Je proclame ici, que suite à mes expérimentations opérées sur mon chat, à l’observation purement scientifique de son comportement, je suis dans la mesure d’affirmer, d’une manière irréfutable, le caractère profondément juif de ce dernier et partant son appartenance au peuple élu.
Autrement dit, si le chien dans sa soumission à l’autorité, dans son penchant obstinément suiveur, dans sa capacité à tendre l’autre bajoue, exalte des valeurs profondément catholiques, le chat lui, par son attitude frondeuse, par sa capacité à survivre en milieu hostile, dans sa paranoïa atavique, scande tout au long de sa vie des valeurs intrinsèquement juives.
Tout comme n’importe quel juif de pacotille, le chat n’accorde jamais sa confiance à autrui.
Constamment sur ses gardes, conscient de son extrême vulnérabilité que des siècles de poursuite dans des ruelles malfamées ont consolidée, averti du constant danger que représente toujours l’autre, le chat, tout comme le juif, sait devoir compter, en toutes circonstances, uniquement sur lui-même.
C’est ainsi que mon chat, lorsque survient dans le déroulé de sa journée parfaitement cadencée (croquettes, sieste, câlin, croquettes, sieste, croquettes, câlin, sieste, croquettes, câlin, course, sommeil) un événement imprévu – coups frappés à la porte, apparition d’une personne inconnue, bruit non répertorié dans sa conscience animale – ne connaît qu’une seule et unique réponse : la fuite.
La fuite éperdue, désespérée, irraisonnée vers un endroit parfois connu de lui seul où il se pense être à l’abri de tout danger : au fin fond d’un placard enfoui sous la pile à caleçons de son maître, à l’arrière d’une bibliothèque de fortune, sous le matelas du lit, au-dessus du frigo derrière la corbeille à fruits, au cul de la table à repasser, dans les décombres du panier à linge…
Le syndrome Anne Franck.
Exactement à l’image du juif qui sollicite, par temps de guerre, les moindres recoins de son habitation afin d’échapper à la rafle de quelques gendarmes par trop zélés et s’entiche d’un double plafond, pratique l’enfermement volontaire à l’ombre d’un grenier ou opte pour une retraite dans une cave confinée.
Comment ne pas percevoir dans cette attitude précautionneuse et emplie d’une sagesse éternelle le fondement même de l’identité juive consécutive à des siècles de persécution et de déportation ?
Cette peur de servir de victime expiatoire à la folie des hommes ou des chiens.
Cette crainte d’être le bouc émissaire d’un peuple frustré dans sa révolution nationale ou d’une bande de garnements défroqués cherchant à tromper leur ennui.
Il est à noter, concernant mon chat, que dans pareille situation évoquée plus haut, j’ai beau essayer de le rassurer par des paroles apaisantes, lui réitérer mon total engagement à le protéger en cas de réel danger, lui jurer ma parfaite loyauté en le forçant à me regarder droit dans les yeux afin d’y lire ma détermination entière à le défendre au péril de ma vie, il n’en a cure.
A l’heure où sa vie se retrouve en danger, il sait ne pouvoir compter que sur lui-même.
Tout comme le juif en cavale qui dans sa fuite renonce à demander de l’aide à quiconque et poursuit son chemin sans demander son reste.
Ou qui à force d’avoir été dénoncé par sa voisine de palier en vient à changer de trottoir lorsqu’un gendarme apparaît au loin, et ce même en temps de paix, ou à refuser d’ouvrir au plombier, quand bien même l’aurait-il lui-même convoqué, si ce dernier se trouve avoir un accent sentant bon les remparts de Varsovie.
En définitive, le chat et le juif partagent la même obsession : parvenir à survivre entourés d’ennemis qui ont juré leur éradication définitive.
Ce qui explique, quand des coups sourds sont frappés impunément à la porte, de me voir essayer par tous les moyens de ralentir mon chat (croche-pattes, cloutage de moustaches, torsion de la queue) dans sa fuite effrénée afin d’être le seul à profiter de la meilleure cachette.
Chatcun pour soi !
Source : Blog de Laurent Sagalovitsch