Elisabeth Lévy : «Une proportion croissante de nos concitoyens ne se sent plus chez elle»
nov 12, 20143
Le Suicide français raconte avec brio la fabrication de l’idéologie dominante qui a recouvert l’existence concrète d’un discours irénique, interdisant au populo de dire ce qu’il vivait et de voir ce qu’il voyait.
«Éric Zemmour ne mérite pas qu’on le lise.» Si je n’avais pas eu d’autres raisons de lire Le Suicide français, cette déclaration de Manuel Valls m’aurait suffi. D’abord, comme pas mal de mes concitoyens, je pense spontanément qu’un livre frappé d’interdit doit être rudement intéressant. Et puis, j’aime bien me faire ma petite opinion, et pour ça, il n’est pas mauvais de « frotter sa cervelle à celle d’austruy », comme le suggérait Montaigne. […]
Or, avec une seule phrase, glaçante, le Premier ministre a tout dit de la conception strictement contraire qu’une certaine gauche a du débat intellectuel. C’est très simple : quand on n’est pas d’accord, on ne cause pas, on cogne. Question méthodes, on peut puiser dans un riche héritage. Dénonciation, calomnie, disqualification morale, citations manipulatoires, lynchage en boucle et en meute, appels publics à l’exclusion professionnelle – et j’en passe sans doute : contre ceux qui s’écartent des opinions admises (comprenez admises par les détenteurs du pouvoir culturel), tout est permis. Tout sauf les lire et les discuter. Des fois que ce serait contagieux. […]
Le vacarme causé par ces quelques pages (sur Vichy) a permis d’étouffer toutes les autres sous un silence de plomb.
Tout point de vue déviant est donc haché menu pour ressortir sous forme de quelques mots-clefs brandis pour tuer. « Assimilationniste » (et désormais « laïque ») est traduit par « raciste », « hostile au mariage gay » par « homophobe », « conservateur » par « rance » ou « moisi » et « nostalgique » par « réac », « facho », voire « nazi » les grands jours.
En attendant, Le Suicide français et ses centaines de milliers de lecteurs sont une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui croient pouvoir prononcer des décrets d’infréquentabilité et ne peuvent observer qu’avec effroi la zemmourisation des esprits – à moins qu’ils n’y trouvent une nouvelle raison de vouer aux gémonies un peuple de beaufs à l’esprit étroit qu’ils ont échoué à rééduquer.
De toute façon, les nuances et les distinctions n’intéressent guère les prêcheurs déguisés en journalistes et les chasseurs de sorcières auto-promus intellectuels.
La popularité d’Éric Zemmour est d’abord un désaveu cinglant à la propagande frénétique pour les beautés du métissage, les richesses de l’immigration et les joies du partage.
On peut s’en désoler, il faudra bien se décider à le voir en face : les Français sont de plus en plus nombreux à penser que l’immigration et la faillite de l’intégration constituent la plus grave menace qui pèse sur leur identité collective. (Raison pour laquelle des libéraux bon teint rallient le néo-FN étatiste de Marine Le Pen). D’après le sondage du Parisien, sur ce sujet, 50 % des personnes interrogées estiment, comme Zemmour, que l’immigration constitue la première cause du déclin français.
C’est ainsi : une proportion croissante de nos concitoyens ne se sent plus chez elle, ou, pour le formuler comme Christophe Guilluy, refuse de devenir minoritaire dans son pays, sa ville ou sa cité.
Les beaux esprits et les âmes délicates peuvent continuer à se boucher le nez. Plus ils interdiront aux citoyens de penser cela, plus ces derniers le penseront.
Alors, les amateurs d’autodafés feraient mieux de foutre la paix à Zemmour. S’ils parvenaient à le brûler (métaphoriquement, bien sûr), ils pourraient avoir affaire à des adversaires qui n’auront ni son intelligence, ni sa culture, ni son amour passionné de la France.
Elisabeth Lévy