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La récente fermeture de la plus grande église évangélique kabyle a ému les milieux chrétiens français. Un événement qui témoigne d’un durcissement généralisé dans le pays à l’approche de l’élection présidentielle du 12 décembre, dont les chrétiens font les frais.
C’est une mobilisation inédite. Le 17 octobre, 500 pasteurs évangéliques français et étrangers, réunis dans la « méga-Église » Porte ouverte chrétienne, à Mulhouse, ont lancé un appel en vidéo au président Emmanuel Macron. Ils lui demandent d’intervenir auprès du gouvernement algérien en faveur de « la minorité chrétienne », suite à l’annonce de la fermeture de l’Église du Plein Evangile, à Tizi-Ouzou, le 15 octobre. « Le nombre d’églises protestantes fermées de force se démultiplie en Algérie », affirme Samuel Peterschmitt, pasteur de cette communauté alsacienne charismatique, qui compte près de 3000 fidèles chaque dimanche. « Nous voulons croire que la France ne passera pas sous silence cette persécution. »
Les jours suivants, un collectif « Urgence Algérie », initié par l’Église Porte ouverte chrétienne, a organisé des manifestations le 24 octobre, devant l’ambassade d’Algérie à Paris, ainsi qu’à Strasbourg, Lille, Lyon, et Metz. Un autre rassemblement est prévu le 26 octobre à Marseille. Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) comme la Fédération protestante de France (FPF) ont fait part de leur unanime inquiétude. Parallèlement, une pétition en ligne contre la fermeture des églises en Algérie a récolté plus de 65.000 signatures.
Si Samuel Peterschmitt, d’ordinaire discret sur la scène publique, réagit à ce point, c’est parce qu’il est proche du pasteur dont l’église de Tizi-Ouzou a été fermée par les autorités, Salah Chalah. Ce dernier est également le président de l’Église protestante d’Algérie (EPA). Mais les difficultés rencontrées par les évangéliques en Algérie ne sont pas nouvelles. Selon l’ONG Portes ouvertes, qui soutient les chrétiens persécutés dans le monde, 15 églises évangéliques algériennes ont été fermées depuis janvier 2018 (trois ont été rouvertes depuis), la plupart en Kabylie, région berbère où se trouve une forte présence évangélique. « Il y a eu un développement croissant d’Églises dans les années 1990, pendant la décennie noire », explique Karim Arezki, pasteur français d’origine algérienne, qui enseigne l’islamologie et les religions comparées à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Ce converti de l’islam bouillonne en parlant de l’Église du Plein Évangile, à Tizi-Ouzou. « C’est l’Église la plus grande du pays, avec plus de 1200 membres. » La vidéo de l’évacuation musclée de l’édifice par la gendarmerie, le 15 octobre, fait le tour du web. « Ils ont frappé le pasteur, et molesté des parents devant leurs enfants ! », s’indigne Karim Arezki, édifié par la non-violence des fidèles : « Je peux vous assurer que c’est la preuve de leur conversion à Jésus-Christ ! Dans notre culture, il est impossible d’être ainsi humilié devant sa famille sans riposter. C’est un témoignage chrétien extraordinaire ! » Deux autres églises ont été fermées en Kabylie entre le 15 et le 16 octobre.
Pour Fatiha Kaouès, sociologue et chercheuse au CNRS, auteur de l’ouvrage Convertir le monde arabe. L’offensive évangélique (CNRS éditions, 2018), ces événements sont indissociables du « Hirak » (« mouvement », en arabe), les manifestations de masse qui secouent l’Algérie depuis février 2019, alors que le général Ahmed Gaïd Salah, de facto à la tête du pays, a annoncé la tenue d’une élection présidentielle le 12 décembre prochain. « À mesure que l’on s’approche de l’échéance électorale, on constate un net durcissement de la position du pouvoir, avec des arrestations tous azimuts d’étudiants, de figures de l’opposition, d’hommes d’affaires, comme de journalistes », souligne-t-elle. L’église du Plein Évangile serait donc victime d’un contexte de répression généralisée. « Il est fort probable que les autorités ont repéré des fidèles de l’Église très impliqués dans ce mouvement de contestation. Dès lors, le signal adressé aux responsables d’Églises est clair : faites le ménage, et on vous autorisera à exister de nouveau ! » De son côté, Karim Arezki témoigne du fort contrôle des Églises évangéliques exercé par les services de renseignement algériens. « Ils écoutent toutes les prédications. Certains de leurs agents participent même à la Sainte-Cène ! », révèle-t-il, en avançant une autre explication de la pression policière : « Pour nuire au Hirak, le régime essaie de monter entre les Arabophones contre les Kabyles, et les musulmans contre les chrétiens. »
Une législation ambiguë
Officiellement, ces églises évangéliques sont fermées au motif qu’elles ont été bâties sans autorisation de l’État, selon une ordonnance de 2006 qui fixe les conditions d’exercice des cultes non-musulmans. « Les conditions draconiennes sont telles qu’il est difficile de les respecter, et les autorités tardent à répondre aux demandes de construction ! », accuse Karim Arezki. Dans l’absence de réponse administrative, ou sans attendre celle-ci, certaines Églises évangéliques se sont établies dans des maisons privées ou des garages, au risque d’être considérées comme illégales. « Il me semble évident que les autorités algériennes organisent délibérément cette situation trouble, pour se réserver le droit de sévir au cas où leurs dirigeants ne satisferaient pas à leurs exigences », juge Fatiha Kaouès.
Par ailleurs, cette ordonnance de 2006 punit d’emprisonnement quiconque « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion », constituant une épée de Damoclès au-dessus des évangéliques algériens. « Certains protestants s’adonnent effectivement à une forme de prosélytisme virulent, bénéficiant parfois de l’appui matériel d’organisations étrangères », pointe la sociologue, qui rappelle que les dirigeants de l’EPA, pour parer aux critiques, donnent de nombreux gages de patriotisme et de civisme envers les autorités algériennes, tout en réclamant l’égalité des droits avec l’islam, religion d’État. « Si celle-ci n’est pas pleinement établie, les chrétiens algériens ont acquis des droits qu’aucun autre pays arabe à majorité musulmane n’a accordé à ses citoyens. Et ce, en dépit de l’actualité qui nous occupe ! », assure Fatiha Kaouès. Car, paradoxalement, l’ordonnance de 2006 permet l’existence des communautés évangéliques. En 2011, l’EPA a reçu une reconnaissance officielle de la part de l’État.
Diviser les chrétiens d’Algérie pour mieux régner
Toutefois, le pouvoir algérien semble cibler tout particulièrement les Églises évangéliques. Le 23 octobre, le ministre de l’Intérieur Salah Eddine Dahmoune a ainsi justifié la fermeture des lieux de culte évangéliques, méprisamment qualifiés de « hangars », tout en vantant la bonne collaboration de l’État avec l’Église catholique, connue en Algérie pour privilégier les œuvres sociales à l’évangélisation directe. « Un discours fréquent oppose des catholiques soutenant la concorde civile et des évangéliques tenus pour de dangereux prosélytes », pointe Fatiha Kaouès, qui estime que les catholiques en Algérie, essentiellement d’origine subsaharienne ou occidentale, ne sont pas tombés dans ce piège. « Ils ont dénoncé les fermetures d’églises protestantes et la stigmatisation des convertis, tout en prenant leurs distances vis-à-vis des velléités prosélytes de certains. »
Les chrétiens algériens ont acquis des droits qu’aucun autre pays arabe à majorité musulmane n’a accordé à ses citoyens.
– Fatiha Kaouès.
En outre, le pouvoir cultive la caricature d’évangéliques manipulés par l’Occident. « Beaucoup de convertis et de pasteurs m’ont raconté, avec un humour teinté d’amertume, ces rumeurs absurdes faisant état de prétendues sommes d’argent qu’ils auraient reçues en récompense de leur reniement de l’islam ! », relate Fatiha Kaouès. « Voilà pourquoi l’idée de manifester devant l’ambassade algérienne à Paris, le 24 octobre, était contre-productive !, blâme Karim Arezki. C’était nourrir la rhétorique du régime. » Le pasteur redoute aussi la récupération du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), bête noire du régime d’Alger. « Si les chrétiens sont vus avec des drapeaux du MAK, c’est dramatique pour eux », ajoute-t-il, en critiquant la « précipitation » des organisateurs des rassemblements du 24 octobre. En filigrane, se dessine une rivalité entre l’Association des chrétiens nord-africains (ACNA), présidée par Karim Arezki, et l’Union des Nord-Africains chrétiens de France (UNACF), pilotée par le pasteur Saïd Oujibou, célèbre converti de l’islam, d’origine marocaine, qui a participé à la récente manifestation sous les fenêtres de l’ambassade algérienne. Les deux groupes organisent chacun de son côté des soirées de prière pour soutenir l’Église protestante d’Algérie, ce 25 octobre : l’ACNA à Saint-Denis, et l’UNACF à Paris.
Étrangers à ces subtilités algériennes, de nombreux chrétiens français, catholiques et protestants, s’émeuvent cependant d’une réduction de la liberté religieuse en Algérie. « C’est inédit, il y a un vrai élan de solidarité, se réjouit Karim Arezki. Mais il faut un feu de bois, pas un feu de paille. Comment rendre cet élan utile ? Comment le sanctifier ? » Sans doute la réponse viendra-t-elle des chrétiens d’origine algérienne eux-mêmes, qui se manifestent de plus en plus sur les réseaux sociaux. L’un d’eux, Camel Mokrani, éducateur résidant en région parisienne, a posté un appel en vidéo aux musulmans algériens : « Nous chrétiens arabes, berbères, ex-musulmans, nous aimons vraiment l’Algérie ! Et si nous croyons dans le christianisme, ce ne sont pas grâce à l’Occident, ni les États-Unis, mais c’est par la liberté de conscience, qui est un don de Dieu. »
Source :
http://www.lavie.fr/religion/protestantisme/les-chretiens-de-france-se-mobilisent-contre-les-fermetures-d-eglises-en-algerie-25-10-2019-101391_18.php