Tout le raisonnement N°1 et N°2 appliqué à la musique baroque peut s’appliquer à tous les genres musicaux y compris le jazz et la musique folklorique ; écoutons Zamfir et sa flûte par exemple. Il peut aussi s’appliquer à la simple chanson populaire car qu’est-ce que le refrain après les couplets, si ce n’est magnifier chaque fois un peu plus, à moins que ce ne soit le couplet qui magnifie parfois le refrain. Qu’importe.
Un nécessaire détour par l’univers des sons dans la musique baroque.
A tout seigneur, tout honneur, et je m’attacherai à parler (en amateur, en simple mélomane) quelque peu du clavecin qui est, à mon sens, le plus beau, le plus noble des instruments, un « don du ciel ». Avec un léger regret cependant car un autre instrument mériterait prioritairement sa glorification en tant qu’instrument fondé sur le souffle (comme D.ieu créa l’homme par le souffle, Genèse 2 v7 : « L’Eternel D.ieu façonna l’homme, poussière détachée du sol, fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant », un parallèle qui n’est sans doute pas anodin). J’ai nommé l’orgue. L’instrument « originel » par excellence ( et authentique apogée d’un Moyen-âge que l’on a dit si ténébreux). Merci Monsieur Bach dont le nom allemand signifie rivière, donc porteur du sens de « mikvé » et transport éternel de hauts principes comme l’est sa musique inspirée du « Souffle »: une rivière qui coule éternellement !
Les sons du clavecin.
Le clavecin est un instrument à cordes pincées et non frappées comme le piano.
La différence est de taille car la démarche mécanique pour arriver au son et le son lui-même sont entre ces deux instruments d’essence absolument différente. Et cela a son importance.
Le son du clavecin a une identité et donc une destinée, une densité sonore et spirituelle, un « échange de tirs » qui passe entre les notes, non seulement absolument différents de ceux du piano mais qui s’opposent à celui-ci, bien qu’il n’y paraisse pas nécessairement au premier abord.
Ecoutez une seule note au clavecin, écoutez un morceau entier… Le son semble, du fait de la corde pincée, nous raconter qu’il ne se projette vers l’avant que pour mieux revenir aussitôt afin de laisser l’interprète et le clavecin se diriger mieux vers la note suivante. Dans le silence si ténu soit-il qui suit chaque note au clavecin il y a quelque chose de « l’éternel retour » qui proclame quelque chose d’unique, d’intemporel. Ce phénomène si particulier a quelque chose de sacré et nous le dit.
Le clavecin et le claveciniste mûr veulent nous le dire, nous le disent.
L’entendons-nous ?
Il y a là, dans l’espace sonore et mental de la musique baroque, comme un constant retour sur soi de la note, du son, mais pour quel discours ? A mon sens un discours bien sûr métaphysique et ultrasensible qu’on ne saurait éviter d’entendre, un discours sur le temps !
La musique baroque véhicule et est soumise à un discours originel sur le temps, le temps serti des principes N°1 et N°2.
Dans la musique baroque le temps tourne, retourne et fait chanter, résonner le « temps éternel ». Pour ceux qui ont lu mes livres EHAD et BENEDICTION DU PERE, ils retrouvent ici le cher cercle de feu entrevu dans Beréchit Bara Elohim (les trois premiers mots de la Bible).
La mort est absente dans cet univers-là mais non la joie d’une exaltation riche, la fontaine de vie constamment jaillissante, au contraire de la musique romantique qui peut être un enfilement de perles plus géniales les unes que les autres certes mais dont la fin du collier est…la fin « du temps éternel », donc une sorte de mort ou tout au moins de prostration qui questionne.
La musique baroque ? Il s’agit d’un discours sur le « temps éternel » d’avant la chute de l’humanité qui renvoie par force et inévitablement à l’essentiel, à l’essence du « tout ».
A l’essentiel, à l’essence des choses, au départ de tout, donc aux principes…et à la manière de les magnifier ? Oui, je le crois. Chaque note pincée au clavecin revient toujours sur elle-même pour nous dire qu’elle est suffisante à elle-même, qu’elle est un soleil, qu’elle consent à voyager avec la suivante qui est aussi un soleil, le même au fond, un soleil primordial, mieux, originel. Quel est le génie qui créa cet instrument, cet « engin »-là ?
Le principe de la note au clavecin est immuablement fait de ce qui est N°1 et N°2 d’avant toute séparation, d’avant la création. Il fallait ce son-là pour interpréter une musique structurée sur base de 1 et de 2 qui n’oublie jamais l’étape essentielle qui est de magnifier ce qui doit l’être comme nous l’avons vu plus haut. Sans cette intemporalité surtout l’enchaînement n°1, n°2, le clavecin n’est plus qu’un ouvre-boîte de sons crus. C’est le cas parfois chez ceratins interprètes qui n’ont pas saisi le génie de l’instrument.
Les cordes frappées d’un piano n’ont jamais ce pouvoir. La note frappée est projetée vers l’avant et ne revient pas, au contraire elle disparaît, furtive, presque coupable dans un espace ouvert, souvent « prometteur », parfois « accrocheur », un futur, un « en avant » où la subjectivité de l’auditeur (l’humain et non D.ieu) lui donne son seul droit d’exister. C’est beau souvent, certes, mais fugace, livré au gouffre de « l’instant d‘après » qui la consomme. La note frappée est d’essence lunaire, exclusivement féminine, mais comme dévoyée loin du principe 1 et 2.
(N.B : Ce n’est pas sa féminité qui est dangereuse, c’est sa féminité exclusive, l’usage qu’elle fait d’elle-même pour elle-même. Car dans exclusif il y a… exclusion. Nous avons ici le même drame que celui de l’exclusif féminin ou féministe et ce n’est sans doute pas un hasard si ce féminisme-là se manifeste avec le plus de virulence dans le début du XXème siècle lorsque la suite logique de la musique romantique aborde une pente vers les gouffres habités du chaos sonore d’une grande part de la musique contemporaine.
La musique romantique et ce qui suivit tire le principe N°2 (magnifier) vers un univers d’auto magnification et de même le féminisme mal vécu (mais qu’est-ce qu’un féminisme bien vécu ?) invite la femme à s’auto-magnifier en dehors d’un relationnel 1 et 2, pourtant fondateur de toute vie (avec un grand V s’entend).
Tout ceci ne nous parle-t-il pas de la porte ouverte sur la mort ? Une parenthèse : à l’extrême peut-on admettre, par exemple, que pour expliquer l’univers d’un Kafka, son étrange absurdité, il faudrait le comprendre comme un univers où le son n’existe plus alors que le son et la musique (n’oublions pas la musique des sphères) seraient le lien de toutes vies ? Chez Kafka, entre les mots, il y a le vide d’un silence terrifiant où la mort aurait triomphé de toute éternité. Là, le silence n’est pas habité de « mille oiseaux d’or, ô future vigueur » comme le disait Arthur Rimbaud, mais de son contraire.
Nous dirons pour revenir à la musique romantique et de la note, du son qui en découlent, qu’ils « s’auto possèdent » et commandent à la note suivante de faire de même. Le discours qui s’ensuit est : aller de l’avant, toujours plus en consommant le son à terme et pour lui-même. Le temps est devenu linéaire et l’on surfe dessus. Au fond, l’art pour l’art n’est pas loin et l’on y arriva, sans oser franchement avouer l’impasse, en ce XXième siècle à présent bouclé.
Ce qui nous attire, nous émeut et donc fait la grandeur d’un Beethoven, d’un Chopin ou d’un Mahler par exemple (Oh, l’adagio de la 5ème !) c’est le fond nostalgique.
C’est que leur musique et notamment leurs pianos nous parlent, ou traquent « vers l’avant » des principes propres à la musique baroque, mais de manière nostalgique, comme d’un paradis perdu.
Brüggen interprétant, Moroney enseignant nous ramènent à ces principes. La musique baroque part de la musique et retourne à la musique ; on ne s’en plaindra pas. Car, si même le « frisson romanesque » n’y est pas, il s’y trouve quelque chose d’intemporel qui transcende tous les « frissons ». La musique romantique part de la musique et va à la tragédie du vide…à terme, à un néant des sons, du son, à la stupeur de la musique étranglée aux « larmes sèches ».
Au chapitre 12 de ce livre, je parlerai un peu couleurs ainsi que de noir et blanc. Et si au jeu des correspondances nous parlons couleurs en parlant musique, nous dirons que la musique post-baroque est le déploiement de toutes les couleurs en un jeu somptueux de tentures et tapis aboutissant, consommé au noir et blanc mais que la musique baroque c’est tout l’univers des couleurs et lumières concentré en une seule sphère d’or éternel jamais violée.