Sur Jérusalem, la « communauté internationale » sait-elle encore distinguer entre le droit et le non-droit ?
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Le 6 décembre 2017, le président américain Donald Trump a reconnu que Jérusalem était la capitale de l’Etat d’Israël et annoncé que l’ambassade des Etats-Unis y serait « prochainement » transférée. Il a ajouté que ces décisions ne préjugeaient pas d’un éventuel accord ultérieur entre Israël et une partie palestinienne quant au statut de cette ville.
Le transfert de l’ambassade américaine a été fixé par la suite au 14 mai 2018 : c’est à dire au soixante-dixième anniversaire de l’indépendance d’Israël.
Les décisions du président Trump sont conformes à une loi votée par le Congrès américain dès 1995, et ont été largement approuvées par l’opinion publique américaine. En revanche, elles ont été immédiatement désavouées par ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale ».
Dès le 18 décembre 2017, le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est prononcé à une quasi-unanimité pour une résolution condamnant les mesures américaines. Les Etats-Unis ont naturellement opposé leur veto. La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil dotés, comme les Etats-Unis, d’un droit de veto, ont jugé bon de s’associer à la condamnation.
Trois jours plus tard, la question a été portée devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci votait par 128 voix contre 9, avec 35 abstentions en bonne et due forme et 21 non-participations au scrutin, la résolution ES-10/ L.22, présentée par la Turquie, un régime semi-dictatorial islamiste, et le Yémen, un Etat musulman « non-fonctionnel » en proie à une guerre civile, prescrivant « à tous les Etats de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité concernant la Ville Sainte de Jérusalem, et de ne pas reconnaître les actions ou mesures contraires à ces résolutions ».
Ce texte était évidemment dirigé contre les Etats-Unis, bien que ceux-ci ne fussent pas explicitement désignés. De nombreux pays démocratiques faisant partie de l’Union européenne et convaincus d’être, à des degrés divers, des amis ou des alliés des Etats-Unis ou de l’Etat d’Israël, notamment la France et le Royaume-Uni – à nouveau, mais aussi l’Allemagne, n’ont pas hésité à lui apporter leurs voix.
Les Etats-Unis ont-ils véritablement outrepassé leurs droits ou porté atteinte à la loi internationale dans cette affaire ? Ou bien faut-il au contraire estimer que la c’est la « communauté internationale », et tout particulièrement sa sanior pars, la communauté des pays démocratiques, qui ne sait plus distinguer le droit du non-droit ?
Il nous paraît nécessaire de reprendre le dossier méthodiquement.
1. Reconnaître un autre Etat dans telles ou telles frontières, accepter ou non de traiter avec tel ou tel gouvernement installé dans telle ou telle ville, est une prérogative absolue d’un Etat souverain. Les Etats-Unis, Etat souverain, sont libres de reconnaître ou non Israël et de reconnaître ou non Jérusalem comme sa capitale. Rien dans le droit international ne peut contrecarrer cette faculté.
2. L’Onu n’est pas un super-Etat mondial supérieur aux gouvernements nationaux (une fédération dotée de pouvoirs régaliens), mais une association d’Etats souverains (un « concert d’Etats », pour reprendre l’expression qui avait cours au XIXe siècle) qui conservent toute latitude de tenir compte ou non de ses principes ou de ses résolutions, et plus encore de rester en son sein ou de la quitter. Aucun Etat n’a transféré ou délégué une partie de sa souveraineté à l’Onu.
3. S’il est vrai que les Etats membres de l’Onu s’engagent, en adhérant à cette organisation, à tenir compte de ses principes ou de ses résolutions, ce n’est là qu’une intention et non une obligation. Dans les faits, de nombreux Etats membres ignorent des textes fondamentaux tels que la Charte des Nations Unies ou la Charte universelle des droits de l’homme, ou de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale ou du Conseil de Sécurité, sous les prétextes les plus divers.
4. Si l’Onu était un super-Etat mondial, ce qu’il n’est pas, ses décisions ne constitueraient pas, à elles seules, le droit international. Du moins dans le cadre de ce que l’on appelle « l’Etat de droit » (« the Rule of the Law »). Le principe même de l’Etat de droit est en effet que le droit ne se réduit pas au « droit positif », c’est à dire à la somme des décisions prises par les pouvoirs exécutifs ou législatifs, mais doit être conforme à des règles morales transcendantes d’une part, et à un ensemble de précédents, de jurisprudences et d’usages coutumiers d’autre part.
5. La seule valeur des résolutions et autres décisions de l’Onu est d’attester d’un consensus entre les Etats membres, et plus particulièrement entre les plus puissants d’entre eux – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité -, en vue d’une politique commune sur un problème donné.
6. Selon la Charte de l’Onu, les résolutions de l’Assemblée générale de l’Onu ne revêtent aucun caractère contraignant. Celles du Conseil de sécurité sont tenues pour contraignantes si elles sont adoptées par tous les membres permanents du Conseil. Si un seul membre permanent oppose son veto, elles ne sont pas adoptées.
7. Même quand elles revêtent un caractère contraignant, les résolutions du Conseil de sécurité ne peuvent être appliquées que par l’intermédiaire des Etats souverains membres de l’Onu, à commencer par les cinq membres permanent du Conseil, agissant en tant qu’Etats souverains.
8. La Charte des Nations Unies distingue à cet égard entre les résolutions ordinaires du Conseil de sécurité, prises dans le cadre du Chapitre VI, qui tendent à la résolution pacifique d’un conflit, et les résolutions extraordinaires, prises dans le cadre du Chapitre VII, qui tendent à prévenir « une menace grave contre la paix » à travers des sanctions ou des opérations militaires.
9. A ce jour, le statut de Jérusalem a fait l’objet de quinze résolutions du Conseil de sécurité prises dans le cadre du Chapitre VI, condamnant tel ou tel autre aspect de la politique israélienne à Jérusalem. Aucune n’a été prise dans le cadre du Chapitre VII.
10. La plupart des résolutions prises à l’encontre d’Israël dans le cadre du Chapitre VI ne font que reprendre de manière routinière ou dilatoire des résolutions antérieures du Conseil, qui elles mêmes reprenaient, de manière non moins routinière ou dilatoire, des résolutions non contraignantes de l’Assemblée générale. Toutes les résolutions du Conseil de sécurité portant sur Jérusalem procèdent de la résolution 252 du 21 mai 1968, qui se fonde elle-même sur la résolution non contraignante 303 (IV) de l’Assemblée générale du 9 décembre 1949.
11. Une internationalisation temporaire de Jérusalem avait été prévue par un plan de partition de la Palestine approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 novembre 1947 : mais (a) ce plan n’avait pas de caractère contraignant puisqu’il n’avait été ratifié que par l’Assemblée générale de l’Onu, et non par le Conseil de sécurité ; (b) ce plan, ayant été accepté par Israël mais rejeté par les pays arabes, n’avait jamais reçu la moindre exécution et était donc nul et non avenu à la suite de la guerre israélo-arabe de 1948 ; (c) on en était donc revenu de jure, à l’issue de cette guerre, au statu quo ante, selon lequel la Palestine, devenue Etat d’Israël, était un Foyer national juif et Jérusalem sa capitale, sauf à aménager un nouveau statut de facto à partir des cessez-le-feu passés début 1949 entre Israël et ses voisins.
12. En contradiction avec le droit international et en dépit des réalités sur le terrain créées par le cessez-le-feu israélo-jordanien de janvier 1949, notamment le partage de Jérusalem entre un secteur israélien (« Jérusalem-Ouest ») et un secteur jordanien (« Jérusalem-Est »), la résolution 303 (IV) de l’Assemblée générale avait cependant prétendu maintenir à Jérusalem le régime international prévu par le plan, désormais nul et non-avenu, de 1947.
13. Cette résolution avait été initiée par la diplomatie du Saint-Siège afin de préserver les intérêts de l’Eglise catholique dans la Ville Sainte et aux alentours. En fait, si une encyclique du 24 octobre 1948, In Multiplicibus Curis – antérieure au cessez-le-feu israélo-jordanien – avait jugé « convenable » un « régime international juridiquement établi et garanti par le droit international » pour « Jérusalem et ses environs », une seconde encyclique, datée du 15 avril 1949, Redemptoris Nostri – postérieure au cessez-le-feu -, ne réclamait plus qu’un « régime établi et garanti par le droit international », qui pouvait donc faire l’économie d’une tutelle internationale directe. Mais quelques mois plus tard, le Saint-Siège avait décidé précipitamment de revenir à l’idée d’une internationalisation, moins par défiance envers Israël qu’envers la Jordanie : la plupart des lieux saints chrétiens et des communautés chrétiennes se situaient désormais sous l’autorité de ce pays musulman, à « Jérusalem-Est ».
14. A cette fin, les diplomates du Saint-Siège avaient réuni une coalition contre-nature : la plupart des pays catholiques, y compris la France ; la plupart des pays musulmans, qui voyaient dans cette résolution un moyen de contester la présence israélienne à « Jérusalem-Ouest » (1) ; et la plupart des pays communistes, qui suivaient à la lettre les instructions de Staline (2). Soit 38 pays sur 59. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni et douze autres pays s’opposèrent à la résolution 303 (IV) ; sept s’abstinrent.
15. La diplomatie du Saint-Siège avait remporté un succès tactique ; mais sur le fond, l’opération fut un fiasco. Non seulement l’internationalisation de Jérusalem resta lettre morte, comme on avait pu s’y attendre, mais de plus les droits des Eglises furent ignorés et bafoués par les autorités jordaniennes à « Jérusalem-Est », et la population chrétienne locale passa de 25 000 âmes en 1949 à moins de 13 000 âmes en 1967. C’est seulement sous le régime israélien, après la guerre des Six Jours, et dans le cadre d’une Jérusalem réunifiée, que les droits des Eglises ont été rétablis et que l’exode chrétien a été enrayé.
16. L’élargissement constant des Nations Unies au cours des décennies suivantes et l’admission au sein de cette organisation d’Etats de moins en moins démocratiques ou de moins en moins fonctionnels a conduit à la mise en place de « majorités automatiques » votant de façon répétitive des résolutions anti-israéliennes dépourvues, comme la résolution 303 (IV), de tout fondement juridique ou factuel, ou reprenant sans cesse des résolutions antérieures de ce type.
17. Les Etats-Unis ont le plus souvent contrecarré les résolutions votées par des « majorités automatiques » à l’Assemblée générale en opposant leur veto à des résolutions analogues présentées au Conseil de Sécurité. Par contre, les autres Etats démocratiques ont eu de plus en plus tendance à se rallier aux résolutions anti-israéliennes votées par les « majorités automatiques » à l’Assemblée, ou présentées au Conseil, soit par choix stratégique délibéré, notamment dans le cas de la France depuis l’adoption en 1967 d’une « politique arabe », soit par manque de vigilance et de réflexion quant au contenu réel de ces résolutions ou à la pertinence des précédents ou sources qu’elles citaient.
18. Ce phénomène s’est accentué avec le développement d’une prétendue « politique étrangère et de sécurité commune » de l’Union européenne (PESC), impliquant un second automatisme, l’alignement censément obligatoire des divers pays membres de l’Union européenne sur des positions « moyennes ».
19. Dans quelques cas très rares, les Etats-Unis ont laissé passer eux aussi des résolutions anti-israéliennes au Conseil de Sécurité, en s’abstenant de leur opposer leur veto : soit dans un esprit dilatoire, pour ne pas être contraints de redéfinir ou d’expliciter leur position, soit pour exercer une pression diplomatique sur Israël (3).
20. Le Conseil de sécurité a ainsi pu voter le 21 mai 1962, grâce à une abstention américaine, la résolution 252, qui a octroyé une apparence de validité à la résolution 303 (IV) de l’Assemblée générale : en contradiction, une fois encore, avec le droit international, mais aussi avec les nouvelles réalités sur le terrain créées par la guerre de 1967 et un nouveau cessez-le-feu israélo-jordanien. De manière plus kafkaïenne encore, les instances des Nations Unies en sont venues à se fonder sur cette résolution, dont l’objet même était de contester la validité de jure de la division de Jérusalem entre deux Etats, pour présenter la ligne de démarcation des années 1949-1967 comme une « frontière internationale ».
21. En conclusion, les assertions de divers gouvernements ou chancelleries selon lesquelles Jérusalem ne pourrait être la capitale d’Israël vont à l’encontre de toutes les notions du droit international. Elles doivent être tenues comme des actes hostiles envers l’Etat d’Israël, et accessoirement comme des initiatives pouvant porter préjudice aux intérêts du monde chrétien à Jérusalem. En refusant de continuer à leur accorder le moindre crédit, les Etats-Unis servent le droit – et la paix.
22. Il en va de même des assertions de divers gouvernements ou chancelleries selon lesquelles, en vertu des accords d’Oslo, un Etat de Palestine aurait désormais sur Jérusalem ou sur une partie de Jérusalem des droits égaux ou supérieurs à ceux d’Israël. Les accords d’Oslo de 1993 n’ont pas créé un Etat souverain de Palestine, mais une Autorité palestinienne autonome au sein d’un espace relevant d’Israël quel que soit l’angle considéré, de jure ou de facto. Cette Autorité n’a pas rempli ses obligations vis à vis des Eglises et communautés chrétiennes, là où elle en avait : notamment à Bethléem, où la population chrétienne est passée de 85 % en 1994 à 20 % en 2018. Les assertions sur des droits du prétendu Etat de Palestine constituent donc, elles aussi, des violations du droit international, des actes hostiles envers l’Etat d’Israël et des initiatives pouvant porter préjudice au monde chrétien. En refusant de continuer à leur accorder actuellement le moindre crédit, sans préjuger d’un éventuel accord ultérieurement négocié entre Israël et l’Autorité palestinienne, les Etats-Unis servent le droit – et la paix.
23. Dans la mesure où ils traitent de jure avec un gouvernement israélien siégeant à Jérusalem, où leurs ambassadeurs présentent leurs lettres de créance à Jérusalem, où leurs chefs d’Etat ou de gouvernement effectuent des visites officielles à Jérusalem et prononcent des discours à la Knesseth siégeant à Jérusalem, les pays ayant des relations diplomatiques avec Israël reconnaissent déjà Jérusalem comme la capitale d’Israël. Il y a lieu d’estimer que cette reconnaissance, corollaire de la reconnaissance de jure de l’Etat d’Israël, est elle-même de jure. Mais si l’on veut considérer ne s’agit que d’une reconnaissance de facto, on doit se plier à un principe fondamental du droit international, selon lequel reconnaissance de facto vaut reconnaissance de jure (4). Les Etats entretenant des relations diplomatiques de jure avec Israël peuvent installer où bon leur semble leur ambassade auprès de cet Etat (et où celui-ci leur permet de l’installer), mais ne peuvent s’opposer à ce que l’un d’entre eux l’installe à Jérusalem. En prétendant que ce n’est pas le cas, ils encouragent les pays qui se donnent explicitement pour but de détruire l’Etat juif ou de nier ses droits sur Jérusalem à persévérer dans leur politique, et commettent donc, délibérément ou non, une faute grave contre le droit – et la paix.
Notes
(1) Sauf la Turquie, qui tenait alors à se présenter comme un Etat totalement laïque, afin d’adhérer aux institutions européennes et à l’Otan, et garantir ainsi sa sécurité face à l’URSS.
(2) Le régime soviétique avait toujours été hostile au sionisme. Il soutint pourtant tactiquement la création d’Israël en 1947-1948, afin de porter atteinte aux intérêts britanniques au Moyen-Orient. Dès 1949, il était revenu à son antisionisme traditionnel, d’autant plus que Staline avait déclenché, au sein de l’URSS et des pays satellisés, une purge anti-juive à grande échelle. La Yougoslavie de Tito, qui avait voté contre la création d’Israël en 1947 pour se démarquer de l’URSS, vota contre la résolution 303 (IV) en 1949 pour la même raison. Après la conférence de Bandoeng, elle s’aligna définitivement sur les positions nationalistes arabes.
(3) C’est le cas, notamment, de la résolution 2334 du 23 décembre 2016, où l’administration Obama s’abstint au lieu d’exercer son veto.
(4) Sir Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law, Cambridge University Press, 1947, Chapter XIX.
© Michel Gurfinkiel, 2018