Gilles-William Goldnadel a vu la 49e Cérémonie des César, diffusée ce vendredi sur Canal+. Cet événement s’est distingué, comme chaque année, par son lot de discours creux et faussement rebelles, constate-t-il.
Je mentirais en écrivant que le monde artistique m’inspire une immense estime morale ou intellectuelle. A fortiori celui du milieu cinématographique. Je ne tiens pas l’acteur français comme beaucoup plus généreux que moi, au-delà de son discours munificent mais peu onéreux. Pas plus conformiste qu’un anticonformiste bavard plein de bravade. Je ne l’ai vu ni d’un immense courage pendant l’occupation ici, ni pendant l’affaire McCarthy là-bas, où ses camarades progressistes se dénonçaient les uns les autres. Quant à son intelligence politique, elle ne m’a jamais sauté à l’esprit depuis son soutien assez unanime au stalinisme.
À se demander, en passant, si le président de la République n’est pas plus artiste que politique, quand on le voit accorder une interview, pour célébrer l’esprit de résistance contre le nazisme, à un journal usant du beau mot d’ « humanité » mais qui souhaita la bienvenue aux soldats allemands, ou quand on l’entend, pour rendre hommage à Manouchian, chanter cet « idéal communiste » qui fit 100 millions de morts. C’est donc avec cet esprit assez peu admiratif, et que désormais nombre de Français partagent, que je regardais vendredi soir la Cérémonie des César.
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Mon premier motif d’agacement face au dangereux conformisme de la fausse générosité, concerne les violences faites aux femmes. Déjà, lors de la précédente cérémonie, j’avais consacré dans ces mêmes colonnes une chronique agacée. La cause ? L’attitude d’Adèle Haenel, dont l’agressivité colérique envers Roman Polanski n’avait d’égale que son indulgence infinie pour Ladj Ly. Les deux hommes ayant été condamnés dans des affaires touchant aux femmes. L’esprit chagrin qui signait cet article avait cru devoir expliquer cette cruelle différence de traitement par une prévention particulière envers un vieux mâle blanc, que sa jeunesse dans le ghetto de Varsovie n’altérait en rien. L’auteur de Dreyfus était coupable, celui des Misérables ne pouvait qu’être aimable. À noter que le milieu conformiste, qui parle plus qu’il ne pense, ne fut nullement troublé par cette différence de comportement.
Cette année, une fois encore, les violences faites aux femmes furent la thématique principale de la cérémonie. Judith Godrèche, dont les accusations contre deux cinéastes avaient, peu avant, défrayé la chronique, fut acclamée debout par l’assistance. On voudra bien excuser l’avocat qui signe cette chronique de ne pas s’appesantir sur le fond d’une affaire dont la justice est saisie, au nom des dénégations des deux accusés comme d’une présomption d’innocence qui n’est pas, au moins encore pour lui, une notion tombée en désuétude.
Mais au milieu, donc, d’un conformisme artistique et médiatique irrésistible et tempétueux, il osera contre le vent quelques réflexions ingrates. Une actrice proposa « de mettre de côté » tous les acteurs et cinéastes accusés non condamnés, pendant la durée des procédures judiciaires. C’est vraiment méconnaître la durée actuelle d’une instance pénale, dans le cadre d’une justice paralytique, qui peut parfaitement, tous recours confondus, excéder la décennie. Cette proposition, soit niaise soit hypocrite, équivaut donc à la mort civile. J’ajouterais par voie de constatation, que même les accusés innocentés judiciairement ne sont pas davantage réhabilités professionnellement, tant les procès médiatiques autant qu’idéologiques sont diligentés hors de toute raison. Dans ce domaine où la bonne foi est une notion obscène, l’adage « Malheur à qui le scandale arrive » prend tragiquement tout son sens. Comme si certains mâles innocents, mais coupables d’être accusés, devaient être sacrifiés en public sur l’autel d’une cause sacrée.
Ma deuxième remarque ingrate concerne ce cruel paradoxe : l’idéologie, notamment artistique, semble davantage se passionner pour des affaires anciennes, parfois de quarante ans, atteintes par la prescription, soumises à la spéculation par voie de dénégations, plutôt que pour d’atroces violences faites aux femmes autrement plus récentes et plus indiscutables. Au surplus, dans le cadre de l’affaire Godrèche précitée, aussi douloureuse qu’elle puisse être, nul ne pourra m’empêcher d’observer qu’en 2010, lors d’une interview télévisée, et alors même qu’elle avait déjà largement atteint l’âge de la maturité, l’accusatrice tenait un discours autrement moins accusateur envers l’un des accusés… Dans ce cadre irrationnel autant que paradoxal, et s’agissant du sort cruel autant qu’indiscutable et récent, réservé à certaines femmes, un esprit lunaire, venu d’une autre planète, aurait pu espérer que l’on rende hommage à toutes ces vieilles dames, parfois nonagénaires, violées et violentées par de jeunes OQTF.
De même, notre candide désarmant de naïveté, ignorant le poids de l’idéologie, aurait pu s’attendre à quelques propos de compassion, dont parfois les artistes ne sont pas économes, à l’égard des femmes violées et éventrées des kibboutz. Mais notre naïf ne savait pas que ces femmes juives étaient blanches et que leurs tourmenteurs ne l’étaient pas… Et j’entre par cette porte de l’enfer à l’intérieur de mon second motif de colère à l’égard de l’insoutenable légèreté morale de l’être artistique. Il touche donc au conflit israélo-palestinien.
Pendant toute la cérémonie, on aura pu mesurer le poids d’une idéologie gauchisante et par conséquent conforme au milieu artistique conformiste. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, on a pleuré Gaza, mais jamais les suppliciés du Hamas. Pire encore, on aura laissé dire à Kaouther Ben Hania, César du meilleur documentaire : « Il faut que le massacre cesse à Gaza… C’est le premier massacre en direct sur nos téléphones et il faut que ça s’arrête ». Cette déclaration aurait mérité le César de l’indécence puisque le premier massacre en direct aura été enregistré sur les téléphones des massacreurs et des violeurs d’un mouvement terroriste islamiste dont le nom n’aura jamais été prononcé, et encore moins vilipendé.
Enfin, quand Agnès Jaoui fut récompensée pour l’ensemble de son œuvre, elle qui venait de tourner dans le film « Le dernier des Juifs » de ces banlieues françaises islamisées, aurait pu prononcer quelques paroles empreintes d’humanité à l’égard de certains de ses parents massacrés un certain 7 octobre au matin. Vous ai-je dit que le monde artistique ne m’inspirait pas une immense estime morale ou intellectuelle ?
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié dans Figaro Vox.