Gaza: où conduit la stratégie de la Turquie?

By 13 novembre 2025GAZA

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Le plan de la Turquie pour Gaza pourrait acculer Israël sur deux fronts.

Les efforts massifs déployés par Ankara pour renforcer son emprise sur la bande de Gaza sont loin d’être anodins, et si la stratégie globale du président Recep Tayyip Erdogan porte ses fruits, Israël pourrait bientôt se retrouver encerclé par l’armée turque, au sud comme au nord. Comment Israël peut-il éviter l’étau turc ?

par le professeur Kobi Michael

Commençons par un fait souvent négligé: Ankara a annoncé le recrutement de 2 000 soldats turcs, qui seront formés au sein d’une brigade turque intégrant la Force internationale de stabilisation (FIS), déployée dans la bande de Gaza dans le cadre du plan Gaza du président américain Donald Trump. Cette initiative fait suite à une autre mesure turque révélée il y a quelques jours : l’émission de 37 mandats d’arrêt contre de hauts responsables israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu, pour crimes de guerre et génocide.

Ces développements surviennent alors qu’Ankara investit massivement pour accroître sa présence à Gaza par le biais d’organisations humanitaires turques et palestiniennes. Des affiches et des drapeaux turcs flottent dans toute la bande de Gaza, y compris sur les bulldozers qui déblaient les décombres et recherchent les otages décédés.

Trump a fait de la Turquie, aux côtés du Qatar, un partenaire clé de son initiative et considère Ankara comme le moyen de pression le plus efficace sur l’organisation terroriste Hamas. Erdogan s’est pleinement investi dans cette tâche. Il reconnaît à la Turquie le mérite d’avoir persuadé le Hamas d’accepter et d’entamer la mise en œuvre de la première phase du plan, et il souhaite obtenir ce qu’il considère comme la juste récompense pour ce succès : une présence, un engagement et une influence turcs accrus à Gaza.

Les intérêts de la Turquie et du Hamas

Pour Erdogan, cette récompense sert deux objectifs stratégiques. Premièrement, renforcer le statut de la Turquie en tant que puissance régionale majeure qui influence activement la géopolitique du Moyen-Orient. Deuxièmement, contenir Israël, affaiblir son influence régionale et limiter sa capacité à promouvoir les priorités israéliennes au détriment des priorités turques. L’alliance stratégique Israël-Grèce-Chypre en est un exemple flagrant : la Turquie la perçoit comme une menace pour ses intérêts clés en Méditerranée orientale.

Ankara considère Israël comme son principal concurrent régional, notamment sur le plan militaire, mais aussi technologique et économique, grâce au potentiel offert par l’élargissement des accords d’Abraham, dont le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC), reliant l’Inde et l’Asie de l’Est à Israël et à l’Europe via l’Arabie saoudite et la Jordanie. Sur le plan diplomatique, le renforcement des liens d’Israël dans la région et sa relation privilégiée avec les États-Unis entrent également en ligne de compte.

Le soutien au Hamas et à l’islam politique est l’un des leviers dont dispose la Turquie pour affirmer son leadership sunnite au Moyen-Orient. Cette logique sous-tend la politique d’Ankara à l’égard du Hamas et son insistance à maintenir ce mouvement comme un acteur politique influent, non seulement à Gaza, mais aussi, plus largement, dans la vie politique palestinienne. Une présence turque significative à Gaza permettrait à Ankara de préserver les intérêts vitaux du Hamas, qui sont par définition également des intérêts vitaux pour la Turquie.

Une combinaison gagnante

L’influence d’Erdogan à Gaza, conjuguée à sa proximité avec Trump et à la faveur que le président américain lui témoigne, constitue, selon Ankara, une combinaison gagnante. Erdogan croit, et espère, que cette situation permettra à la Turquie d’imposer une présence militaire importante à Gaza, en tant que pilier central des forces de sécurité israéliennes. Une présence militaire turque dans la bande de Gaza, renforcée par l’influence croissante des organisations humanitaires civiles turques, pourrait, de l’avis d’Erdogan, réduire la marge de manœuvre d’Israël et sa liberté d’action à Gaza, et donc sa capacité à agir de manière cohérente, profonde et efficace contre les efforts de reconstruction du Hamas.

La prudence compréhensible d’Israël quant à d’éventuelles atteintes aux Turcs, conjuguée à l’influence d’Erdogan sur Trump pour contenir Israël, offre aux forces armées turques l’opportunité de prendre Israël en tenaille, via Gaza au sud et la Syrie au nord. C’est ainsi que le président turc pourrait se tailler et consolider une zone d’influence stratégique préjudiciable à Israël.

Compte tenu de ces initiatives, et au vu de l’hostilité d’Erdogan envers Israël et de son antisémitisme manifeste, Israël aurait tout intérêt à maintenir son opposition ferme à toute présence militaire turque à Gaza. Il devrait agir avec ingéniosité et en étroite coordination avec Washington, en collaborant avec l’axe Égypte-Arabie saoudite-Émirats arabes unis afin de minimiser le rôle de la Turquie dans la bande de Gaza.

Dans le même temps, Israël devrait s’efforcer de renforcer son implication, sa présence militaire et son influence au sein de cet axe d’opposition, qui perçoit également la Turquie et ses manœuvres comme une menace et un défi. Surtout, Israël doit en saisir toutes les implications : si Erdogan parvient à mettre en œuvre sa stratégie globale, Israël pourrait se retrouver pris au piège d’une emprise turque, où Ankara dicterait les règles.

JForum.fr avec ILH

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