En premier lieu, de nombreux écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent d’abord leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-américaines et antisémites viennent clore le tout. Le sociologue Samir Amghar, interrogé par Le Parisien (20 septembre 2010, p. 2-3) estime qu’Internet est devenu la principale source d’information religieuse, mais aussi le principal pourvoyeur de radicalité.
Ce n’est plus tant dans les mosquées, lieux traditionnels du débat mais aussi du recrutement des djihadistes avant le 11 Septembre 2001, et où les imams se savent aujourd’hui très surveillés par les services de renseignement, que le jeune musulman français se rend. À la question de savoir pourquoi une telle personne pourrait être sensible à ce discours, il répond: « Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent issu de la deuxième ou troisième génération de l’immigration, est mû par un double besoin de rupture: à l’égard de ses parents, dont il considère l’islam routinier, et du fait de sa quête d’identité. Sa revendication d’un islam éclairé comporte une forte dimension protestataire. » À la question de savoir quelles tendances de l’islam on trouve sur la Toile, Samir Amghar répond: « Toutes. Mais un site sur deux est, selon moi, de tendance salafiste. Car le salafisme, mouvance fondamentaliste qui a pour référence les théologiens d’Arabie saoudite, a été le premier à fonder son mode de prédication et de recrutement de fidèles sur cet outil. On y distingue deux tendances: le salafisme djihadiste, minoritaire, qui prône la violence comme moyen d’imposer la primauté de l’islam dans le monde, et le salafisme quiétiste, qui récuse la violence terroriste tout en préconisant la distance avec l’Occident impie et ses valeurs. Cette mouvance supplante deux autres tendances: les Frères musulmans, dont l’influence s’exerçait par les cours, la diffusion de cassettes et DVD, et les conférences; et le Tabligh, qui utilisait le porte-à-porte. »
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C’est ainsi que les sites islamistes extrémistes (dont une vingtaine en français au moins) gangrènent la toile, mêlant antisémitisme virulent, théorie du complot et soutien au terrorisme. Différents discours des figures majeures de la nébuleuse islamiste sont accessibles. Ces textes, parfois longs (plus de dix pages) sont traduits en français. Ainsi, sur un « forum islamique », l’Égyptien Ayman al-Zawahiri (le numéro deux d’Al-Qaïda) répond longuement (mais pas en direct) à des questions d’internautes; l’un d’eux demande s’il faut « partir au combat ». « Oui, l’assure Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance. » Parmi des récits de « référence », on trouve aussi un « message à la jeunesse » d’Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l’origine du premier djihad en Afghanistan. « Rien que le djihad et les armes. Pas de négociation, pas de discours, pas de dialogue », répète celui qui fut l’un des modèles de Ben Laden. « Allah nous prépare pour la victoire », détaille pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés, l’Américain d’origine yéménite Anwar Al-Awlaki -cet imam extrémiste de 38 ans a été abattu au Yémen fin 2009. Propagandiste djihadiste, il avait fait de la Toile son principal outil d’influence, et passe pour avoir été le « conseiller spirituel » de trois des auteurs des attentats du 11 Septembre 2001 et, plus récemment, de Nidal Malik Hassan – ce psychiatre de l’armée américaine a tué treize personnes en 2009 au Texas.
Les discours guerriers s’adressent également aux femmes, les « cavalières de l’islam » (combattantes tchétchènes ou palestiniennes). Un « cheikh martyr » détaille ainsi leur rôle « dans le combat contre l’ennemi », tout de « sacrifice » à l’époux et au fils. Un texte signé de l’épouse d’Al-Zawahiri et adressé aux « sœurs musulmanes » vilipende « l’Occident impie qui ne veut pas que tu te pares de ton hijab, car cette pratique divulgue leur déclin et la bassesse de leurs mœurs ». Mentionnons également la Fatwa du cheikh Salman ibn Fahd al ‘Awdah Hafizahullah sur le statut des opérations martyrs en Islam: « Quant à celui qui frappe jusqu’à la mort, alors ça doit être sous le contrôle de gens qui ont de l’expérience comme nous l’avons cité, pour s’assurer qu’il y aura des morts et des blessés, qu’il y aura de gros dégâts, que la terreur soit répandue chez les ennemis, que ça les pousse à rentrer chez eux sans pour cela engendrer des représailles graves de leur part, tel que se venger en tuant des innocents, ou la destruction des villes et des villages, ou toute chose semblable. »
Ces diatribes (sur le Net) sont si virulentes qu’elles ne doivent pas manquer d’échauffer les esprits de quelques jeunes par ailleurs perturbés, en quête d’identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc de cultures. Par exemple, c’est ainsi que l’on trouve sur un portail de vidéo, cet échange étonnant entre un Français récemment converti à l’Islam et le Shaykh al-Albâni, sur le djihad. Le converti interroge le Shaykh: « Si les fautes que l’on a fait avant de se convertir à l’islam, lorsque l’on fait la chahâda (« attestation » ou « témoignage de foi » c’est la profession de foi de l’islam, dont elle constitue le premier des cinq piliers), ces fautes sont-elles effacées? Ces péchés sont-ils effacés? » Réponse du prêcheur: « Le Messager a dit: « L’islam (la conversion d’une personne) efface tous les péchés précédent (son) islam. » Autre question: « Je voulais savoir maintenant, nous, quand on veut s’engager pour le djihad qu’est-ce qui est le plus important dans l’immédiat? C’est faire le djihad contre soi-même (la science) ou faire le djihad avec les armes pour combattre les mécréants? » Le converti demande ensuite ouvertement s’il doit partir en Irak ou ailleurs et immédiatement pour accomplir le djihad par les armes.
La mouvance islamiste utilise donc le « réseau des réseaux » et les sites qu’elle rassemble sont foisonnants et terriblement dangereux. Grâce à l’Internet, les islamistes diffusent leur propagande et recrutent les futurs terroristes dont certains, un jour, commettront des attentats en Europe ou ailleurs.