Gilad Shaar, Eyal Ifra’h et Naftali Frankel ont été enlevés à cinq kilomètres de chez moi. Lorsque ma famille et moi avons appris la nouvelle de l’enlèvement vendredi dernier, la même pensée a traversé nos esprits : cela aurait pu être nous. Mes enfants adolescents étudient dans la région du Gush Etzion et ils font parfois de l’auto-stop pour rentrer à la maison. Le vendredi, je fais mon jogging sur nos belles collines de Judée, croisant souvent des fermiers arabes qui pourraient me kidnapper. Pourquoi donc, certains me demandent, vous exposer vous et vos enfants à un tel danger? Après la question vient l’accusation : les habitants des implantations sont non seulement irresponsables envers leurs enfants, mais aussi envers leur pays : ils empêchent Israël de jouir de la paix, ils gaspillent les fonds publics, et ils sont responsables de l’isolement international à Israël.
Lorsque j’ai fait mon « Aliyah » (mon immigration en Israël) de Paris, on me demandait pourquoi je mettais ma vie en danger en rejoignant à un pays en guerre (Israël se remettait à peine du traumatisme des Scuds de Saddam Hussein). Lorsque les cafés et les autobus explosaient presque tous les jours dans les villes d’Israël au début du millénaire, je me sentais plus en sécurité dans mon « implantation » d’Efrat que dans les rues de Tel-Aviv. Lorsque les roquettes du Hezbollah pleuvaient sur le nord d’Israël à l’été 2006, les résidents de Haïfa trouvèrent un havre de paix dans notre « implantation ». Lorsque Zeev Sternhell demanda en mai 2001 aux terroristes arabes de l’épargner et se concentrer plutôt sur les « colons, » il exprimait son souhait personnel mais il ignorait celui des Arabes. Ni le Hamas ni l’OLP ne dessinent une ligne verte entre les « bons » et les « mauvais » Israéliens.
Le terrorisme arabe vise indistinctement les Juifs des deux côtés de la « ligne verte » et la cause de ce terrorisme n’est pas la présence d’Israël au-delà de cette ligne. Les trois adolescents kidnappés sont semble-t-il à Hébron, une ville où 67 Juifs furent massacrés par les Arabes en août 1929 (38 ans avant qu’Israël ne conquiert la Judée-Samarie). Entre 1949 et 1967 (quand tous les Israéliens vivaient du « bon » côté de la ligne verte), des milliers d’Israéliens furent ciblés et tués par des terroristes infiltrés de la bande de Gaza et de Judée-Samarie. Nachshon Wachsman a été kidnappé en octobre 1994 près de l’aéroport Ben Gourion. Lorsqu’Israël a démantelé toutes les implantations de la bande de Gaza, il a été « récompensé » par des milliers de roquettes tirées sur ses villes. Lorsque les premiers ministres Ehud Barak et Ehud Olmert ont proposé (en juillet 2000 et mai 2008 respectivement) de démanteler les implantations en échange de la paix, la réponse a été une fin de non-recevoir.
Donc, non, je n’expose pas mes enfants et moi-même à un danger supplémentaire et je n’empêche pas l’avènement de la paix. Et je ne suis pas un fardeau pour mon pays : je travaille dur et paie mes impôts, comme le reste de mes voisins. Efrat a l’une des populations les plus instruites et productives d’Israël, ainsi qu’un nombre inhabituellement élevé de jeunes officiers de Tsahal.
La théorie selon laquelle les implantations isolent Israël est également fausse. Historiquement, la pire période d’isolement international d’Israël fut en 1953 : l’Union soviétique avait rompu ses relations diplomatiques avec Israël ; aux États-Unis, la nouvelle administration Eisenhower avait engagé une politique ouvertement pro-arabe ; la France et Israël n’avaient pas encore développé leur relation militaire. Israël a renouvelé ses relations diplomatiques avec l’Union soviétique en 1991 et a établi des relations diplomatiques avec la Chine et l’Inde en 1992 : tout cela s’est passé sous le gouvernement “pro-implantations » d’Yitzhak Shamir et avant le processus d’Oslo. L’occupation du nord de Chypre n’isole pas la Turquie et l’occupation du Sahara occidental n’isole pas le Maroc. Les relations internationales sont régies par les intérêts, pas par les sentiments.
Lorsque Lily Galili tente, dans son dernier éditorial pour i24news, de tracer une ligne morale entre deux catégories d’Israéliens, elle exprime typiquement l’illusion et la malhonnêteté intellectuelle de la gauche sioniste. Qu’y avait-il de plus « cachère » dans l’expulsion des Arabes de Lydda et la destruction de leurs maisons que dans la construction de villages sur les collines dénudées de Judée? Ma maison à Efrat est construite sur une colline vide. Mon bureau à l’Université de Tel-Aviv est construit sur les ruines du village arabe de Cheikh Muwannis. Comme l’explique le chroniqueur du journal Ha’aretz Ari Shavit dans son livre Ma Terre Promise, la gauche sioniste tente d’oblitérer le fait que, pour les Arabes, la vraie cicatrice historique, la Naqba, est l’exode et la destruction de 1948, pas le simple changement de souveraineté de 1967. Amos Oz fustige les «colonies», mais son kibboutz Hulda a remplacé le village arabe de Hulda qui a été détruit par Israël en 1948. Comme l’écrit Shavit : « C’est Hulda, idiot. »
Exactement. Il est parfaitement légitime d’affirmer qu’Israël doit se redéployer sur la ligne verte. Mais dire que cela nous amènera la tranquillité et la pureté morale est niais et malhonnête. La liberté, surtout quand on est juif, a un prix – et ce où que l’on habite.
Opinion de Lily Galili : La hiérarchie israélienne de la terreur
Emmanuel Navon – i24news
Emmanuel Navon dirige le département de science politique et de communication au Collège universitaire orthodoxe de Jérusalem et enseigne les relations internationales à l’Université de Tel Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya. Il est membre du Forum Kohelet de politique publique.