La France est antisémite et critique ceux qui le disent
Michel Garroté, réd en chef –- Le New York Times et le Washington Post viennent l’un et l’autre d’analyser la montée de l’antisémitisme en France. Deux grands quotidiens américains qui se penchent sur la résurgence de l’antisémitisme en France, cela me semble parfaitement légitime. Seulement voilà. Une certaine Sophie Coignard, sur lepoint.fr, affirme, entre autres choses, que dès la parution du Washington Post, la diplomatie française s’est mise en quête d’une riposte.
J’avoue ma surprise. Ce n’est pas Sophie Coignard de lepoint.fr qui me surprend. C’est son affirmation selon laquelle dès la parution du Washington Post, la diplomatie française s’est mise en quête d’une riposte (Sophie Coignard semble donc avoir eu un contact avec un diplomate français qui veut riposter).
Oui, j’avoue ma surprise. La presse américaine dépendrait-elle du ministère français des Affaires étrangères ? La diplomatie française aurait-elle un droit de regard sur les médias d’outre-Atlantique ?
Et, comble de l’arrogance, lorsque des médias étrangers analysent une réalité évidente, celle de l’antisémitisme en France, la diplomatie française ferait-elle savoir, en l’occurrence à Sophie Coignard de lepoint.fr, dès la parution du Washington Post, qu’elle s’est mise en quête d’une riposte ? A quoi la France veut-elle riposter ? Au fait que des médias étrangers analysent une réalité évidente, celle de l’antisémitisme en France ? Et riposter comment ?
Imaginons un seul instant la situation inverse : Le Monde et Libération publient une analyse sur la (relative et sectorielle) montée de l’hostilité des Etats-Unis envers les Mexicains sur sol américain. Imaginons que dès la parution du Monde, la diplomatie américaine (le Département d’Etat) se mette en quête d’une riposte.
Les journalistes et les politiciens français ne réagiraient-ils pas en hurlant que l’hégémonisme américain tente de censurer la presse française ? Pourquoi la France ne tolère-t-elle pas qu’on lui fasse ce qu’elle fait elle-même aux autres : analyser et critiquer. Mais d’où vient – au plan historique et sociologique – cette forme d’arrogance « à la française » ?
Ainsi donc, sur lepoint.fr, Sophie Coignard écrit (extraits adaptés ; voir lien vers lepoint.fr en bas de page) : C’est un tir groupé ! Samedi 21 juin, les deux plus grands quotidiens américains publient de longs articles sur la montée de l’antisémitisme en France. Le Washington Post, le plus agressif, en fait même une spectaculaire, titrée « L’antisémitisme érode la fraternité française ». En illustration : une photo de jeunes manifestants, emmitouflés dans de gros manteaux, qui font une quenelle. En accroche, trois chiffres : 37 % des Français qui expriment ouvertement des opinions antisémites ; 40 % de hausse des actes de violence à caractère antisémite en France au premier trimestre 2014 ; 64 % d’augmentation des départs de citoyens français qui émigrent en Israël.
L’effet est saisissant, et le corps de l’article ne l’atténue pas. Dieudonné, Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, le score du Front national aux européennes : une telle énumération, à elle seule, sonne comme un réquisitoire. L’explication donnée à cette lugubre résurgence ? Quatre facteurs convergents : le besoin de trouver un bouc émissaire en période de crise ; la montée de l’extrême droite ; les relations détériorées entre les immigrés d’origine africaine et les juifs de France ; les tensions croissantes avec la population musulmane.
À la lecture de ces deux articles, l’intelligentsia américaine au sens large, qui constitue le cœur de cible de ces quotidiens, risque désormais de considérer la France comme un pays antisémite. Certes, dans ces articles, certains candidats à l’immigration en Israël invoquent aussi des raisons économiques à leur décision, mais l’image qui demeure est désastreuse : celle d’un pays qui compte la plus grande communauté juive d’Europe et qui ne parvient plus à la protéger.Dès la parution du Washington Post, de loin le plus virulent des deux, la diplomatie française s’est mise en quête d’une riposte, conclut Sophie Coignard sur lepoint.fr (fin des extraits adaptés ; voir lien vers lepoint.fr en bas de page).
De son côté, Eric Leser, sur slate.fr, écrit (extraits adaptés ; voir lien vers slate.fr en bas de page) : Dieudonné, Jean-Marie Le Pen, Mehdi Nemmouche, Mohammed Merah, Youssouf Fofana et le gang des barbares. Qu’ont-ils en commun s’interroge la presse anglo-saxonne? Les journaux américains et anglais multiplient les articles depuis plusieurs jours sur le « nouvel antisémitisme » qui grandit en France, pour reprendre l’expression du Washington Post.
Le New York Times met lui en avant l’augmentation rapide du nombre d’émigrants juifs qui quittent la France pour Israël. Le quotidien cite Taieb Nizard, une femme de 32 ans, mère de deux enfants qui s’explique : « J’aime la France et c’est mon pays, mais je suis dégoutée. En Israël il y a une armée qui va nous protéger. Ici, je ne vois pas d’avenir pour mes enfants ». « L’anxiété française illustre l’anxiété générale des juifs d’Europe qui craignent pour leur sécurité et leur avenir », explique au quotidien de New York Serge Cwajgenbaum, un Français qui est le Secrétaire général du Congrès juif européen à Bruxelles. « Si cette situation continue, il y aura une accélération des départs d’Europe », ajoute-t-il.
Pour le Washington Post, le succès des spectacles antisémites de Dieudonné qui en a fait sa marque de fabrique, son principal message au fil des années et pour finir un mouvement politique est le symptôme d’un problème bien plus large de la société française. Le « nouvel antisémitisme » est le résultat de la convergence de quatre facteurs principaux. A savoir, la recherche classique d’un bouc-émissaire en période de crise économique, la force grandissante de l’extrême-droite nationaliste, la détérioration des relations entre les noirs et les juifs et les tensions grandissantes avec la population musulmane en expansion rapide en Europe. Mais en Europe occidentale « aucune nation n’a vu le climat se détériorer pour les juifs comme la France ».
L’antisémitisme et les actes antisémites n’avaient pas disparu en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il y a notamment eu deux vagues dans les années 1980 et au début des années 2000 liées au conflit israélo-palestinien. Mais il ne s’agissait pas de mouvements touchant une part non négligeable de la population et qui s’accompagnaient d’une véritable libération de la parole antisémite et fait nouveau, pas seulement de la parole.
Ainsi, c’est un Français, Mehdi Nemmouche, qui est le principal suspect de la tuerie en mai au musée juif de Bruxelles. Il s’agit de l’acte antisémite le plus violent depuis qu’en 2012, Mohammed Merah, un autre Français, a abattu trois enfants dans une école juive à Toulouse. La France qui abrite la plus importante communauté juive d’Europe a vu les actes antisémites augmenter de 40% au cours des trois premiers mois de l’année pour atteindre le nombre de 140. Il y a trois semaines, deux jeunes juifs qui sortaient d’une synagogue à Créteil ont été roués de coups. Un fait divers presque ordinaire.
Pour finir, une récente étude menée dans le monde pour l’organisation juive américaine Anti-Defamation League suggère que la France a aujourd’hui le plus important pourcentage de population ayant des préjugés antisémites en Europe occidentale : 37% contre 8% en Grande-Bretagne, 20% en Italie et 27% en Allemagne. « Pour les dirigeants juifs, cela est lié à la radicalisation de la jeune population musulmane française et aux attaques permanentes dans les médias français sur la politique israélienne envers les palestiniens », écrit le Washington Post.
Le quotidien reconnaît que l’antisémitisme est devenu socialement plus acceptable et dans des registres différents Dieudonné et Jean-Marie Le Pen illustrent et ont permis cela. Ils incarnent la libération de la parole anti-juive avec leurs allusions répétées aux chambres à gaz et à la shoah et pour Dieudonné aux vieilles théories d’extrême droite et d’extrême gauche sur la domination juive du monde.
Et les «dérapages» répétés de Jean-Marie Le Pen, président d’honneur et fondateur du Front National, dont le dernier sur «la fournée» qu’il réserve au chanteur d’origine juive Patrick Bruel, n’ont pas été un obstacle au fait que ce parti a remporté les élections européennes en France.
Pour le Guardian, la résurgence de l’antisémitisme doit amener et rapidement un sursaut dans toute l’Europe. « Nous ne pouvons nous permettre sur ce continent d’être une fois encore des témoins passifs. Nous devons reconnaître l’ampleur du problème, comprendre les forces qui sont derrière et y mettre fin: tolérance zéro », conclut Eric Leser sur slate.fr (fin des extraits adaptés ; voir lien vers slate.fr en bas de page).
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