarqué comme il est difficile pour un homme de « quitter » sa mère lorsqu’il se marie. J’ai même vu un jeune couple rentrer très rapidement de voyage de noces car le marié ne supportait pas d’être séparé de sa mère trop longtemps. L’épouse doit lutter et se sent entrer en compétition avec la mère, même si cette dernière n’est pas toujours présente. Cela entraine des frustrations et de la déception chez beaucoup de femmes. Dès lors, difficile pour elles de voir leur mari comme leur seigneur. De plus, le féminisme exacerbé de notre époque pousse la femme à se voir l’égale de l’homme, voire même supérieure. Impossible dans ce cas d’avoir un seigneur !
Le titre de Mon seigneur que Sarah attribuait à Abraham, se mérite…Vois dans le livre comment en lisant le témoignage.