Le navire océanographique, en piteux état depuis son naufrage en 1996, doit prochainement être vendu aux enchères. Retour sur cinquante ans de carrière et de galère sur tous les océans.
La nymphe des mers est à l’agonie. La Calypso, embarcation mythique du commandant Cousteau, est entreposée depuis 2007 dans un hangar des chantiers Piriou à Concarneau (Finistère). Lesquels ont annoncé, vendredi 13 mars, qu’ils délivreront lundi 16 à l’association qui s’en occupe, l’Equipe Cousteau, un commandement de saisie-vente « qui débouchera sur une vente aux enchères ». C’est l’aboutissement de plusieurs années de bataille judiciaire.
Navire océanographique devenu le fidèle compagnon de son infatigable commandant, Jacques-Yves Cousteau, mort en 1997, la Calypso a vécu mille et une vies sur tous les océans de la planète. Retour sur cinquante ans de parcours hors normes.
L’îlot des « hommes-grenouilles » de Cousteau
A sa naissance, la Calypso ne porte ni ce nom, ni les ambitions de son futur commandant. Construite dans les chantiers maritimes de la Ballard Marine Railways Company, à Seattle (Etat de Washington, Etats-Unis), l’embarcation de 43 mètres de long a la fonction de dragueur de mines dans la Royal Navy britannique en 1942. Sobriquet : JB26. Après la guerre, le navire est mis en vente. Un riche mécène et ami de Jacques-Yves Cousteau l’acquiert et le loue à l’océanographe, ancien officier de la marine française, qui le transforme en laboratoire. Le bateau est baptisé Calypso, en référence à la nymphe des mers qui recueille Ulysse à son retour de Troie dans L’Odyssée.
La Calypso devient le couteau suisse de l’équipe constituée par le commandant Cousteau, dont les équipements parfois révolutionnaires sont perfectionnés au fil des ans. Le navire se dote d’une soucoupe plongeante, d’une cage sous-marine, de scooters des mers, de diverses chambres d’observation et même d’un hélicoptère, détaille le foisonnant blog Passion Calypso. Très vite, Jacques-Yves Cousteau ressent le besoin de filmer ses expéditions et de les rendre accessibles au grand public. Un caméraman accompagne l’équipage, qui bidouille génialement une caméra sous-marine, avec au début une simple plaque remplie d’eau filtrée en guise de lentille.
En 1956, la Calypso devient la star d’un film documentaire qui reçoit la Palme d’or au festival de Cannes : Le Monde du silence, coréalisé par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle. Cette œuvre, second film sous-marin en couleur de l’histoire du cinéma, raconte le périple des « hommes-grenouilles » du commandant Cousteau en 1954 et 1955. Le bateau à moteur fend fièrement les étendues d’eau, à une époque où le commandant ne porte pas encore son emblématique bonnet rouge. Son épouse Simone, surnommée « la bergère », est aussi du voyage, tout comme leur chien.
Des expéditions ponctuées de drames
Au cours des années 1960 et 1970, la Calypso multiplie les expéditions et les apparitions télévisées. L’émission « L’Odyssée sous-marine de l’équipe Cousteau »est diffusée en France, mais aussi aux Etats-Unis, sous le nom de « The Undersea World », ou en Amérique latine (« El mundo submarino »). Mer Rouge, océan Indien, Pacifique, Caraïbes… La Calypso fait trempette partout sur la planète. Cousteau n’oublie pas son amour de la Méditerranée et des côtes françaises, entreprenantune mission entre Marseille et la Corse au début des années 1970. Une plateforme de 3 mètres est ajoutée à la proue de la Calypso pour pouvoir filmer les dauphins en mer.
En 1973, un accident important survient dans l’Antarctique. La Calypso percute un iceberg, une hélice se brise et la coque est endommagée. Le navire et les trente personnes à bord, venues étudier les animaux à sang chaud, doivent faire demi-tour vers l’Argentine. Mais la plus grande tragédie rencontrée par Jacques-Yves Cousteau se déroulera loin de la coque de la Calypso. En 1979, Philippe Cousteau, son second fils, meurt à bord de son hydravion baptisé Calypso 2, au Portugal.
Ces déboires n’altèrent pas les ambitions de Cousteau. En 1985, il lance l’Alcyone, un navire propulsé en partie grâce à un système de voiles rigides. Le nom est à nouveau une référence à la mythologie grecque, Alcyone étant la fille d’Eole, dieu des vents. Comme la Calypso, l’Alcyone est aujourd’hui classée Bateau d’intérêt patrimonial.
De longues années à quai
En janvier 1996, un an avant le décès du commandant Cousteau, la Calypso fait naufrage à Singapour et reste 17 jours immergée. Remise à flot, la nymphe des mers rejoint La Rochelle en 1998. Elle y reste à quai neuf ans, avant de partir pour Concarneau et les chantiers Piriou, en 2007, où elle doit être restaurée. Mais, début 2009, les travaux sont interrompus en raison d’un différend entre les chantiers Piriou et la fondation Cousteau. En 2013, des milliers de personnes se mobilisent pour demander à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, de sauver le navire. En vain. Faute d’issue, la Calypso devrait donc être mise aux enchères prochainement.
Mais le sort réservé à cette embarcation mythique n’aurait sans doute pas ravi le commandant Cousteau. En 1984, Jacques-Yves Cousteau déclarait sur France Inter, comme un testament : « La Calypso ? Je préfère la voir couler avec les honneurs que transformée en musée. Je ne veux pas que ce bateau se prostitue et que les gens viennent pique-niquer à son bord. » Son prochain propriétaire saura-t-il respecter ce vœu ?