LES HUGUENOTS EN FRANCE
ET LEURS TRIBULATIONS
Partie 2
Le parti catholique se trouva renforcé du fait que le roi Antoine de Navarre, qui passait jusqu’alors pour un des soutiens des huguenots, prenant part à la somptueuse procession qui se rendait tous les ans le dimanche des Rameaux de l’église Sainte-Geneviève à Notre-Dame, fit solennellement retour à l’Église catholique. Dans la première guerre de religion qui éclata alors, les huguenots eurent à leur tête le prince de Condé, de la famille des Bourbons, et sous ses ordres l’amiral Coligny qui fut dans la lutte le vrai chef. Bien que ce dernier ne pût se dissimuler, à la nouvelle de Vassy, que cet événement isolé, qui causa en France la plus grande agitation, fut le signal d’autres conflits sanglants, il hésita longtemps à prendre part lui-même à la lutte qui allait se déchaîner. La pensée d’une guerre civile lui faisait horreur. L’inégalité des partis et le petit nombre des combattants du côté huguenot le faisaient douter de l’issue de la lutte, tandis que ses amis le pressaient de s’unir à Condé et de prendre fait et cause pour les huguenots. En proie à cette lutte intérieure et ne pouvant prendre une décision, il fut réveillé une nuit par les sanglots de sa femme. Comme il lui demandait la cause de ses larmes, elle lui dit qu’elle pleurait sur la situation désespérée de ses coreligionnaires et sur l’abandon où il les laissait. Il lui représenta qu’en s’unissant aux huguenots il compromettait leur propre avenir, qu’elle devait se préparer si l’affaire tournait mal à vivre exilée à l’étranger, qu’elle-même et ses enfants subiraient la honte, la détresse et la faim, que peut-être même elle périrait de la main du bourreau. Il lui demanda si elle pouvait supporter tout cela et la pria de réfléchir pendant trois semaines, sur quoi l’épouse répondit : « Ces trois semaines sont déjà passées. Jamais tu ne seras vaincu par la force de tes ennemis ; use de la tienne et ne fais pas retomber sur ta tête le sang de ceux qui peuvent mourir pendant trois semaines ». Cette courageuse attitude de son épouse fit mûrir chez l’amiral la décision de monter à cheval dès le lendemain et d’aller retrouver Condé. Il le rencontra à Meaux où, de jour en jour, de nouvelles bandes se joignaient à lui, de sorte qu’en peu de jours il disposa de 500 hommes à pied et de plus de 1500 cavaliers. Dans le conseil que tinrent Condé et Coligny, ils tombèrent d’accord qu’il importait avant tout de libérer le roi de la puissance des Guises qui avaient accaparé le gouvernement. Parmi les huguenots, beaucoup voulaient qu’on allât tout droit à Fontainebleau où le roi se trouvait avec sa cour. Mais la majorité s’opposa à ce qu’on accomplît un pareil coup de main sans l’assentiment de la reine Catherine ; on savait en effet qu’à l’encontre des Guises elle voulait, pour éviter la guerre civile, qu’on accordât aux huguenots la tolérance promise. On renonça donc à marcher sur Fontainebleau tandis que les Guises s’y rendaient avec une forte escorte pour garder le roi en leur pouvoir. L’armée des huguenots se dirigea sur Orléans. Les combattants ne manquaient pas. Quinze jours ne s’étaient pas écoulés que 14 000 cavaliers appartenant pour la plupart à des familles considérables étaient réunis à Orléans. Mais le manque d’argent ne s’en faisait que plus sentir. Les adversaires espéraient surtout que Condé ne pourrait tenir longtemps. Tandis que l’armée des huguenots campait devant Orléans et que la partie adverse s’armait en enrôlant des troupes et en essayant de nouer des relations avec l’étranger, la nouvelle d’un nouveau massacre souleva la terreur et l’indignation. À Sens, siège archiépiscopal du cardinal de Guise, les protestants étaient exposés à l’occasion de leurs offices à toutes sortes de désordres et de mauvais traitements sans que leurs plaintes fussent entendues du roi. Bien que le chef de la paroisse de Sens ait mis son prédicateur en sûreté en lui procurant au-dehors un refuge, et que par suite la célébration des offices ait cessé, la foule excitée par le sermon du moine Jacobin démolit la maison où se réunissaient les réformés et les édifices avoisinants. Les huguenots furent assaillis dans leurs maisons et massacrés. En trois jours, 80 à 100 maisons furent pillées et autant de huguenots de toutes conditions furent tués. Des atrocités semblables commises en d’autres lieux accrurent l’irritation des huguenots qui, de leur côté, se vengèrent là où ils le purent par des actes de violence. Dans beaucoup d’endroits, les statues furent démolies, les églises détruites, les moines et les ecclésiastiques chassés. Non seulement Condé, mais Calvin à Genève, protestèrent énergiquement contre ces excès. Il serait trop long de suivre en détail les mouvements des armées. Mais tandis qu’un long espace de temps s’écoula presque sans combats, des effusions de sang et des débordements de toutes sortes se produisirent des deux côtés en province dans beaucoup d’endroits pendant cette première guerre de religion. Excité par les moines et les prêtres, le bas peuple des villes et des campagnes, avide de pillage et de meurtre, se jeta sur les hérétiques. D’autre part, les bandes huguenotes se précipitèrent en chantant des psaumes, en récitant des versets de l’Ancien Testament sur les crucifix, les images, les reliques, les vases sacrés qui étaient pour eux des signes et des manifestations de l’idolâtrie. Tout ce que vénéraient les catholiques fut détruit. Tandis que Condé et Coligny, comme plus tard Gustave Adolphe dans son armée, faisaient régner une sévère discipline, les bandes de partisans ravageaient les provinces avec une licence qui ne connaissait pas de frein.
Lorsqu’enfin les deux armées se mesurèrent le 19 décembre 1562 près de Dreux en batailles rangées, les huguenots, inférieurs de près de moitié aux troupes du roi et qui avaient d’abord eu le succès, subirent une grave défaite. Condé lui-même fut fait prisonnier, mais le chef de l’adversaire, le connétable de Bourgogne, subit le même sort. Après une lutte meurtrière, plus de 5000 cadavres couvrirent le champ de bataille.
Tandis que Coligny, à la suite de la bataille de Dreux, entreprenait une expédition en Normandie et, avec l’aide des huguenots, s’emparait de plusieurs villes, François de Guise alla mettre le siège devant Orléans. Il était déjà sur le point de livrer l’assaut lorsque, le 8 février 1563, en revenant de visiter les fortifications, il fut atteint d’un coup de feu tiré par un huguenot du nom de Poltrot, caché en embuscade. Peu de jours après, le duc mourut de sa blessure soignée par d’inhabiles médecins. Coligny fut soupçonné d’avoir été l’instigateur du meurtre. Dans une solennelle déclaration qu’il fit répandre par écrit, il se défendit de cette accusation et assura publiquement qu’il n’avait, ni directement ni indirectement, eu aucune relation avec Poltrot et l’avait seulement employé occasionnellement comme espion. Coligny fut néanmoins mis plus tard en accusation pour avoir soudoyé le meurtrier du duc de Guise. L’enquête ne put établir sa culpabilité. Poltrot fut condamné à mort et exécuté après avoir subi la torture.
Pour exécrable que soit cet assassinat de la main d’un huguenot fanatique, la mort du duc de Guise écartait le principal obstacle à un accommodement entre les deux partis et à la conclusion de la paix. À la suite des négociations entamées à l’instigation de la régente Catherine de Médicis, cette première guerre de religion se termina le 19 mars 1563 par l’édit d’Amboise. Cet édit assurait aux huguenots les concessions qui leur avaient été faites par l’édit de Saint-Germain. On leur accordait le droit de célébrer le culte à l’intérieur de quelques villes et la noblesse protestante pouvait sans exception la pratiquer dans les châteaux. La paix d’Amboise rétablit pendant quatre années la paix dans le pays. Une entrevue qu’eurent en 1564 le roi Charles IX déclaré majeur et Catherine sa mère avec le roi d’Espagne et le duc d’Albe et au cours de laquelle les Espagnols réclamèrent la répression énergique de l’hérésie, suscita la méfiance et les légitimes appréhensions des huguenots. La nouvelle des événements qui s’étaient produits aux Pays-Bas où le duc d’Albe appliquait aux protestants les mesures les plus cruelles ne fit qu’accroître cette inquiétude. Les huguenots n’ignoraient pas que le duc d’Albe était en rapport avec les Guises ; ils se voyaient par-là exposés aux mêmes dangers que leurs coreligionnaires néerlandais. De plus, les libertés accordées aux huguenots par l’édit d’Amboise étaient sujettes en beaucoup d’endroits à des restrictions. Par ces raisons, les huguenots s’armèrent de nouveau. L’arrestation d’Egmont et de Horn, le 9 septembre 1569, fut le signal de la deuxième guerre de religion. Persuadés que le protestantisme en France était également menacé de mort si l’on n’agissait promptement, les huguenots se soulevèrent le même jour, 27 septembre 1567, sur un mot d’ordre qu’ils s’étaient secrètement donné. Avec une armée bien équipée, ils parurent devant Meaux pour parer le coup qu’on voulait leur porter. Une rencontre de l’armée huguenote avec les troupes royales aux environs de Saint-Denis fut défavorable aux protestants. Mais la partie adverse subit également des pertes sensibles et les huguenots furent secourus d’Allemagne par le zélé comte palatin Jean Casimir à la tête de huit à dix mille hommes de cavalerie et d’infanterie. Dans ces conditions, le gouvernement se décida à nouveau à négocier. La paix de Longjumeau, conclue le 28 mars 1568, mit promptement fin à cette seconde guerre de religion. Les concessions faites aux réformés par la paix d’Amboise leur furent à nouveau garanties. Les nobles qui avaient le droit de célébrer le culte sur leurs domaines furent expressément autorisés à y admettre des étrangers. On promit l’impunité aux chefs et à ceux qui avaient pris part à la guerre. Par contre, cette paix obligeait les huguenots à déposer les armes, à congédier leurs troupes et à restituer les places occupées, mais là encore on ajouta cette clause équivoque que l’édit qui accordait aux huguenots les concessions en question devait être inviolable « jusqu’à ce que Dieu accordât au roi la grâce de réunir ses sujets dans une même religion ». La paix fut néanmoins accueillie avec joie dans le camp protestant. Désireux de retrouver femmes et enfants, beaucoup n’avaient pas attendu la fin de la guerre, et des compagnies entières étaient rentrées au pays avant même d’avoir été congédiées. La liberté religieuse paraissait de nouveaux garantie et même étendue. Les chefs des huguenots, Condé et Coligny, regagnèrent eux-mêmes leurs foyers.
On vit bientôt que cette paix était trompeuse. Elle causa du côté catholique un vif mécontentement et le gouvernement rencontra, lors de l’application, les plus grosses difficultés. Des mesures furent prises qui entraînèrent bientôt la rupture de la paix. Tandis que les huguenots congédiaient les troupes à leur solde et regagnaient leurs foyers, la cour garda sous les armes les troupes qu’elle avait enrôlées et les plaça dans les différentes villes de province sous le prétexte qu’avant de désarmer, l’autorité du roi et le calme devait être rétablis dans le pays. Sur l’ordre de Condé, la plupart des villes huguenotes ouvrirent leurs portes aux troupes royales. Les hommes furent cantonnés chez l’habitant et les chefs, ainsi que les soldats, firent en sorte que les huguenots détestés eussent à supporter les plus lourdes charges. Il en résulta des plaintes et des querelles au cours desquelles, dans différentes villes, des centaines de réformés furent massacrés dans les rues. Les huguenots de retour se virent livrés à l’arbitraire des fonctionnaires et de la multitude excitée par la fureur des moines. Beaucoup furent tués, d’autres eurent leurs maisons pillées et démolies. Des milliers de fugitifs erraient dans les bois et les campagnes. Aux mauvais traitements et aux massacres dans les villes s’ajoutèrent les battues dans les campagnes et à travers champs. Les trois premiers mois de cette soi-disant paix coûtèrent aux protestants beaucoup plus de vies humaines que toute la durée de la guerre qu’ils venaient de traverser. En raison de ces violences des troupes royales auxquelles les autorités n’essayèrent même pas de s’opposer, plusieurs villes tinrent leurs portes fermées et se refusèrent à recevoir les garnisons royales. Parmi ces villes se trouvait l’importante place de La Rochelle. Les protestants apprirent qu’à l’instigation des Guises on préparait contre eux de nouvelles mesures. Le cardinal de Lorraine et son parti avaient repris sur le jeune roi, âgé de 18 ans, une influence décisive. De plus, le pape ainsi que l’Espagne réclamaient de nouvelles poursuites contre les protestants. La reine Catherine, qui avait, au moins en apparence, essayé jusqu’ici de remplir le rôle de médiatrice, convint avec le cardinal de Lorraine qu’il fallait porter en France un coup décisif aux protestants. A cet effet, on envisagea la possibilité de s’assurer des chefs huguenots, Condé, Coligny et quelques autres. Lorsqu’on aurait ceux-ci en sa puissance, on comptait trouver sûrement des juges prêts à les rendre à tout jamais inoffensifs. Une fois que les huguenots seraient privés de leurs chefs, on pouvait espérer qu’il serait facile aux troupes tenues prêtes de tous côtés de les écraser et, comme le disait la bulle du pape qui incitait à la lutte, « de châtier les rebelles ou de les convertir à la vraie foi ». Par suite d’une indiscrétion, Condé apprit à temps l’attentat qu’on projetait contre lui et contre Coligny. Ils devaient être surpris dans leur refuge et emmenés. Pour exécuter ce coup de main, on tenait des troupes prêtes aux environs de Noyon, lieu où ils séjournaient. A la nouvelle du péril qui le menaçait, Condé écrivit au roi se plaignant des violations du traité et affirmant devant Dieu que lui et ses compagnons ne voulaient que s’opposer aux pernicieux conseils du cardinal de Lorraine et de ses partisans qui étaient la vraie cause des calamités qui menaçaient le pays et la couronne et mettaient en péril l’ordre, le repos et la paix de l’État. Après l’envoi de cette lettre, Condé, Coligny et leurs familles quittèrent Noyon menacé pour se réfugier à la Rochelle. Les deux chefs huguenots se mirent en route le 25 août 1568 avec un long cortège de personnes sans défense. La femme de Condé était proche de ses couches. Cent cinquante hommes armés leur servaient d’escorte. Mais avant même d’atteindre la Loire, ils furent renforcés par des gentilshommes qui se joignirent à eux. Ils avaient à peine traversé le fleuve à gué qu’un détachement parut sur l’autre rive. Durant la nuit, les eaux montèrent à tel point qu’on dut abandonner la poursuite. Les huguenots reçurent de nouveaux renforts et, le 19 septembre, Condé put faire son entrée à La Rochelle à la tête d’une troupe considérable. La reine Jeanne de Navarre, qui jouera désormais un rôle important dans la lutte des huguenots pour la liberté, se joignit à lui. Elle était fille unique du roi titulaire de Navarre et de Béarn, Henri II, et d’une sœur de François Ier, Marguerite de France. En 1540, dès l’âge de 12 ans, elle épousa le duc Guillaume de Juliers, Clèves, Berg. Ce mariage fut plus tard annulé. Mais il préserva Jeanne de devenir l’épouse du roi Philippe II d’Espagne avec qui Charles Quint voulait la marier pour mettre fin à la querelle occasionnée entre la France et l’Espagne par la question de Navarre.
A l’âge de 20 ans, Jeanne épousa le duc de Vendôme, Antoine de Bourbon. De ce mariage naquit un fils qui fut plus tard le roi Henri IV. Son père étant mort en 1555, Jeanne devint reine, et son époux Antoine roi de Navarre. Il ne régna, il est vrai, que sur une petite partie du royaume, l’Espagne ayant entre-temps pris possession de la Haute-Navarre. Son époux, qui s’était rallié avant elle au calvinisme, faible et sans caractère, se laissa gagner par la cour et revint à l’Église romaine. Elle-même resta la protectrice énergique et résolue du protestantisme en France. Antoine étant mort, le 17 novembre 1562, des suites d’une blessure qu’il reçut au siège de Rouen, Jeanne assura le triomphe du calvinisme dans le Béarn. Elle chassa les prêtres catholiques et, avec le consentement des Etats, interdit le catholicisme dans le pays. Ce fut en vain que le parti catholique français appuyé par l’Espagne essaya, à l’instigation de Pie IV, de s’emparer de Jeanne et de ses enfants. Si le plan avait réussi, Jeanne aurait pu s’attendre au bûcher. Mais la cour de France protesta elle-même contre les prétentions du pape de faire venir Jeanne à Rome pour se justifier.
Jeanne, s’étant jointe à La Rochelle au prince de Condé et à Coligny amenant aux huguenots une armée de quatre à cinq mille soldats, prit avec son fils une part énergique à la troisième guerre de religion. La réponse du roi à la plainte adressée par Condé et ses compagnons fut un rejet si catégorique que les huguenots n’eurent d’autre alternative que d’avoir encore une fois recours aux armes. Des deux côtés on se prépara à la guerre. Celle-ci eut le caractère d’une vraie guerre de religion du fait que toutes les concessions accordées aux protestants furent révoquées sous prétexte d’insubordination de leur part. Un édit signé du roi interdit pour toujours sous peine de mort et de confiscation la célébration de tout culte non catholique. Il fut ordonné à tous les pasteurs protestants de quitter la France dans les 15 jours. A la suite de cet édit qui souleva chez les huguenots la plus vive indignation, l’armée huguenote atteignit en peu de temps le chiffre de 26 000 fantassins et 6000 cavaliers. L’approche de l’hiver obligea d’abord à retarder les hostilités, mais dès le printemps les deux armées se préparèrent à entrer en campagne. En mars 1569 eut lieu sur les bords de la Charente la bataille de Jarnac. Condé fut fait prisonnier et, malgré la parole donnée par les officiers ennemis de lui accorder la vie sauve, il fut tué par derrière d’un coup de pistolet donné par un officier de la garde suisse. La mort du prince fut un rude coup pour les protestants. Le corps de Condé fut lié sur une ânesse et amené devant le duc d’Anjou, chef de l’armée ennemie qui osa encore railler son ennemi mort. Cependant on finit par remettre le corps au duc de Longueville, beau-frère de Condé, qui le fit ensevelir à Vendôme dans le tombeau de famille. « Telle fut, écrit un contemporain, la fin de Louis de Bourbon-Condé, prince éminent par la grandeur d’âme et la virilité plus encore que par l’éclat de sa naissance, et qui se montra par piété entièrement dévoué à la religion qu’il professait. »
Bien qu’après la défaite de Jarnac les chefs des huguenots se déclarassent prêts à négocier la paix, la cour, forte de la supériorité numérique de l’armée d’Anjou, déclina tout accommodement. Au contraire, pour apaiser le peuple de Paris qui commençait à se fatiguer des contributions, on continua d’exécuter les huguenots de marque. C’est ainsi que deux riches négociants, Philippe et Richard Gastines et le riche Nicolas Croquet furent condamnés à être pendus pour avoir célébré chez eux en cachette le culte protestant. Le roi exigeait des protestants une soumission complète et sans conditions, tandis que ceux-ci ne voulaient déposer les armes que contre la promesse d’une liberté religieuse absolue. La guerre se poursuivit donc assez longtemps jusqu’à ce que la fatigue et le désir de paix se fissent également sentir du côté catholique. On crut d’abord pouvoir offrir aux huguenots la paix à des conditions dérisoires. On leur promit l’impunité, la restitution aux princes et aux gentilshommes de leurs biens et de leur dignité, la liberté de conscience dans leurs foyers, mais on leur refusait les prédicateurs et l’exercice du culte. Sur quoi, les délégués huguenots réunis à Angers pour négocier la paix refusèrent de continuer les pourparlers. A la longue, le roi consentit à offrir aux huguenots des conditions plus acceptables. On leur concéda trois places de sûreté : La Rochelle, Santières et Montauban. L’exercice de la religion leur était accordé dans 24 villes. Les nobles et leurs vassaux obtinrent la liberté religieuse dans leurs châteaux. Les intrigues de la cour contribuèrent à incliner le roi vers la paix. De plus, Charles IX s’était fiancé à Élisabeth d’Autriche, seconde fille de l’empereur Maximilien. Ce prince tolérant et pacifique ne voulait pas envoyer sa fille dans un pays déchiré par la guerre civile. Le désir de paix que manifestait le roi contribua à l’éloignement des Guises. Le cardinal de Lorraine perdit de son influence, et les Guises, cessant d’être les maîtres, ne voulurent plus rester à la cour. Après l’échec des négociations d’Angers, de nouveaux pourparlers s’ouvrirent à Saint-Étienne pendant lesquels les hostilités continuèrent. Enfin un armistice fut conclu, le 14 juillet 1570, et suivi le 8 août de la paix de Saint-Germain-en-Laye. Les réformés y obtinrent la liberté de conscience absolue. Les nobles avaient dans tous les domaines où ils exerçaient la haute juridiction, pour eux, leurs familles et leurs vassaux, le droit de célébrer dans leur château le culte réformé et d’y inviter des étrangers. Dans chaque gouvernement, deux localités étaient désignées aux communautés réformées. De plus, le culte protestant devait être autorisé dans toutes les villes où il avait été célébré le 1er août. Il n’était interdit qu’à la cour et à deux lieues aux alentours. Jeanne et les princes étaient traités en parents, les huguenots de toutes conditions en serviteurs, et les alliés étrangers en ami. Les huguenots furent déclarés aptes à toutes les fonctions publiques. On leur promit de ne pas les imposer plus que les catholiques. Par contre, ils s’obligeaient à renoncer à toute alliance à l’intérieur et à l’extérieur, à ne plus prélever d’impôts sans l’autorisation du roi, à ne plus lever de troupes, à s’abstenir de toute réunion non publique en armes. En garantie de l’exécution du traité, les huguenots reçurent les quatre villes de La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité, à charge de les remettre au roi après un délai de deux ans.
Mais ce qui rendait la paix de Saint-Germain plus importante que ces concessions, c’était que l’influence jusqu’ici prédominante des Guises se trouvait brisée et qu’en même temps cessait la gérance pernicieuse du roi d’Espagne, Philippe II, dans les affaires de la France. C’était les intrigues et les menaces de Philippe II qui avait entraîné Charles IX et sa cour à prendre contre les huguenots des mesures qui avaient allumé la guerre civile. Mais en même temps que Philippe, le siège apostolique poussait sans cesse à la persécution des hérétiques. Le titulaire du siège apostolique, Pie V, qualifiait la paix conclue de déshonorante et il obligeait les cardinaux de Bourbon et de Lorraine à une lutte sans merci contre les hérétiques. Après la conclusion de la paix, les huguenots demeurèrent exposés à maintes persécutions de la part de la populace catholique excitée. Ce fut le cas en particulier dans le comté d’Orange, où, par suite de la paix, la souveraineté de Guillaume de Nassau avait été restaurée. Aidé de quelques bandes de soldats venus du comtat Venaissin, fief du pape, qui entrèrent de nuit dans le pays d’Orange, le peuple assaillit et massacra des protestants sans défense, pilla et brûla sans pitié pendant plusieurs jours. Les protestants, ayant obtenu l’autorisation de célébrer le culte dans le voisinage de Rouen, furent assaillis au retour de l’office, en partie massacrés, pillés, blessés et chassés.
Sur les plaintes des huguenots, le roi Charles promit de les protéger contre ces excès et de punir les coupables, mais la plupart de ceux-ci avaient eu le temps de se soustraire au châtiment par la fuite.
Un an après la conclusion de la paix de Saint-Germain, Coligny, qui avait pris confiance dans la bonne volonté du roi de maintenir la paix, se rendit à la cour et, sur ses conseils, la reine Jeanne de Navarre se décida à imiter son exemple. Coligny fut reçu par le roi avec tous les honneurs et réussit bientôt à exercer sur lui une influence prépondérante. Pour sceller la réconciliation amenée par la paix de Saint-Germain, la reine-mère Catherine avait repris son ancien projet de marier sa fille Marguerite au fils de Jeanne, Henri de Navarre. Après avoir surmonté maints obstacles et maintes difficultés, et malgré les efforts du parti des Guises uni à Philippe II d’Espagne pour empêcher la réalisation de ce projet, le contrat fut conclu le 11 avril 1572. Le pape, il est vrai, refusa la dispense nécessaire à cause de la parenté. Charles IX persista néanmoins dans ce projet de mariage qu’il jugeait nécessaire à l’apaisement du pays. Mécontent du refus du pape, il dit un jour à la reine de Navarre : « Ma chère tante, je vous honore plus que les papes et j’aime ma sœur plus que je ne le crains. Je ne suis pas huguenot, mais je ne suis pas un niais, et si le pape veut pousser plus loin sa sottise, je prendrai Margot par la main et la mènerai à l’église en plein sermon ».
Les préparatifs du mariage étaient en train de se faire, lorsque la reine Jeanne, mère du fiancé, fut enlevée par une mort subite. Elle était venue à Paris en juillet 1572 pour la célébration du mariage. Elle tomba gravement malade, le 4 juin, et succomba au bout de peu de jours, le 9 juin. Pleine de courage et de soumission à la volonté de Dieu, elle eut soin avant de mourir d’assurer par testament le maintien de la Réforme qu’elle avait introduite dans son pays. Après sa mort, son fils Henri prit le titre de roi de Navarre. Mais la cérémonie du mariage dut être reculée à cause du deuil. Avant la célébration, la reine-mère Catherine, jalouse de l’influence croissante de Coligny, sut éveiller la méfiance du roi contre l’amiral. Tandis que Coligny préconisait la guerre avec l’Espagne et l’appui des Pays-Bas révoltés, le parti catholique, auquel Catherine s’était jointe, faisait tout son possible pour empêcher cette guerre. Coligny, persuadé que la guerre étrangère était le seul moyen d’éviter une nouvelle guerre civile, pressait le roi de se soustraire à l’influence de sa mère. Le roi, hésitant et manquant de caractère, inclina quelque temps à suivre les conseils de sa mère et à écouter ses avertissements contre les huguenots dont le but était, en suscitant la guerre contre l’Espagne, de parvenir au pouvoir et de précipiter la France dans le malheur. Catherine, en larmes, lui reprocha alors son ingratitude envers elle qui, dans la lutte des partis, avait sauvé sa couronne. Elle menaça enfin, pour échapper aux calamités que Coligny avait fait fondre sur la France, de se retirer en Toscane, son ancienne patrie. Mais, après de courtes hésitations, le roi se laissa guider quelque temps encore par le puissant amiral. Tandis que ces influences contraires se disputaient le monarque, le deuil de la reine Jeanne étant écoulé, le jour du mariage d’Henri et de Marguerite s’approchait. Il avait été fixé au 18 août 1572. La noblesse huguenote, invitée aux solennités, comptait à Paris de nombreux représentants. Le jour fixé, le mariage fut célébré en grande pompe à Notre-Dame par le cardinal de Bourbon. La cérémonie fut suivie durant trois jours de fêtes brillantes, puis, les 22 août, eut lieu un conseil d’État auquel Coligny prit part.
Comme il quittait le Louvre, après avoir liquidé les affaires pour rentrer chez lui à cheval, un coup de feu fut tiré sur lui d’une maison dont les propriétaires étaient partisans des Guises. Il dut à un heureux hasard de n’être blessé qu’à l’index de la main gauche et au bout du bras droit. La tentative de meurtre commise sur leur chef plongea les huguenots dans la stupeur et l’effroi. Deux capitaines qui accompagnaient Coligny vinrent au jeu de paume annoncer au roi la blessure de l’amiral. Le roi Charles quitta le jeu en disant : « N’aurai-je donc jamais la tranquillité ! » Et il alla trouver sa mère. Autour du lit de Coligny, à qui le chirurgien du roi détachait complètement le doigt brisé, se réunirent le roi de Navarre et d’autres chefs huguenots ; même des catholiques lui témoignèrent leur sympathie. Coligny supporta ses douleurs de même que toute sa destinée avec un stoïcisme inébranlable et une pieuse soumission. Comme on lui demandait qui pouvait avoir suscité le crime, il répondit : « Je ne soupçonne personne que le duc de Guise. Mais je ne voudrais pas l’affirmer ». Le roi de Navarre et Condé quittèrent Coligny pour aller trouver le roi. Celui-ci exprima ses regrets et jura ses grands dieux de punir le coupable de la peine la plus sévère. La reine-mère Catherine fit semblant de l’approuver.
A la demande de Coligny qui pria le roi de lui accorder une dernière audience pour lui faire part d’importantes communications avant sa mort probable, Charles se rendit lui-même auprès du blessé. Afin d’écarter les soupçons qui commençaient à se répandre que la tentative de meurtre sur Coligny avait été suscitée par Catherine d’accord avec le duc d’Anjou, frère du roi, ceux-ci accompagnèrent Charles à la demeure de Coligny. Le roi salua Coligny amicalement et exprima l’espoir de le voir promptement rétabli. Coligny lui donna l’assurance de sa soumission jusqu’à la mort et demanda à lui parler seul. Sur un signe du roi, la reine-mère et le duc se retirèrent. Mais, craignant que dans cette conversation secrète Coligny pût influencer le roi d’une façon contraire à ses desseins, la reine-mère pria le roi de remettre la suite de cette conversation à plus tard sous le prétexte qu’une longue entrevue pourrait être nuisible au malade. Lorsque la reine et le duc pressèrent le roi de leur faire part du sujet de sa conversation avec Coligny, il dit avec emportement : « Ce que l’amiral m’a dit est vrai : on reconnaît un roi au pouvoir qu’il exerce ; mais ce pouvoir et toute l’administration de l’État m’est ôté par votre tutelle. Voilà ce que voulait me rappeler avant sa mort le plus fidèle de mes serviteurs et de mes sujets ».
Cette confidence du roi au sujet de son entrevue avec Coligny dut contribuer à accroître la haine et le désir de vengeance de la reine. D’accord avec le duc d’Anjou, elle décida de se débarrasser de Coligny de quelque manière que ce fût, d’autant plus que le roi depuis sa visite manifestait plus clairement sa volonté de faire respecter la paix accordée aux huguenots. Il s’agissait donc d’abord de changer les dispositions du roi et d’obtenir qu’il consentît au meurtre de Coligny et de ses amis. La reine-mère accompagnée du duc se rendit à cet effet auprès du roi et s’efforça de l’influencer en lui donnant des renseignements mensongers sur les plans de Coligny. On fit croire au roi que l’amiral était en train d’enrôler en Allemagne 10 000 cavaliers et de recruter avec l’aide des cantons suisses 10 000 piétons. Les chefs du parti huguenot étaient déjà partis dans les provinces pour y rassembler des troupes. Lorsque ces forces seraient réunies, les troupes du roi ne pourraient plus leur tenir tête. La disparition de Coligny, qui était le chef et l’instigateur de toutes les guerres civiles, était le seul moyen de sauvegarder la puissance royale. S’il refusait de consentir à la disparition de l’amiral, les catholiques de France choisiraient un chef pour les protéger, et le roi serait complètement isolé.
On réussit de la sorte non seulement à obtenir du roi qu’il consentit au meurtre de Coligny, mais on le mit dans une telle fureur qu’il déclara qu’il fallait faire périr tous les huguenots de France. L’habile mensonge avait réussi. Il ne s’agissait plus que d’exécuter le projet d’assassinat et de fixer le nombre des victimes qui devaient disparaître avec Coligny. Il est possible que les auteurs du massacre n’aient eu d’abord en vue que la suppression des chefs du parti huguenot ainsi qu’ils l’ont affirmé plus tard, et que le meurtre ait pris dans l’excitation du moment des proportions qui n’étaient pas dans leurs intentions. En tout cas, Catherine de Médicis, le duc d’Anjou et avec eux les Guises furent les instigateurs du terrible carnage de la nuit du 23 au 24 août où plus de 20 000 huguenots furent massacrés à Paris. A cause de la coïncidence entre les événements de cette nuit de terreur et les solennités du mariage qui l’avait précédé, l’histoire désigna les premiers sous le nom de « Noces sanglantes » ; en raison de la fête de la Saint-Barthélemy qui suivit le massacre, celui-ci fut désigné par la postérité dans les annales de l’histoire de France sous le nom de « Nuit de la Saint-Barthélemy ».
Le soir du 23 août, le président Le Charron, prévôt des marchands, fut appelé au Louvre où le roi lui demanda sur combien d’habitants de Paris il pouvait compter s’il avait besoin d’eux pour une œuvre importante. « Suivant le temps, répondit le prévôt, cent mille en un mois. » Comme on lui demandait combien seraient prêts de suite, le prévôt répondit : « Vingt mille ». Ont pris les mesures nécessaires, les portes furent fermées. Les bourgeois reconnaissables à des croix et à des brassards blancs se réunirent à la faveur de la nuit. Sous la conduite du duc de Guise, on surprit d’abord Coligny dans sa chambre à coucher, après avoir fait demander au nom du roi l’entrée par le capitaine de la garde que le roi lui-même avait apostée la veille pour protéger l’amiral. Le valet de chambre qui ouvrit la porte fut poignardé par le capitaine lui-même. Des arquebusiers firent irruption. Un Suisse qui montait la garde dans l’escalier fut tué. Un valet du duc de Guise qui avait pénétré dans la chambre de Coligny lui posa la question : « N’es-tu pas l’amiral ? » Celui-ci répondit tranquillement : « Oui », et il ajouta : « Mais, jeune homme, tu devrais respecter mon âge et ma débilité ». L’assassin soudoyé enfonça son poignard dans la poitrine de l’amiral en proférant un juron et lui porta un coup à la tête. En bas, dans la cour, se tenait le duc de Guise avec sa suite. Il demanda si l’œuvre sanglante était accomplie et, sur une réponse affirmative, il ordonna de jeter le cadavre par la fenêtre. S’étant convaincu que c’était bien le cadavre de Coligny qui était devant lui, et lui porta un coup de pied au visage. Un Italien détacha la tête du tronc et, dit-on, la présenta plus tard au roi. Si, comme on le raconte, la tête fut embaumée et envoyée à Rome pour faire plaisir au pape, ce ne fut en tout cas pas sur l’ordre du roi et à sa connaissance. Après le meurtre de Coligny, chef des huguenots, la vengeance de Catherine atteignit d’abord un certain nombre de personnages importants. Mais à trois heures du matin, la cloche de Saint-Germain l’Auxerrois sonna le tocsin, et ce fut le signal d’un massacre qui dura trois jours. Les bourgeois armés se précipitèrent dans les maisons des huguenots qu’on leur avait désignées d’avance et se gorgèrent de sang hérétique. Le roi lui-même, de la fenêtre de sa chambre, observait le massacre de la rue. Il prit un fusil à la main en s’écriant : « Tirons ! Par la mort Dieu, ils ne nous échapperont pas ». L’exemple donné à Paris fut suivi dans les provinces. Le nombre des huguenots massacrés est indiqué de façon fort différente, mais il s’élève au moins à 20 000.
Les papiers trouvés dans la demeure de Coligny après son assassinat ont établi la preuve documentée que toutes les accusations de Catherine et de ses partisans étaient dépourvues de fondement. Les recherches opérées dans les papiers d’autres chefs huguenots n’ont également rien mis à jour à la charge de ces derniers. Néanmoins, pour justifier les horreurs de la Saint-Barthélemy vis-à-vis des puissances étrangères, on rapporta qu’on avait découvert une conjuration des huguenots contre le roi, sa mère et son frère et dont le but était de détrôner le roi. Dans une séance solennelle du Parlement de Paris, le roi déclara que la découverte de la conjuration de Coligny contre l’avis du roi et des princes avaient nécessité des mesures exceptionnelles. Tout ce qu’on avait fait contre les huguenots avait été exécuté sur l’ordre formel du roi. Mais malgré ces essais de justifier à l’intérieur et à l’extérieur l’ordre du massacre de la Saint-Barthélemy, Charles IX fut plus tard rongé de remords qui le poursuivirent jusqu’à son dernier jour sans retrouver la paix ; il mourut à l’âge juvénile de 24 ans, le 13 mars 1574.
Les horreurs de la Saint-Barthélemy semèrent l’épouvante parmi les huguenots de France. Elles soulevèrent au loin, à l’étranger, la plus profonde indignation. Par contre, le pape Grégoire VIII, représentant du Christ, ordonna un solennel Te Deum pour célébrer cette grande victoire de l’Église. En l’honneur de la Saint-Barthélemy, il fit frapper une médaille. À la nouvelle des événements qui s’étaient produits à Paris, le roi d’Espagne, Philippe IX, rivalisa avec lui de contentement.
Le déchaînement d’une quatrième guerre de religion, que signalèrent surtout la courageuse défense de La Rochelle et de Santières par les huguenots, fut la conséquence immédiate de la nuit de la Saint-Barthélemy. Ce fut en vain que les armées ennemies essayèrent de s’emparer des deux places fortes. Dès 1573, la guerre se termina par un traité de paix qui assurait aux villes de La Rochelle, de Montauban et de Nîmes le libre exercice de la religion protestante qui permettait à la noblesse de célébrer le culte dans les châteaux. La liberté de conscience fut assurée aux protestants, mais non celle de pratiquer publiquement le culte qui leur avait été concédée par la paix de Saint-Germain.
À la mort de Charles IX, survenue le 13 mars 1574, la couronne de France passa au duc d’Anjou, fils préféré de Catherine, qui monta sur le trône sous le nom d’Henri III. Il avait été nommé l’année précédente roi de Pologne. Sous l’influence de sa mère et du cardinal de Lorraine, il décida d’abord de gouverner d’après les principes du parti strictement catholique et il révoqua toutes les concessions qui avaient été faites aux protestants. Il s’ensuivit une cinquième guerre de religion dans laquelle les huguenots furent appuyés par le parti dit « politique ». Les membres de ce parti étaient catholiques, mais, pour mettre fin aux dissensions intérieures qui déchiraient la France, il réclamait la tolérance vis-à-vis des réformés. Henri céda à cette résistance, et les négociations avec les huguenots eurent pour conséquence d’élargir les concessions qui leur avaient été faites mais qui cette fois encore ne furent pas respectées. La guerre civile continua de sévir. Le roi de Navarre, durant la nuit de la Saint-Barthélemy, n’avait échappé au meurtre que par l’emprisonnement qui eut lieu à l’instigation de la reine Catherine et durant lequel on le contraignit de passer à la religion catholique. Il s’était entre-temps enfui de Paris et était retourné dans son pays. Il revint sur la démarche qu’on l’avait obligé de faire et, ayant fait retour à la foi évangélique, il devint dans les luttes qui suivirent le vaillant chef des huguenots. Grâce à lui, la paix fut conclue à Poitiers, en 1577, à des conditions qui, à beaucoup de points de vue, étaient plus favorables aux huguenots que celles obtenues précédemment. Ils obtinrent le libre exercice de leur religion dans toutes les localités où ils se trouvaient le jour de la conclusion de la paix, et, de plus, dans une place de chaque district. On leur accordait en outre huit places de sûreté et l’accès à toutes les charges publiques.
Grâce à cette paix, le pays jouit pendant sept années d’un calme relatif, bien que le parti catholique, désigné sous le nom de Ligue et qui avait à sa tête le duc de Guise, ne cessât d’exciter à la lutte contre les protestants. Cependant, on aurait peut-être évité le renouvellement des actes de violence si, en juin 1584, un événement d’une exceptionnelle portée ne s’était produit : la mort du dernier fils d’Henri II et de Catherine, le duc d’Alençon. Le roi régnant n’ayant pas d’enfant, la maison de Valois menaçait de s’éteindre, et l’héritier le plus proche de la royauté française était Henri de Bourbon, roi de Navarre, un huguenot par conséquent, et même le chef des huguenots, un hérétique doublement haï pour avoir abjuré pour la foi réformée le catholicisme qu’on lui avait imposé. Les chefs du parti catholique étaient décidés à exclure à tout prix le roi de Navarre de la succession au trône de France. Le roi Henri III se déclarait prêt, il est vrai, à reconnaître Henri de Navarre comme héritier s’il se faisait à nouveau catholique. Mais celui-ci s’y refusant, le parti des Guises, qui avait formé avec l’Espagne une sainte ligue en vue de sauvegarder la religion catholique, décida le roi à commencer une nouvelle guerre de religion. Par un édit publié à Nîmes, le roi ordonna que dans un délai de six mois tous les réformés devaient être revenus à leur ancienne foi.
Les glaives sortirent encore une fois du fourreau, et les mêmes spectacles que dans les guerres précédentes se renouvelèrent. Des troupes auxiliaires suisses et allemandes se joignirent aux huguenots qui furent de plus aidés par la discorde qui régnait dans le camp royal. Le roi de France jouait un rôle insignifiant. La puissance échappa de ses mains. Le vrai maître de la France était le duc de Guise, chef du parti de la Ligue. Henri III ne trouva d’autres moyens de se débarrasser du duc qui lui avait soustrait tout pouvoir royal que l’assassinat. Il donna à huit de ses gardes qui lui étaient entièrement dévoués l’ordre d’assassiner le duc qu’il avait mandé dans son cabinet. En même temps, son frère, le cardinal Louis, fut arrêté et mis à mort par la volonté du roi.
A la suite du meurtre des Guises, Paris se souleva contre le roi qui n’eut d’autre parti que de se jeter dans les bras des huguenots. Il contracta une alliance avec leur chef, Henri de Navarre, qu’il reconnut dès lors pour son successeur. Avec une armée de huguenots et de Suisses royalistes, le roi se dirigea sur Paris, mais il fut assassiné dans son camp par le moine dominicain Clément qui, sous prétexte de lui remettre une supplique, avait su se procurer l’accès auprès de lui. Clément le frappa d’un poignard. La nuit suivante, Henri III mourut de sa blessure. Avec lui disparaissait le dernier roi de la maison de Valois, et Henri de Navarre prit le titre de roi de France sous le nom d’Henri IV. Mais il n’était pas encore reconnu roi. Avant même la mort d’Henri III, le parti de la Ligue avait proclamé le vieux cardinal Charles de Bourbon héritier au trône de France afin d’écarter tout huguenot. Il devait être élevé au trône sous le nom de Charles X. Au nom de ce prétendant insignifiant, le duc Charles de Mayenne, devenu chef du parti de la Ligue, marcha contre Henri. Mais l’attaque qu’il dirigea contre la forte position qu’Henri occupait à Arc, en Normandie, fut repoussée, et en mars 1590, Henri remporta à Ivry une victoire éclatante sur l’armée des ligueurs. Henri s’avança sur Paris. Mais la ville fit une vive résistance et fut secourue par des troupes espagnoles qui, sur l’ordre de Philippe II, marchaient contre Henri. Celui-ci eut à soutenir contre ces troupes l’année suivante des combats défavorables, et le parti de la Ligue projetait déjà de proclamer reine Isabelle issue du mariage de Philippe II avec Élisabeth de France et petite-fille d’Henri II. Mais Henri n’était pas encore battu.
Tandis que Paris était entièrement dominé par la Ligue et que sa population catholique fanatisée se refusait à reconnaître Henri, celui-ci gagnait chaque jour plus de partisans dans les provinces. Ses troupes se renforçaient d’Anglais et de protestants allemands qui vinrent se joindre aux nobles qui défendaient sa cause. Déjà les Etats généraux convoqués par le duc de Mayenne, pour décider de concert avec les plénipotentiaires espagnols du sort de la France, se réunissaient à Paris. L’infante d’Espagne fut reconnue sans difficulté comme future reine de France, et la loi salique d’après laquelle la couronne ne devait échoir qu’à un héritier mâle fut abrogée. Cependant, lorsque Philippe II désigna comme futur époux de l’infante Isabelle le grand-duc Ernest de Habsbourg, frère de l’empereur régnant Rudolph d’Autriche, un revirement se produisit. On ne voulait pas accepter en France un Habsbourg. Mais on ne pouvait s’entendre au sujet d’un autre candidat au trône de France. Henri bénéficia également de la protestation du Parlement de Paris contre l’abolition de la loi salique. Entre-temps, il avait repris le dessus sur le champ de bataille. Le nombre de ses partisans avait visiblement augmenté. L’heure était donc venue pour lui de prendre la décision qu’il avait sans doute mûrie depuis longtemps et de sacrifier ses convictions à son devoir de roi. Considérant qu’une royauté protestante ne pouvait se maintenir en France, il revint, les 25 juin 1593, à l’Église catholique et fut couronné roi de France le 27 février 1594.
On prétend qu’il aurait dit pour justifier son abjuration que la couronne de France valait bien une messe, et l’on a voulu caractériser par-là la légèreté de sa décision. Cette supposition n’est sûrement pas exacte. Sous influence de Jeanne, sa mère, Henri de Navarre avait été élevé dans la conviction protestante, et il n’était pas de ceux qui, pour s’assurer un avantage extérieur, n’hésitent pas à changer de religion comme on change de vêtement ainsi qu’il arrive encore aujourd’hui dans les familles princières. Il ne se décida pas à la légère à abjurer la foi qu’il avait professée par conviction et à renier ainsi tout son passé. Ce ne fut pas non plus l’éclat de la couronne qui le décida à cette démarche, mais bien la conscience de la mission que Dieu lui confiait en lui donnant la couronne. Le premier de ces devoirs que Dieu lui imposait avec les droits de la royauté était de réconcilier, de guérir et de sauver ce beau pays, ce peuple déchiré et durement éprouvé. Il comprit que c’était la tâche que Dieu lui imposait. Mais il ne pouvait la remplir qu’en appartenant à la même Église que la grande majorité des Français, sujets que Dieu lui avait confiés. Pour remplir ce devoir, il ne devait pas reculer devant le lourd sacrifice que lui imposait pour son pays le changement de religion. Ce n’est pas en vain qu’Henri IV accepta ce sacrifice dont profitèrent également ses sujets protestants. Il lui fallut soutenir encore d’autres combats avant que le parti de la Ligue le reconnût pour roi légitime. Il sortit vainqueur de la lutte.
Après son abjuration, de nombreuses villes et des provinces entières se soumirent rapidement, et la Ville de Paris se décida enfin à accepter la paix. Il put y faire son entrée le 22 mars 1594. Il réussit aussi à se réconcilier avec le pape. Clément VIII leva l’interdit sans l’obliger à accepter les décisions du concile de Trente qui l’aurait empêché d’exercer la tolérance vis-à-vis de ses sujets protestants. Reconnu roi de France, il lui appartenait d’écarter l’influence qu’au cours des guerres civiles l’Espagne et son roi fanatique, Philippe II, avait conquise sur la politique intérieure de la France. Henri IV déclara formellement la guerre au roi d’Espagne qui ne voulait pas le reconnaître comme roi. Il remporta à Fontaine-Française une brillante victoire sur les troupes espagnoles, et bien que l’Espagne de son côté obtint des succès, Philippe II, en raison de l’appui que trouvait Henri auprès de l’Angleterre son alliée et de la république des Pays-Bas, se vit obligé de conclure la paix avec lui. Par ce traité, conclu en 1598, toutes les places que l’Espagne possédait encore en France durent être rendues.