En Irak, les Etats-Unis doivent choisir entre islamisme et légalisme
juil 02, 2014Emmanuel Navon, Irak
Par Emmanuel Navon
Cette frontière fut approuvée, avec des modifications, par la Conférence de San Remo (avril 1920), par le traité de Sèvres (août 1920), par le traité de Lausanne (juillet 1923), et par le mandat de la Société des Nations sur la Palestine et la Syrie (septembre 1923). L’EIIL n’a pas complètement tort : ces frontières, dessinées par les Français et par les Britanniques pour servir leurs intérêts impérialistes, ont divisé artificiellement la nation arabe. Pourquoi devraient-elles être immuables?
La réponse est que la plupart des frontières sont artificielles et arbitraires, et qu’elles ont été généralement établies sans le consentement des populations locales. En outre, on ne peut pas remettre en cause les frontières des Etats qui ont remplacé l’Empire ottoman sans remettre en cause les frontières des Etats qui ont remplacé l’Empire austro-hongrois (comme Hitler le fit dans les années 1930, provoquant ainsi l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale). Certes, les Etats qui ont émergé des ruines de l’Empire austro-hongrois étaient des États-nation, tandis qu’au Moyen-Orient, une nation (la nation arabe) a été divisée en plusieurs Etats. Cette différence, cependant, n’est pas une raison suffisante pour plaider en faveur de la modification des frontières au Moyen-Orient, mais pas en Europe de l’Est.
Cela ne signifie pas que les frontières ne peuvent pas être redessinées. Elles le sont souvent. Les territoires changent de souveraineté et d’allégeances, parfois avec l’approbation des populations locales mais généralement sans elles. La Sarre a choisi de faire partie de l’Allemagne en 1935 (et de nouveau en 1955). En 1939, la province de l’Alexandrette (ou du Hatay) a voté (lors d’un référendum contesté par la France) la sécession de la Syrie française pour faire partie de la Turquie. Après la Seconde Guerre mondiale, le territoire de la Pologne a été étendu vers l’ouest, aux dépens de l’Allemagne. En 1950, la Chine a pris le contrôle du Tibet. En 1954, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev a transféré la Crimée de la Russie à l’Ukraine. En 1974, la Turquie a conquis le nord de Chypre. En 1976, le Maroc a pris le contrôle du Sahara occidental. La liste est plus longue.
Précisément parce que les frontières peuvent toujours être contestées et le sont souvent, le droit international détermine que lorsque de nouveaux pays émergent à partir d’anciens mandats ou colonies, la dernière frontière officielle est considérée comme la frontière internationale. Ce principe, connu sous le nom d’uti possidetis (« vous possédez par la loi”), a été approuvé par la Cour internationale de Justice. Selon ce principe, les frontières au Moyen-Orient ou en Europe de l’Est ne peuvent pas être contestées, qu’elles fussent ou non injustes ou arbitraires (uti possidetis, bien sûr, ne tolère pas la conquête et l’occupation de pays souverains, comme l’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique en 1979 ou l’occupation du Koweït par l’Irak en 1990).
Contester et effacer les frontières du Moyen-Orient est précisément ce que les islamistes essaient de faire, avec l’Iran à leur tête. Certes, l’Iran est chiite et l’EIIL est sunnite. Mais la montée de l’EIIL bénéficie à l’Iran, car elle rend le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki plus dépendant de la protection iranienne. L’Iran veut que l’Irak devienne un Etat client et servile divisé en lignes sectaires entre les sunnites, les chiites, et les Kurdes. Certains prétendent même que l’Iran a contribué au renforcement de l’EIIL. En février 2012, le Département du Trésor des États-Unis a accusé l’Iran de fournir de l’argent et des armes à « Al-Qaïda en Irak », le groupe radical sunnite qui est devenu l’EIIL en avril 2013. Abdul Rahman al-Rashid, commentateur saoudien pour Asharq Al -Awsat, ainsi que directeur de la chaîne de télévision Al Arabiya, a récemment affirmé que l’EIIL est une création des services de renseignements iranien et syrien.
Face à l’EIIL et au défi iranien, les États-Unis ont deux choix. Il peuvent soit approuver la partition de l’Irak, avec un Irak sunnite qui s’unirait aux parties de la Syrie qui ne sont pas contrôlées par Assad, et un Irak chiite devenu protectorat iranien. Ou bien les États-Unis peuvent insister sur le strict respect des frontières et sur le principe d’uti possidetis.
Dans les deux cas, l’idée de créer un 23e Etat arabe (le soi-disant Etat « palestinien ») est en contradiction avec la réalité.
Si l’on admet que l’islamisation est en train de supplanter les Etats arabes artificiels, pourquoi en ériger encore un? Si l’on insiste sur l’inviolabilité des frontières de la Société des Nations, alors Israël -et Israël seulement- est l’héritier légitime et légal des frontières du Mandat en vertu du principe d’uti possidetis (l’occupation d’une partie de l’ancien Mandat britannique par l’Egypte et par la Jordanie entre 1948 et 1967 n’a pas légalement changé les frontières qu’Israël a héritées du Mandat).
Certes, l’Administration Obama affirme que la création d’un 23e État arabe au cœur d’Israël apportera la paix au Moyen-Orient. Mais n’oublions que Barak Obama décrivit l’Irak, lorsque les dernières troupes américaines quittèrent le pays il y a deux ans et demi, comme “souverain, stable et autonome. »
Emmanuel Navon dirige le département de science politique et de communication au Collège universitaire orthodoxe de Jérusalem et enseigne les relations internationales à l’Université de Tel Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya. Il est membre du Forum Kohelet de politique publique