Guy Millière – Il existe en Europe occidentale des admirateurs de Vladimir Poutine. Ceux-ci lui trouvent bien des qualités : celles de stratège, d’homme à poigne, de défenseur de la civilisation occidentale.
Cela ne fait aucun doute : Vladimir Poutine est un stratège. Il a un plan et des projets, et il avance. Cela ne fait aucun doute non plus : c’est un homme à poigne.
Voir en lui un défenseur de la civilisation occidentale est adhérer à une certaines conception de la civilisation occidentale, et exclure de celle-ci ses accomplissements les plus féconds : l’idée de droits naturels de l’être humain, la liberté de parole, la liberté d’entreprendre et de créer, le respect du pluralisme. De fait : la Russie aujourd’hui ne peut être qualifiée d’état de droit, de pays où sont respectées la liberté de parole et la liberté d’entreprendre et de créer, de pays où un effectif pluralisme règne : les violations des droits les plus élémentaires de l’être humain y abondent, tout comme les violations de la liberté de parole. La liberté d’entreprendre et de créer y est écrasée sous les diktats venus d’en haut et l’économie y est prise en main par une poignée d’oligarques qui constituent autour du chef une nouvelle nomenklatura. Le pluralisme y est réduit à un simulacre, et les opposants au chef ont une tendance à finir en prison ou à mourir prématurément, comme Boris Nemtsov voici quelques jours. Voir en Vladimir Poutine un défenseur du christianisme (ce qui s’énonce aussi) est avoir une vision du christianisme : celle de l’orthodoxie, imprégnée de fatalisme dogmatique.
Vladimir Poutine est en réalité un nationaliste russe, nostalgique de la puissance de son pays au temps de l’empire
Vladimir Poutine est en réalité un nationaliste russe, nostalgique de la puissance de son pays au temps de l’empire. C’est aussi un homme issu du communisme et du KGB. Ce n’est pas un dictateur, mais un adepte de l’autoritarisme. C’est quelqu’un qui a repris son pays en main après la chute du communisme et la déchéance post-communiste. Et c’est quelqu’un pour qui la reprise en main impliquait la restauration de la puissance telle qu’elle était au temps de l’empire et l’autoritarisme. C’est quelqu’un qui pratique le réalisme politique avec une absence totale de scrupules et qui regarde le monde cyniquement, en termes de rapports de force. C’est quelqu’un qui, plutôt que d’avoir choisi de guider son pays vers l’ouverture et vers le dynamisme, l’a conduit vers l’affrontement avec le monde occidental, considéré au mieux comme un ensemble d’adversaires, au pire comme un conglomérat d’ennemis.
C’est quelqu’un qui, plutôt que de s’ouvrir au monde occidental pour établir avec lui des synergies, a choisi l’assujetissement des pays européens par la création de dépendances, par la déstabilisation, le recours à l’armée, la recréation d’un glacis de pays soumis et l’usage de la confrontation avec les Etats-Unis. Les alliés logiques de Vladimir Poutine, en ces conditions, sont les dictateurs et les tyrans, à commencer par la Chine et l’Iran. Les raisonnements sous-jacents aux alliances sont que ce qui sert à affaiblir l’adversaire est à utiliser, même si ce qui sert à affaiblir l’adversaire est délétère et meurtrier (d’où la fourniture de dispositifs atomiques et de moyens de sanctuarisation à un régime fanatique tel celui des mollahs, et d’où la fourniture de missiles susceptibles d‘abattre un avion de ligne à des milices telles celles existant dans l’Est de l’Ukraine).
Vladimir Poutine ne contribue ainsi ni à la prospérité ou à l’émancipation de son pays et de son peuple, ni à la prospérité ou à l’émancipation des pays avec lesquels il peut nouer des liens, ni, bien sûr, à la stabilité du monde.
C’est un homme dangereux. Ce n’est pas du tout un hasard s’il entretient des liens en Europe avec des partis aux tentations nationalistes et socialistes, parfois avec des partis explicitement fascistes. Ce n’est pas du tout un hasard non plus si, au cœur de ceux qui lui servent de maîtres à penser, on trouve Alexandre Douguine, théoricien de l’eurasisme, qui repose sur la notion de « terre mondiale » anti-capitaliste et anti-démocratique.
En des temps où les sociétés occidentales étaient encore attachées à ce que j’ai appelé leurs accomplissements les plus féconds, le danger qu’incarne Vladimir Poutine aurait moins séduit. Nous ne sommes, hélas, semble-t-il, plus en ces temps.
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