Jésus était juif
Dr Arnold G. Fruchtenbaum
Le Messie de l’Ancien Testament I
Le conflit à propos d’Esaïe 53
Le paradoxe
Quiconque s’attache à rechercher ce que l’Ancien Testament dit de la venue du Messie se trouvera rapidement devant des éléments paradoxaux. Parfois il aura même l’impression de nager en pleine contradiction. Car les prophètes juifs ont brossé deux portraits du Messie à venir.
D’un côté le chercheur découvrira de nombreuses prédictions qui présentent le Messie comme un homme qui devra passer par l’humiliation, endurer les mauvais traitements physiques et même subir une mort violente. Pour les prophètes juifs, il s’agissait d’une mort expiatoire pour les péchés du peuple d’Israël. D’un autre côté, le lecteur constatera que les prophètes parlaient également du Messie comme d’un roi victorieux qui viendrait pour détruire les ennemis d’Israël et instaurer un règne messianique de paix et de prospérité.
Telle est la double représentation que les prophètes juifs ont faite du Messie. Au cours des siècles écoulés, pendant la période de formation du Talmud, nos rabbins ont procédé à des études sérieuses concernant les prophéties messianiques. Ils sont parvenus à la conclusion que les prophètes parlaient de deux Messies différents.
Le premier Messie à venir, celui qui devait souffrir et mourir, était le Messie, fils de Joseph (Mashiach ben Yoseph). Le second, qui le suivrait, était désigné comme Messie, fils de David (Mashiach ben David). C’est celui-ci qui ramènerait à la vie le premier Messie et instaurerait le royaume messianique de paix sur terre. Tous les anciens rabbins ont reconnu que l’Ancien Testament contenait cette double série de prophéties messianiques. Mais l’Ancien Testament n’affirme nulle part qu’il existe deux Messies différents. En fait, plusieurs des descriptions paradoxales se trouvent côte à côte dans les mêmes passages, ce qui fait plutôt penser à une seule personne. Mais la théorie des deux Messies conservait la faveur des premiers rabbins.
Pendant des siècles, le judaïsme orthodoxe s’en est tenu à cette notion des deux Messies. Mais depuis la période talmudique, c’est le Messie fils de David qui a fasciné l’imagination des Juifs, réchauffé leurs coeurs et nourri leurs pensées. L’autre Messie, le fils de Joseph, celui qui devait souffrir, était passé sous silence; il n’intervenait dans la théologie juive que pour expliquer les passages relatifs au Messie souffrant contenus dans l’Ancien Testament. Son existence fournissait une échappatoire aux questions épineuses. La plupart du temps, ce personnage messianique était complètement ignoré. Aujourd’hui, peu de Juifs ont entendu parler de lui ou connaissent son existence dans la théologie juive d’autrefois. Le seul Messie qui retient l’attention des Juifs actuels est le Messie fils de David, le vainqueur.
L’origine du paradoxe
Esaïe 53 est l’un des principaux textes à partir desquels les rabbins ont développé leur théorie du Messie souffrant, le fils de Joseph. Ce chapitre est l’actuelle pomme de discorde au sujet de ce que l’Ancien Testament dit du Messie. Il parle d’un serviteur, le Serviteur de l’Eternel. Ce serviteur est soumis à des souffrances atroces qui se terminent par sa mort. Le texte biblique poursuit en affirmant que ses souffrances sont expiatoires, que sa mort est une mort propitiatoire pour le péché.
Le serviteur souffre et meurt pour le péché des autres. Le passage indique ensuite que le serviteur ressuscite. Le désaccord ne porte pas tellement sur le sens du chapitre en question que sur l’identité du personnage annoncé.
De qui le prophète Esaïe parlait-il? Telle est l’interrogation aujourd’hui. Annonçait-il le Messie? Les rabbins prétendent que c’est là l’interprétation chrétienne du passage, et non l’interprétation juive. Selon l’exégèse juive, Esaïe ferait allusion au peuple d’Israël, au peuple juif qui souffre au milieu des païens. Les rabbins affirment que c’est là l’interprétation juive de la prophétie d’Esaïe qui prévaut, et qu’il n’est nullement question du Messie.
Mais voir dans ces versets une annonce concernant le peuple dans son ensemble, c’est faire violence au texte et forcer l’interprétation. Considéré en lui-même, le passage évoque plutôt un seul individu.
Les interprétations rabbiniques d’Esaïe 53
Ce conflit d’interprétations oppose-t-il uniquement les interprétations juives et chrétiennes? L’histoire du judaïsme indique que non. L’interprétation selon laquelle Esaïe 53 s’appliquerait au peuple juif est en fait récente. Les premiers rabbins enseignaient que le prophète parlait d’une personne particulière: le Messie lui-même. D’ailleurs, le concept du Messie fils de Joseph découle de ce passage. Pour avoir une idée plus claire des anciennes exégèses juives d’Esaïe 53, il serait bon de faire un peu d’histoire.
Parmi les plus anciens Targums (NdT: traductions araméennes anciennes et souvent très libres de l’Ancien Testament) figurent ceux de Jonathan ben Uzziel; ils datent du premier siècle de notre ère. Son Targum sur le passage d’Esaïe s’ouvre par ces mots: « Voici, mon Serviteur Messie prospérera… » Les Targums de Jonathan ben Uzziel furent abondamment cités par les premiers rabbins. L’auteur était considéré comme une autorité certaine en matière d’interprétation juive de l’Ecriture. Il était convaincu qu’Esaïe faisait référence au Messie. Jonathan ben Uzziel peut difficilement être accusé d’avoir adopté « l’interprétation chrétienne ».
Comme le montre clairement une citation de Rabbi Don Yitzchak Abarbanel (1437-1508), Jonathan ne fut certainement pas le seul à partager ce point de vue. Lui-même rejetait l’idée que le texte d’Esaïe puisse concerner le Messie, mais il fait un aveu significatif:
- « La première question est de savoir à qui ce texte fait allusion: pour les érudits parmi les Nazaréens il s’agit de l’homme qui fut crucifié à Jérusalem vers la fin du second temple, cet homme qu’ils reconnaissaient comme étant le Fils de Dieu et qui s’était incarné dans le sein de la vierge, comme l’affirment leurs écrits. Dans son Targum, Jonathan ben Uzziel l’applique au futur Messie; c’est également l’opinion de la plupart des savants des midrashim. »(commentaires rabbiniques du texte de la Sainte Ecriture, NdT).
En dépit de son point de vue personnel sur ce passage, Arbanel reconnaît volontiers que la grande majorité des rabbins des Midrashim rattachaient ce passage d’Esaïe au Messie. Il souligne que Jonathan ben Uzziel n’était pas le seul à soutenir cette explication, car elle était l’interprétation juive dominante de la période des Targumim et des Midrashim.
Le Zohar (le plus important ouvrage de la littérature cabbaliste, n.d.t.), qui a été écrit soit par Simon ben Yochaï, un Tanaïte du deuxième siècle, soit par un rabbin espagnol du treizième siècle, contient quelques affirmations qui se rattachent de toute évidence au passage d’Esaïe:
- « Il existe dans le jardin d’Eden un palais appelé palais des fils de la maladie; le Messie y entre et attire toutes les maladies, toutes les souffrances et toutes les sanctions d’Israël; elles viennent toutes et se posent sur lui. S’il n’avait pas ainsi allégé le fardeau d’Israël en les prenant sur lui, il ne se serait trouvé personne qui fût capable de porter le châtiment d’Israël en raison de ses transgressions de la loi: c’est ce qui est écrit: « Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées ».
Dans cette citation, le Zohar fait allusion à Esaïe 53.4 et applique le texte au Messie lui-même. De plus, il mentionne clairement Israël comme étant différent du personnage annoncé dans le passage d’Esaïe. Enfin, le Zohar reconnaît la dimension expiatoire et substitutive lorsqu’il dit que le Messie prend sur lui les souffrances qui devraient frapper Israël à cause de ses péchés.
Le Talmud fournit une autre preuve de cette conception à la même période: « Le Messie – quel est son nom? … ceux de la maison de Rabbi Yuda le Saint disent que c’est « Le Malade », car, comme il est écrit: « Assurément, il s’est chargé de nos maladies ». (98b).
Comme le Zohar, le Talmud babylonien applique le passage d’Esaïe au Messie. Le verset 4 désigne indubitablement la personne du Messie.
- Dans la Midrash Thahumi, nous trouvons:
« Rabbi Nahman dit que le mot « homme » dans le passage… désigne le Messie, le fils de David, comme il est écrit (Zacharie 6.12), « Voici l’homme dont le nom est Tzemach (germe) », ce que Jonathan [ben Uzziel] comprend comme « Voici l’homme Messie ». En effet, le prophète a dit qu’il serait un « homme de douleur et habitué à la souffrance ». »
Le Targum Yalkut II:338:7 applique Esaïe 52.13 au Messie et déclare: « Il sera élevé et exalté – plus haut qu’Abraham, plus haut que Moïse, plus haut que les anges au service de Dieu. »
Abordant Esaïe 53.5, la Midrash Cohen met les paroles suivantes dans la bouche du prophète Elie qui dit au Messie: « Endure les souffrances et le châtiment du Seigneur qui te frappe pour les péchés d’Israël, comme il est écrit: « Il a été écrasé pour notre rébellion, brisé pour nos iniquités » jusqu’à ce que la fin arrive. »
Une autre Midrash de ce même passage affirme: « Toutes les souffrances sont divisées en trois parts. L’une retombe sur David et les patriarches, l’autre sur la génération de la rébellion (Israël rebelle) et la troisième sur le Roi Messie. »
Un autre ouvrage, le Mahsor ou Livre de prières pour le jour des expiations, voit dans un texte d’Esaïe une prophétie qui concerne le Messie. L’une des nombreuses prières de ce volume est intitulée la Prière Mussaf. Elle fut écrite par Rabbi Eliezer Kalir vers le septième siècle de notre ère. En voici un extrait:
- « Le Messie notre Justice nous a été enlevé; l’effroi nous a saisis, et nous n’avons plus personne pour nous justifier. Il a porté le joug de nos iniquités et de notre transgression, il a été blessé à cause de notre transgression. Il porte nos péchés sur ses épaules pour que nous obtenions le pardon de nos iniquités. Nous serons guéris par sa blessure, le jour où l’Eternel le créera (le Messie) comme une nouvelle créature. Ô ramène-le du cercle de la terre, relève-le du pays de Seïr, pour qu’il nous rassemble sur le mont Liban, une nouvelle fois par la puissance de Yinon. »
Plus on étudie cette prière du Yom Kippour, plus elle se révèle intéressante. Elle exprime la peur parce que le Messie a quitté son peuple, ce qui sous-entend qu’il était préalablement venu vers lui. Ce Messie qui s’en est allé a enduré des souffrances vicariales pour le peuple, les péchés de celui-ci ayant été placés sur le Messie. Après avoir souffert, le Messie a été enlevé, ce qui plonge le peuple dans la consternation. Désormais le peuple prie pour que le Messie revienne. La plus grande partie de cette prière s’inspire directement de la prophétie d’Esaïe. Cela prouve qu’au septième siècle encore, la pensée juive voyait dans ce texte d’Esaïe une référence directe au Messie.
Le commentaire suivant de Yepheth ben All démontre d’ailleurs que cette conception était encore dominante au dixième siècle parmi les Juifs:
- « Pour ma part je suis enclin, avec Benjamin de Nehavend, à considérer ce passage comme faisant allusion au Messie… Il (le prophète) nous fait donc comprendre deux choses . Premièrement que le Messie ne recevra les honneurs suprêmes qu’après avoir enduré de longues et multiples épreuves. Deuxièmement, que ces tribulations lui seront infligées comme un signe. S’il demeure pieux dans ses actions alors qu’il est plongé dans le malheur, il saura qu’il était désigné à être le Messie…. L’expression « mon Serviteur » est appliquée au Messie comme elle l’a déjà été à son ancêtre, dans le verset: « J’ai juré à mon serviteur David. » (Psaumes 89.4). »
Pour ce rabbin, il ne faisait pas de doute non plus que la prophétie d’Esaïe 53 s’appliquait au Messie. Il en est d’autant plus convaincu que d’après ce passage prophétique, le Messie serait suprêmement glorifié par le moyen de la souffrance.
Au onzième siècle, les Juifs estimaient encore qu’Esaïe 53 parlait du Messie. Dans le Bereshith Rabbah de Rabbi Moshe Hadarshan, on trouve ces mots :
- « Le Saint a donné au Messie l’occasion de sauver des âmes mais d’être sévèrement châtié lui-même. Par amour, le Messie a sur-le-champ accepté le châtiment, ainsi qu’il est écrit: « Il a été maltraité et opprimé. » Quand Israël pèche, le Messie implore la miséricorde sur lui, comme il est écrit: « C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris » et « Il a porté les péchés de beaucoup et a intercédé pour les coupables. » »
En citant respectivement les versets 7, 5 et 12 d’Esaïe 53, l’auteur du Bereshith Rabbah tire quelques conclusions. D’abord, que le Messie sauvera beaucoup d’hommes, mais que ce salut sera opéré par le moyen de ses souffrances. Ensuite, les souffrances que le Messie a subies sont le châtiment que nous méritions puisqu’il a souffert pour les péchés d’Israël et du monde entier. (Dans ce sens, on peut parler de souffrances vicariales.)
Dans sa Legah Tova, Rabbi Tobia ben Eliezer, un autre rabbin du onzième siècle, déclare à propos d’Esaïe 52.13: « Que son royaume soit exalté » aux jours du Messie dont il est dit: « Voici, mon Serviteur prospérera; il montera, il s’élèvera, il s’élèvera bien haut. »
Moses ben Maimon, mieux connu sous le nom de Maimonides ou le Rambam (Rabbi Moshe Ben Maimon), est l’un des plus célèbres rabbins de cette période. Dans ses écrits, il confère lui aussi une portée messianique au texte d’Esaïe:
- En ce qui concerne la mission par laquelle le Messie se révélera… il ne se recommandera pas à notre vénération en raison d’une noble origine; ce sont les oeuvres remarquables qu’il accomplira qui montreront qu’il est le Messie attendu… Esaïe déclare: « Il s’est élevé comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée », indiquant par là qu’on ne connaîtra pas son ascendance exacte, jusqu’à ce que les succès de sa mission attirent l’attention du peuple… Ce qui mérite d’être signalé, c’est que des têtes couronnées seront dans la stupeur… Les souverains garderont le silence comme le déclare Esaïe: « Devant lui des rois fermeront la bouche; car ils verront ce qui ne leur avait point été raconté, ils apprendront ce qu’ils n’avaient point entendu. »
Le Rambam cite Esaïe 53.2 et 52.15 et applique ces passages à la personne du Messie. Pour lui, toute cette section prophétique concerne le Messie.
Un autre écrit juif du onzième siècle dit à propos du Messie:
- « Le Messie, fils d’Ephraïm, mourra et Israël se lamentera à son sujet. Ensuite, le Saint révélera au peuple d’Israël le Messie, fils de David, qu’Israël lapidera en disant: « Tu parles faussement, car le Messie a déjà été mis à mort… » et ainsi ils le mépriseront conformément à ce qui est écrit: Il a été « méprisé et abandonné des hommes ». »
L’auteur défend la thèse des deux Messies couramment acceptée par les Juifs de son temps. L’un des Messies, le fils d’Ephraïm (ou de Joseph) mourra. Après sa mort apparaîtra l’autre Messie, le fils de David, qu’Israël rejettera selon le rabbin. Il s’appuie sur Esaïe 53.3 pour justifier son affirmation.
C’est à cette époque que pour la première fois dans l’histoire de la théologie juive nous voyons germer l’idée que ce passage prophétique ne s’appliquerait pas au Messie mais au peuple d’Israël dans son ensemble. Elle a été avancée par Rabbi Salomon bar Isaac (1040-1105), mieux connu sous le nom de Rashi, nom formé à partir des premières lettres Rabbi Salomon ben Isaac. Mais comme il allait à contre-courant de la pensée juive traditionnelle sur ce texte, il suscita une réaction immédiate de la part des autres autorités juives.
L’un des rabbins qui réagit contre la nouvelle interprétation proposée par Rashi fut Rabbi Moshe Kohen Ibn Crispin, de Cordoue et Tolède en Espagne, vers 1350 :
- « Avec nos autres rabbins, je suis heureux d’interpréter ce passage comme s’appliquant au Roi Messie, et je veillerai dans toute la mesure du possible à m’attacher au sens littéral. Je serai ainsi protégé des interprétations fantaisistes et forcées dont plusieurs se sont rendus coupables.
Cette prophétie a été donnée par Dieu à Esaïe pour nous faire connaître quelque chose de la nature du Messie futur, qui doit venir et délivrer Israël, et connaître également quelque chose de sa vie pour le jour où il apparaîtra quand il le voudra en attendant sa venue comme rédempteur, de manière à ce que si quelqu’un se proclamait Messie, nous puissions réfléchir et voir s’il présente des traits de ressemblance avec ce qui a été écrit à son sujet. S’il correspond à ce qui a été annoncé, alors nous pourrons croire qu’il est le Messie notre justice; sinon, ne le considérons pas comme tel. »
L’interprétation « fantaisiste et forcée » que condamne Rabbi Crispin est celle de Rashi qui applique la prophétie, non au Messie, mais au peuple d’Israël. Rabbi Crispin réagit contre cette exégèse et maintient que le texte prophétique d’Esaïe vise bien le Messie, et qu’il a été écrit pour nous aider à l’identifier et à le reconnaître quand il viendra.
Au seizième siècle, nous avons le témoignage de Rabbi Saadyeh Ibn Danan de Grenade, vers l’an 1500:
- « L’un d’entre eux, Rabbi Joseph ben Kaspi, a été jusqu’à dire que ceux qui ont appliqué ce passage au Messie qui devait bientôt être révélé ont donné aux hérétiques l’occasion de voir en Jésus l’accomplissement de la prophétie. Que Dieu lui pardonne de ne pas avoir professé la vérité! Nos Rabbis, les docteurs du Talmud, ont fait connaître leurs opinions par la puissance de la prophétie et possèdent une tradition concernant les principes d’interprétation… Le texte fait seulement référence au Roi Messie. »
Ce rabbin condamne donc ceux qui interprètent la prophétie d’Esaïe comme s’appliquant au peuple d’Israël. Il demande que les exégètes juifs reviennent à la tradition talmudique qui appliquait le texte concerné au Messie. Il jette également une lumière sur la raison qui pousse certains à opter pour la nouvelle interprétation. A cette période eurent lieu de nombreuses controverses entre les rabbins et les chrétiens; ces derniers se servaient d’Esaïe 53 pour prouver que Jésus était le Messie. A cause de la force de leurs arguments, certains rabbins, pour se défendre, commencèrent à appliquer ce passage à Israël.
De la deuxième moitié du seizième siècle nous possédons encore les écrits de Rabbi Moshe Le Sheich (Al Shech), un disciple de Joseph (Ben Ephraïm) Caro, l’auteur de Shulchan Aruch (La table couverte). Lui aussi réclamait que les commentateurs juifs reviennent à l’interprétation juive plus traditionnelle lorsqu’il écrivit: « Nos maîtres dont nous conservons le souvenir béni sont unanimes pour accepter et affirmer l’idée que le prophète parle du Roi Messie. Adhérons nous aussi à cette interprétation. »
Les écrits de Rabbi Elia de Vidas datent de la même période environ. Vers 1575, il écrivit ce qui suit à propos d’Esaïe 53:5
- « Les paroles « Il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités » montrent que si le Messie a été brisé pour avoir porté nos iniquités, celui qui n’admet pas que le Messie ait souffert pour nos péchés devra subir lui-même le châtiment de ses iniquités. »
Ce Rabbi lui aussi applique la prophétie d’Esaïe au Messie et affirme que celui-ci souffrira en vicaire (c’est-à-dire à notre place), car il souffrira pour les péchés du peuple. Il poursuit en déclarant que celui qui refuse de croire aux souffrances vicariales endurées à cause du péché que le Messie a pris sur lui, et qui refuse de les accepter, celui-là est condamné, d’après ce passage, à souffrir pour ses propres péchés.
Même au dix-septième siècle, on note encore des réactions à l’interprétation de Rashi concernant le passage d’Esaïe. C’est ce que montrent les écrits de Rabbi Naphtali ben Asher Altschuler, vers 1650: « J’explique ces versets et je les applique à notre Messie qui viendra bientôt, plaise à Dieu! Je suis surpris que Rashi et Rabbi David Kimchi ne les aient pas appliqués au Messie, comme le font les Targums. »
Au dix-neuvième siècle, le nouveau point de vue proposé par Rashi et suivi par Rabbi David Kimchi l’emporta sur l’ancienne conception des rabbins. Mais leur victoire n’était pas totale. On note encore des réactions énergiques. Dans son Korem, écrit en 1818, Herz Homburg dit ceci: « Le fait est que le passage fait référence au Roi Messie qui apparaîtra dans les derniers jours, lorsqu’il plaira au Seigneur de racheter Israël des différentes nations de la terre. »
Il est donc faux de prétendre qu’appliquer Esaïe 53 au Messie est non-juif. D’après l’interprétation traditionnelle juive, Esaïe parle effectivement du Messie. Le premier à avoir affirmé que le prophète pensait au peuple d’Israël plutôt qu’au Messie a été Salomon ben Isaac, plus connu sous le nom de Rashi (1040-1105). Il fut suivi par David Kimchi (1160-1235). Mais ces hommes allaient à l’encontre de tout ce qui avait été dit et écrit par les rabbins au cours des mille ans précédents. Aujourd’hui, la pensée de Rashi est devenue la pensée dominante dans la théologie juive et rabbinique. Mais il est faux d’affirmer que c’est la position juive. Elle n’est pas non plus la conception traditionnel le juive. Les rabbins qui vivaient plus près de l’époque où furent écrits les textes originaux et qui avaient moins de contact avec les apologistes chrétiens appliquaient la prophétie d’Esaïe au Messie.
Le texte d’Esaïe 52.13 à 53.12
Le texte devrait lui-même nous permettre de savoir si le Serviteur Souffrant désigne le Messie en tant qu’individu ou toute la nation d’Israël. Avant d’aborder quelques particularités du texte, il vaut la peine de citer tout le passage d’Esaïe et ensuite d’en faire un résumé.
5213« Voici, mon serviteur prospérera; il montera, il s’élèvera, il s’élèvera bien haut.
14 De même qu’il a été pour plusieurs un sujet d’effroi – tant son visage était défiguré, tant son aspect différait de celui des fils de l’homme –
15 de même il sera pour beaucoup de peuples un sujet de joie; devant lui des rois fermeront la bouche; car ils verront ce qui ne leur avait point été raconté, ils apprendront ce qu’ils n’avaient point entendu.
531 Qui a cru à ce qui nous était annoncé? Qui a reconnu le bras de l’Eternel?
2 Il s’est élevé devant lui comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée; il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire.
3 Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.
4 Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé; et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié.
5 Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.
6 Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie; et l’Eternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous.
7 Il a été maltraité et opprimé, et il n’a point ouvert la bouche, semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent; il n’a point ouvert la bouche.
8 Il a été enlevé par l’angoisse et le châtiment; et parmi ceux de sa génération, qui a cru qu’il était retranché de la terre des vivants et frappé pour les péchés de mon peuple ?
9 On a mis son sépulcre parmi les méchants, son tombeau avec le riche, quoiqu’il n’ait point commis de violence et qu’il n’y ait point eu de fraude dans sa bouche.
10 Il a plu à l’Eternel de le briser par la souffrance… Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché, il verra une postérité et prolongera ses jours; et l’oeuvre de l’Eternel prospérera entre ses mains.
11 A cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards; par sa connaissance, mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes, et il se chargera de leurs iniquités.
12 C’est pourquoi je lui donnerai sa part parmi les grands; il partagera le butin avec les puissants, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort, et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs, parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes, et qu’il a intercédé pour les coupables. »
Résumé du contenu de ce passage
Dans Esaïe 52.13-15, c’est Dieu qui parle. Il attire l’attention de tous sur le Serviteur Souffrant. Dieu déclare que son Serviteur agira avec sagesse et que ses actes lui vaudront une position glorieuse. Il ajoute que le Serviteur souffrira, mais que ses souffrances finiront par réduire au silence tous les grands de ce monde lorsqu’ils comprendront leur raison d’être. Le Serviteur sera terriblement défiguré mais en fin de compte, il sauvera beaucoup d’hommes.
Après que Dieu ait ainsi attiré l’attention du peuple sur son Serviteur, le peuple répond dans Esaïe 53. 1-9. Dans les versets l à 3, il confesse n’avoir pas reconnu la personne et la vocation du Serviteur. Au verset 1, les gens manifestent leur surprise devant ce qui vient de leur être révélé dans les trois versets précédents. Au verset 2, ils font remarquer que du temps où le Serviteur était avec eux, il ne semblait pas y avoir quelque chose de particulier en lui. Son enfance et sa croissance étaient comme celles des autres. Il n’avait pas une personnalité particulièrement charismatique qui aurait pu drainer les foules vers lui. Ses traits physiques étaient normaux. Au contraire, comme le souligne le verset 3, au lieu d’attirer les gens à lui, il a été méprisé et rejeté par eux dans leur grande majorité. Il était un homme de douleur, familiarisé avec la souffrance. Le rejet qu’il a subi n’était pas passif, mais actif, car les gens faisaient de leur mieux pour l’éviter.
Dans les versets 4 à 6, les hommes confessent qu’au moment où le Serviteur a souffert, ils ont considéré ses souffrances comme un châtiment de Dieu pour ses propres péchés. Mais ils reconnaissent désormais que ces souffrances étaient vicariales (subies à notre place): c’est pour les péchés du peuple qu’il souffrait, et non pour les siens. Le peuple reconnaît qu’il s’est lui-même égaré, que chacun a suivi sa voie égoïste et que la sanction de leurs péchés est tombée sur le Serviteur de l’Eternel. Ce passage atteste donc un changement d’attitude de la part des hommes à l’égard du Serviteur au moment où ils reconnaissent la véritable nature de ses souffrances. Le jugement sévère qui a frappé le Serviteur a conduit les gens à se forger une opinion de lui, puisque ses souffrances semblaient bien le désigner comme une victime spéciale de la colère de Dieu. Le peuple confesse maintenant qu’il change d’opinion; ce revirement marque le début de la repentance.
Au verset 4, ceux qui avaient autrefois mal jugé et méprisé le Serviteur en raison de sa misérable condition voient désormais plus clair. Ils découvrent que le Serviteur de l’Eternel a enduré des souffrances vicariales, qu’il a endossé ce qui aurait dû les frapper. Ils reconnaissent que ses tribulations sont de nature radicalement différente de ce qu’ils avaient cru. Ils s’accusent eux-mêmes et s’en veulent d’avoir été aveugles devant le caractère substitutif et médiateur de l’agonie indicible du corps et de l’âme impliquée dans cette souffrance. Ils confessent l’erreur d’avoir cru que ses souffrances étaient un châtiment infligé à cause de ses propres péchés.
Au verset 5, le peuple confesse que la souffrance expiatoire du Serviteur de l’Eternel a débouché sur la réconciliation et la guérison spirituelle. Ce verset va au coeur des souffrances du Serviteur et en révèle la raison d’être profonde par le lien qui existe entre la passion du Serviteur et les péchés du peuple. Ce lien est double: un châtiment pour nos péchés – la souffrance est la sanction qui frappe la transgression; un moyen de réconciliation – le remède grâce auquel le peuple retrouve la santé spirituelle. C’était pour les péchés du peuple que le Serviteur souffrait, et non pour les siens.
Au verset 6, le peuple confesse qu’il s’était tellement éloigné de Dieu qu’une substitution était absolument nécessaire pour la réconciliation avec lui: d’où les souffrances mentionnées au verset précédent. Les Israélites s’étaient égarés et chacun suivait égoïstement sa propre voie. Mais l’Eternel a fait retomber leurs péchés sur son Serviteur. Les hommes s’humilient et confessent qu’ils se sont mépris sur celui que Dieu avait envoyé pour leur bien, alors qu’ils couraient à leur propre ruine.
Dans les versets 7 à 9, il semble que ce soit le prophète qui décrive en détail les souffrances du Serviteur, souffrances qui le conduisent à la mort.
Au verset 7, le Serviteur est présenté comme se soumettant lui-même humblement au traitement injuste. Il ne prononce pas une seule parole pour se défendre. Il souffre en silence, n’élevant pas la voix pour condamner l’injustice qui lui est faite.
Le verset 8 mentionne la mort du Serviteur de l’Eternel. Il indique qu’après avoir été jugé et condamné, le Serviteur a été exécuté. Il a été mis à mort pour les péchés des concitoyens du prophète; c’était eux qui auraient mérité d’être condamnés à la peine capitale. Mais personne ne semble avoir compris l’objectif saint que Dieu poursuivait dans cet événement. Le verset 8 est le verset clé de tout ce passage, car il nous apprend que le Serviteur a été condamné à mort et ensuite exécuté de façon tout à fait légale par un tribunal. Il est clair qu’il ne méritait pas la mort. Ceux pour qui il mourait n’ont pas compris la raison de sa condamnation. Comme les versets 4 à 6 l’avaient déjà révélé, ils pensaient qu’il mourait à cause de ses propres péchés.
Le verset 9 décrit l’ensevelissement du Serviteur. Après sa mort, ceux qui l’avaient condamné lui avaient réservé une sépulture parmi les criminels. Il était considéré comme tel, et c’est à ce titre qu’il avait été exécuté. Mais c’est dans le tombeau d’un riche que son corps fut déposé ! Ce n’était que justice, puisqu’il n’avait commis aucun mal et qu’il n’y avait rien de mauvais dans sa nature.
Les versets 10 à 12 exposent les conséquences bénéfiques des souffrances et de la mort du Serviteur de l’Eternel.
Le verset 10 indique que Dieu a trouvé son plaisir en permettant à son Serviteur de souffrir et de mourir. C’était le moyen par lequel Dieu ferait l’expiation. La mort du Serviteur était un sacrifice pour les péchés du peuple. Ceux qui s’étaient égarés et qui avaient péché obtiendraient le pardon en raison de la mort du Serviteur, car en mourant à leur place il expiait leurs péchés. Dieu a puni le Serviteur à la place du peuple dont les péchés ont ainsi été expiés. Ce verset ajoute que le Serviteur verra sa postérité et que ses jours se prolongeront. Comment cela se peut-il étant donné que le Serviteur a été tué? Tout simplement par une résurrection. Le verset conclut que Dieu continuera à éprouver son plaisir en son Serviteur et qu’il fera prospérer son oeuvre, car il vivra de nouveau, suite à sa résurrection.
Le verset 11 affirme que Dieu sera satisfait de l’oeuvre du Serviteur. Celui-ci est mort à la place du peuple, pour les péchés de ce dernier. Mais une question se pose: Dieu acceptera-t-il cette substitution? Oui. Car il prendra en compte les souffrances et la mort du Serviteur et sa justice sera satisfaite. C’est pourquoi Dieu peut faire un pas de plus et déclarer que compte tenu de ses souffrances et de sa mort vicariales (en substitution pour nous), le Serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes. Justifier, c’est déclarer juste. Ainsi, le Serviteur qui a souffert, est mort et est ressuscité sera en mesure de rendre justes beaucoup d’hommes. Ceux qui étaient des pécheurs et ne pouvaient prétendre à rien à cause de leur séparation d’avec Dieu pourront être rendus justes par le Serviteur. Le verset explique comment cette oeuvre est possible: parce que le Serviteur porte leurs péchés. Ceux-ci sont mis sur le compte du Serviteur qui a déjà réglé la dette en ayant versé son sang. Dieu déclare donc que son Serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes grâce à la connaissance qu’ils auront de lui, parce qu’ils apprendront notamment qu’il est prêt à assumer leurs péchés.
Le verset 12 déclare qu’en fin de compte, Dieu accordera au Serviteur des bénédictions considérables et supérieures à celles de n’importe qui. Les raisons de cette décision sont indiquées dans la suite du verset. D’abord, parce que le Serviteur s’est volontairement livré à la souffrance et à la mort. Ensuite, parce qu’il s’est suffisamment humilié pour que les autres puissent le considérer comme un pécheur et penser que ses souffrances et sa mort s’expliquent par ses péchés. Puis, parce qu’il a porté le péché de beaucoup d’hommes. Car si beaucoup seront justifiés et déclarés justes, c’est parce qu’il aura pris leurs péchés à son compte. Enfin, parce que le Serviteur intercède auprès de Dieu en faveur des pécheurs.
Tel est en substance le résumé de ce passage. Si le Serviteur désigne Israël, les païens constituent le peuple, ceux qui interviennent dans ces versets. Si en revanche le Serviteur est le Messie, ces hommes sont les Juifs, le peuple d’Israël. Jusqu’à Rashi, la théologie juive identifiait le Serviteur au Messie. Depuis Rashi, la plupart des exégètes rabbiniques assimilent le Serviteur à la nation juive. Mais si l’on prend le texte de façon littérale et simple, il y est de toute évidence question d’un individu.
Des indices pour l’interprétation
Le texte fournit lui-même un certain nombre d’indices permettant de savoir ce qu’il veut réellement dire. Il dissipe ainsi l’équivoque qui plane sur l’identité du Serviteur: une personne qui est le Messie, ou la nation juive tout entière.
Les pronoms personnels et les adjectifs possessifs qui sont utilisés aident considérablement à comprendre de qui parle le prophète Esaïe. Nous constatons une distinction claire entre NOUS et NOTRE d’une part, et IL, LUI, SON d’autre part. NOUS et NOS ne peuvent s’appliquer qu’au prophète Esaïe et au peuple à qui il s’adresse. En revanche, chaque fois que nous trouvons IL, LUI, SA, SES, il ne peut être question que du Serviteur Souffrant. Or Esaïe était juif, comme d’ailleurs ceux auxquels il parle. Il nous paraît opportun de citer à nouveau une partie du passage prophétique en insistant sur les différents pronoms personnels et adjectifs possessifs utilisés afin de mieux comprendre le sens du message. Reprenons Esaïe 53.4-9:
« Cependant, ce sont NOS souffrances qu’IL a portées, c’est de NOS douleurs qu’IL s’est chargé; et NOUS L’avons considéré comme puni, frappé de Dieu, et humilié. Mais IL était blessé pour NOS péchés, brisé pour NOS iniquités; le châtiment qui NOUS donne la paix est tombé sur LUI, et c’est par SES meurtrissures que NOUS sommes guéris. NOUS étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie; et l’Eternel a fait retomber sur LUI le châtiment de NOUS tous. IL a été maltraité et opprimé, et IL n’a point ouvert la bouche, semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent; IL n’a point ouvert la bouche. IL a été enlevé par l’angoisse et le châtiment; et parmi CEUX de SA génération, qui a cru qu’IL était retranché de la terre des vivants et frappé pour les péchés de MON peuple? ON a mis SON sépulcre parmi les méchants, SON tombeau avec le riche, quoiqu’IL n’ait point commis de violence et qu’il n’y ait point eu de fraude dans SA bouche. »
De toute évidence, NOUS et NOTRE sont relatifs aux Juifs. Esaïe et le peuple sont juifs. Le prophète parle au peuple d’Israël, la nation juive dans son ensemble. Il se compte lui-même au nombre des Israélites. Esaïe situe le Serviteur Souffrant dans une catégorie différente définie par les mots : IL, LUI, SA, SES, SON. IL est celui qui souffre pour NOUS. IL est celui sur qui Dieu place NOS péchés. IL est celui qui mourra pour NOS péchés afin que NOUS obtenions le salut par LUI. Cette distinction bien définie des pronoms et adjectifs selon les différents interlocuteurs présents dans ce chapitre et leur identification indubitable excluent le fait que le Serviteur Souffrant puisse désigner Israël. C’est le Messie lui-même qui est ainsi annoncé.
A la fin du verset 8 se trouve un deuxième indice, qui permet également d’exclure l’identification du Serviteur Souffrant au peuple d’Israël. Il est écrit: « … il était retranché de la terre des vivants et frappé pour les péchés de mon peuple. »
En considérant la mort du Serviteur Souffrant, le prophète Esaïe révèle qu’elle est intervenue pour les péchés de « mon peuple ». Qui est le peuple d’Esaïe? Personne ne met en doute qu’Esaïe fut un juif. Le peuple d’Esaïe est donc le peuple juif. Si l’expression « mon peuple » désigne Israël, elle ne peut s’appliquer au Serviteur Souffrant. Celui-ci est donc identifié à la personne du Messie.
Comme troisième indice, signalons que dans tout ce passage prophétique, le Serviteur Souffrant est présenté comme une personne humaine particulière. On ne décèle aucune trace d’allégorie et rien ne pousse à interpréter de façon allégorique le concept de Serviteur Souffrant comme désignant Israël. Tous les états d’âme qui sont décrits, tous les actes qui sont rapportés sont ceux qui peuvent caractériser un individu. Il n’est nullement question d’un individu qui personnifie Israël. Dans toute cette prophétie, Israël apparaît comme une entité distincte du Serviteur Souffrant. Le Messie est envisagé comme un personnage historique futur qui accomplira la prophétie d’Esaïe. Quant à Israël, il est le peuple qui attend cet accomplissement. Donc pas de personnification d’Israël, mais seulement l’annonce de la venue d’un homme dans l’histoire.
Le quatrième indice réside dans le fait que le Serviteur Souffrant est présenté dans ce passage comme un supplicié innocent (versets 4-6, 8b, 9b). Il est facile de voir que cette description peut correspondre au Messie mais pas du tout à Israël. Moïse et les prophètes n’ont jamais déclaré au peuple d’Israël: « Vous aurez des épreuves à cause de votre innocence », mais plutôt: « Vous serez punis à cause de vos péchés, à moins que vous ne vous repentiez et que vous vous conformiez à la volonté révélée de Dieu. » Dieu a châtié Israël à plusieurs reprises et de plusieurs façons, mais c’était toujours parce que le peuple avait gravement fauté. L’exil babylonien et la diaspora actuelle sont, selon les prophètes, le résultat de la désobéissance d’Israël à la volonté révélée de Dieu. Il en va tout autrement pour le Serviteur Souffrant qui est dépeint comme un innocent puni.
Le cinquième indice a trait à la manière dont le Serviteur Souffrant accepte volontairement et sans plainte le châtiment qui le frappe (verset 7). Il se soumet délibérément à la souffrance et ne se plaint pas de l’injustice qu’il subit. De plus, pendant tout le temps où il endure les souffrances qui le mènent à la mort, il garde le silence. Dans l’histoire d’Israël, les Juifs ont été opprimés, ils ont connu la captivité, l’exil et finalement la dispersion présente. Mais les Israélites n’ont jamais accepté volontairement ces tribulations. Ils ont toujours résisté et se sont opposés à ceux qui les leur infligeaient. C’est parce qu’Israël a été battu qu’il a été contraint d’accepter les mesures disciplinaires imposées par ses vainqueurs. Jamais Israël n’a accepté la défaite volontairement. Le Messie, lui, accepte volontairement de souffrir.
En outre, quand on parcourt toute la littérature sur l’histoire juive, on ne peut guère dire qu’Israël a souffert en silence. Au contraire, le peuple n’a pas cessé de vitupérer contre ceux qui les soumettaient à des souffrances aussi inhumaines. Israël a produit une abondante littérature destinée à conserver la mémoire de ses souffrances passées et de ses plaintes. Par ses activités, la Ligue de Défense Juive fait preuve de violence à l’encontre des antisémites et d’un désir de les voir détruits. Cette constatation élimine donc l’identification du Serviteur Souffrant à la nation juive et oriente l’interprétation vers le Messie.
Comme sixième indice, soulignons que dans ce passage, le Serviteur Souffrant subit une mort vicariale (à la place des coupables) et substitutive (versets 4-6, 8, 10, 12). Il souffre et meurt à la place d’autres personnes qui, ainsi, n’auront pas à subir le châtiment pour leurs propres. péchés. Ni les Ecritures ni l’histoire juive ne nous présentent un peuple d’Israël qui souffre pour les païens. Israël a souvent souffert à cause des païens mais jamais pour eux. Israël souffre, c’est vrai, mais il souffre toujours en raison de ses péchés. Il n’existe en aucun cas de substitution dans laquelle interviendrait le peuple juif; quand il est question de substitution, elle met en jeu le Messie.
Le septième indice que présente ce passage est le suivant : les souffrances du Serviteur de l’Eternel communiquent la justification et la guérison spirituelle à ceux qui les acceptent (versets 5b, 11b). Les souffrances d’Israël n’ont jamais procuré la justification et la guérison spirituelle aux païens. Après trois mille ans de souffrances juives, il est difficile de prétendre que les païens soient justifiés! Comme l’a montré la façon dont les nations païennes ont été impliquées dans l’Holocauste, les païens sont encore bien malades spirituellement. D’après Esaïe, les souffrances du Messie devaient apporter la justification et la guérison spirituelle aux Juifs; c’est un aspect qui sera davantage développé au dernier chapitre.
Le huitième indice est particulièrement important. Le Serviteur Souffrant meurt (versets 8, 12). Ses souffrances prennent fin avec la mort. Ceci rend impossible toute identification du Serviteur à Israël dans ce passage. Le peuple juif est vivant et bien vivant. Malgré tous les efforts déployés par les antisémites au cours des âges pour anéantir Israël, celui-ci n’a jamais été éradiqué de notre monde. La conclusion s’impose d’elle-même: le Serviteur Souffrant ne peut pas être la personnification d’Israël; il désigne la personne du Messie.
Le neuvième et dernier indice suit logiquement le précédent: la résurrection du Serviteur (versets 10-11). Celui qui a été mis à mort pour les péchés n’est pas resté mort, mais il est ressuscité et peut contempler les résultats de ses souffrances en ce qu’elles procurent la justification et la guérison spirituelle à beaucoup. Comme Israël n’est jamais mort, il ne peut connaître de résurrection. Mais si une personne comme le Messie meurt, Dieu la ramènera certainement à la vie.
Nous venons donc de voir quel était le problème que pose l’interprétation d’Esaïe 53. Quiconque lit ce chapitre comme n’importe quel autre chapitre d’un livre ne peut parvenir qu’à une seule conclusion: la personne dont parle le texte d’Esaïe souffre pour les péchés du peuple juif. Telle a été pendant des siècles l’idée qui a prévalu dans le judaïsme. Celui-ci a identifié le Serviteur Souffrant au Messie, le fils de Joseph. L’exégèse rabbinique ultérieure qui a fait du Serviteur Souffrant la personnification d’Israël semble davantage être une réaction qu’une explication du texte par lui-même. Il convient de lire ce passage sans parti pris, en acceptant tout simplement ce qu’il dit. Il ne faut pas l’interpréter pour contrer à tout prix l’explication chrétienne, mais uniquement en fonction de ce qu’il contient. Le point de vue juif traditionnel est plus en harmonie avec les affirmations simples du texte qui présente les souffrances du Messie pour les péchés d’Israël.
Source :
https://www.bible-ouverte.ch/messages/livresretranscrits/90-livres-restranscrits-jesus-etait-juif/341-jesus-etait-juif-2.html?showall=&start=1