LE FESTIVAL INTER-TRIBUS
Pour l’accueil des participants au festival inter-tribus une musique qui se veut d’ambiance se vomit de partout dès l’abord du bathyscaphe. Un tube des années 60. C’est un choix du Parrain. Allez savoir pourquoi cette chanson-là ? Peut-être parce que la chanson parle de gens d’une même famille, réunis autour d’une maman à l’agonie. Les haut-parleurs beuglent nasillards, lancinants :
« Ils sont venus, ils sont tous là… Y a même Giorgio, le fils maudit… Elle va mourir, la mamma… Y a tant d’amour, de souvenirs autour de toi, toi la mamma… »
« Ca, c’est du Kaiser ! Ce genre d’accueil ! Non mais,…! Du Bécaud, j’situe j’crois, p’têtre de l’Aznavour?…N’empêche du Becvour, de l’Aznavaud, kif-kif !? Et quoi encore ? Ca grince en plus ! C’est du 33 tours et c’est d’un mauvais goût ! C’est un test ou quoi, un truc à Kaiser pour sûr ?… » grommelle sourdement Olga Saragaminskaia tout en s’engouffrant par l’énorme bouche rose et rouge à loupiottes survoltées du monstre Batiscaphe.
« Tout dépend comment on le prend », glousse une gracile Joven. « Moi, j’trouve ça délicieusement kitch et nostalga. C’est Schtroumpfé, c’est mignus, non ? Ah ! Ces Kaisers ! Ils sont un peu rustiques-tic, mais il faut leur laisser ça : ils sont touchants, tou-chants-et… tout choux par moments . Non, vous ne trouvez pas ? Allons vraiment… ? »
« Bon, allez ! On entre », enchaîne Loco Bleu qui, accompagné de Sémaphore, son fidèle second, roule des mécaniques à la tête de ses Frenchies.
A l’intérieur, à tous les étages, dans chaque recoin, c’est une débauche d’objets prétextes à se vautrer, hamacs, matelas gonflables, divans anciens recyclés, des coussins de toutes formes, en toutes matières et de toutes origines à même le sol et parfois dans les embrasures de fenêtres pour y créer des niches plus intimes, des poufs orientaux ou des « machins » designs aux formes improbables, des taies d’oreillers à franges et à dentelles, de grandes poires en cuir fourrées de boules de polystyrène, des boudins longs et allanguis en peau de zèbre et d’autres en faux crocodile…
Chacun a apporté le sien. On trouve même un marsupilami et un bouddha en plastique gonflable dont le ventre fortement épanoui vers l’avant accueille le siège paresseux d’une intruse. C’est la fille très embarrassée et embarrassante du maire accueillie, tolérée là, grâce à son père. Elle est en fait l’objet d’un deal et grâce à ce deal le Parrain espère un todj-todj pass pour l’année qui vient et le maire des voix pour les prochaines élections municipales. Le toj-todj pass qu’espère le Parrain concerne une histoire de local délabré, un ancien chenil, qui jouxte le Bathyscaphe. Ca permettra peut-être d’agrandir gratuitement !
Un Kaiser-Punk (c’est exceptionnel) rigolard et halluciné a disposé son matelas en tissu « tête de mort » tout en haut d’un escalier. Il contemple et fait le guet du haut de sa position qu’il juge stratégique pour ses délires. Il a visiblement mangé de « mauvais champignons » dès le saut du lit et tout le jour. Partout c’est un festival de guirlandes plus luxueuses les unes que les autres. Certaines en satins bordés de perles, d’autres en nylons aux couleurs phosphorescentes. Et ainsi des matières et formes diverses à l’infini.
Les Jovens ont improvisé un stand où trois ou quatre d’entre eux miment leur dernières trouvailles snobs.
« Et voici l’exercice 25 du nouveau code de comportement des Jovens » susurre l’un d’entre eux. « Comment je me glisse en dehors, classe et snob, lorsque je sors d’une bijouterie où je n’ai rien acheté ?
« Exercice n° 26 : Comment sortir d’une bijouterie avec aux doigts plusieurs bagues volées ? Rapport à mon allure et au regard du bourgeois en face de moi, on conçoit le choc . Le secret ? Bluffer l’adversaire grâce à l’une de nos séances de gestuelle improvisée, façon danse rash-rash. Au culot, les amis et toujours avec le regard Mickey-Disney des Jovens. Ca trouble, envoûte et dirige l’attention ailleurs que sur les bagues . Faut oser,…c’est limite mais c’est le bonheur ça ! »
Plus loin, la Saragaminskaia fait admirer à la foule les cousins Slivovitchs arrivés de Milan hier soir.
« Ca, c’est le look Slivovitch dernier cri! Et excusez du peu, les Kaisers, mais là il y a du vrai cuir, beaucoup de cuir ! C’est du made in Italy, ça ! ».
Un des Slivovitchs d’Italie s’enfuit en hurlant de rire. Il porte un étonnant vêtement: pantalon par devant et robe par derrière, qui lui donne un air de chauve-souris. Sur sa tignasse de faux blond, une perruque n’en finit pas de briller de mille feux où brinquebalent quelques centaines de longues tresses de cuir, dorées et fines.
Tout est à l’avenant aux quatre étages du bâtiment. Dans la grande cour située à l’arrière, c’est une mer de plumeaux, de strass, de maillots de bain peints en couleur chair ou argentée, de robes 1900 sur des bottes qui n’en finissent pas et des carcasses de grands blonds, un univers de caquetages où chacun prend la pose au gré d’une musique de fond suave dont nul ne saisit la provenance. Babil doux des Jovens, criailleries effreinées des Frenchies, éructations et rots des Kaisers, coassements hilares des Ezquiz-Maux venus de la zone Sahara et non de la zone Banquise comme on pourrait le croire, chuintements revenus en échos le long des corridors sans fin, staccatos de hauts talons au rythme de sambas imaginaires, claquements de doigts façon country-rap, valses hystériques des Italiens, à la hussarde presque, déambulations extasiées, soupirs. Un opéra cocasse et cosaque plaqué sur tant de vide. Quelque chose de cassé, de désespéré rampe partout.
Dans toute cette bigarrure, deux novices circulent à la recherche du Parrain. C’est Polsky-Fal et Sans-Nom, avides, bien entendu, de savoir s’ils seront acceptés ou non chez les Kaisers.
Et soudain le voici!