LES HUGUENOTS EN FRANCE
ET LEURS TRIBULATIONS
Partie 3
Il ne nous appartient pas d’étudier ici le règne d’Henri IV, les mesures qu’il prit pour ramener à l’intérieur la prospérité et la politique qu’il adopta vis-à-vis des puissances étrangères. L’événement le plus important de son règne qui nous intéresse fut la proclamation de l’Edit de Nantes signé de sa main, le 13 avril 1598, qui réglait de façon durable la situation des réformés et assurait aux anciens coreligionnaires du roi la sécurité. D’après cet édit, les protestants pouvaient habiter toutes les localités du royaume. Le culte public leur était interdit à Paris et dans d’autres villes strictement catholiques, mais ils pouvaient le pratiquer au-dehors. Dans les villes et les pays réformés, le culte catholique devait être autorisé et l’Église devait recouvrer ses biens. Par contre, le roi prit à la charge de l’État une part considérable des frais du culte protestant.
Les réformés eurent le libre accès à toutes les dignités et charges de l’État. Dans les parlements, on institua des chambres mixtes composées de catholiques et de protestants. Il fut permis aux réformés de tenir des synodes généraux composés de laïques et de ministres du culte pour discuter leurs affaires communes. Les places de sûreté leur furent laissées pour huit ans. À la faveur de cet édit, les réformés jouirent sous le règne d’Henri de la paix à laquelle ils aspiraient depuis si longtemps. Les Pays-Bas bénéficièrent également de son appui et de sa protection. Henri IV était sur le point d’intervenir dans la lutte pour la succession de Clèves, Juliers, Berg où l’Autriche essayait de s’installer, désireuse d’utiliser ce territoire du Bas-Rhin pour enlever aux Pays-Bas la liberté péniblement conquise, lorsqu’il fut assassiné à Paris en pleine rue, le 14 avril 1610, par un meurtrier du nom de Ravaillac probablement soudoyé par les jésuites. Durant une promenade en voiture qu’il fit l’après-midi, la rue se trouva barrée à un carrefour par une voiture. Tandis que les serviteurs se disposaient à écarter l’obstacle, Ravaillac s’approcha du carrosse du roi et plongea un long couteau dans la poitrine du monarque. Henri mourut aussitôt. Le meurtrier fut arrêté puis exécuté après un horrible supplice. Il fut impossible de découvrir ses complices.
La mort soudaine d’Henri IV fut un rude coup pour les protestants de France qui, pendant son règne, avaient trouvé dans la royauté un puissant appui. Son fils Louis XIII, issu de son second mariage avec Marie de Médicis, n’avait que neuf ans et, pendant sa minorité, le gouvernement fut confié à sa mère, d’un catholicisme rigoureux, qui se fit un devoir de restaurer en France l’unité religieuse. Pour atteindre ce but, la régente Marie de Médicis, à l’encontre d’Henri IV, se mit en relations étroites avec l’Espagne. L’ancienne influence de la cour de Madrid se fit à nouveau sentir. Elle s’accrut par le fait que Marie sut faire aboutir son projet de mariage du jeune roi avec la fille aînée de Philippe III d’Espagne, l’infante Anna, et celui de la sœur du roi, la princesse Élisabeth, avec l’infant Philippe. La paix religieuse rétablie sous Henri IV fut à nouveau troublée de part et d’autre. Des plaintes se firent entendre dans le pays au sujet des actes de violence dont se rendirent coupables les adeptes des deux confessions. D’une part, on détruisit et on brûla les églises catholiques, on profana les hosties, de l’autre, on viola les cimetières protestants et les cadavres. L’Église protestante de Charenton près de Paris fut la proie des flammes. Plusieurs personnes furent tuées et, par crainte d’une seconde nuit de la Saint-Barthélemy, beaucoup de protestants quittèrent la capitale. De plus, les huguenots durant la période de calme que leur avait valu le règne d’Henri IV avaient perdu de leur force morale. Les chefs influents tels qu’un Coligny et un Henri de Navarre leur faisaient défaut. Après l’agitation des longues guerres civiles, une certaine fatigue se faisait sentir chez les huguenots. Dans la haute noblesse, beaucoup, suivant l’exemple du roi, avaient passé au catholicisme.
On préluda à la répression et à l’extirpation du protestantisme en indexant à la monarchie le royaume de Béarn, pays d’Henri IV, jusqu’ici indépendant. Il fut occupé militairement. Dans cette région entièrement protestante, les églises et les biens du clergé furent restitués aux catholiques. Cette mesure violente montra aux protestants le sort que leur réservait le nouveau gouvernement. Excités par de nombreuses tracasseries auxquelles le gouvernement n’essaya pas même de s’opposer, les protestants de France prirent encore une fois les armes en 1621 et le pays fut à nouveau agité durant les années qui suivirent par les guerres civiles. Les huguenots furent abandonnés cette fois par les alliés qui les avaient jadis secondés. La guerre de Trente ans sévissait en Allemagne. Comment ce pays aurait-il pu secourir des coreligionnaires opprimés ? L’aide de l’Angleterre, faute de chef, fut absolument insuffisante. En 1628, La Rochelle, le point d’appui le plus solide des huguenots, dut se rendre à discrétion à l’armée royale. La ville, qui pendant plus d’un demi-siècle avait été la forteresse et le refuge des protestants, cessa d’être protestante. La principale église protestante devint aussitôt une cathédrale catholique. Les protestants ne purent élever leur église qu’en dehors des murs. Deux de leurs pasteurs et quelques bourgeois notables furent bannis. Les murs et les remparts du côté de la terre furent rasés, tous les privilèges de la ville furent supprimés. La ville jadis si fière tomba au rang de la ville de province, et sa chute mit en même temps fin à la puissance politique du calvinisme français.
Cependant, le véritable détenteur du pouvoir en France était désormais le cardinal de Richelieu. Il avait réussi à arracher le pouvoir aux mains de la reine-mère. C’est à son influence que les huguenots, après avoir perdu leur puissance politique, durent de ne pas perdre provisoirement leur liberté religieuse et leur indépendance alors que le pape, après la chute de La Rochelle, réclamait l’anéantissement complet des huguenots. Richelieu ne jugea pas prudent de ravir aux protestants leur dernier bien, la religion, de mettre fin à l’hérésie par la violence, d’interdire tout simplement l’exercice du culte réformé et de révoquer l’Édit de Nantes ainsi qu’on le lui conseillait à Rome. En homme d’État clairvoyant, il hérita de pousser au désespoir par une pareille mesure une partie nombreuse, riche et capable de la population, et d’ajouter par-là de nouveaux ennemis à ceux qui chaque jour menaçaient sa situation. L’Édit de grâce de Nîmes, publié en 1629, enlevait, il est vrai, aux huguenots les places de sûreté que leur concédait l’Édit de Nantes, mais ils reçurent confirmation de leurs droits religieux et civils. Cependant, le maintien de ces droits était exclusivement entre les mains du roi, et les protestants se trouvaient par-là livrés à la discrétion royale. Ils perdaient la possibilité de traiter de puissance à puissance. Ils devaient considérer comme un bienfait ce qui leur était accordé.
Tandis que les protestants de France avaient perdu toute puissance politique, l’Église catholique, au cours du XVIIe siècle, prenait aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur un développement toujours plus grand. Le nombre des couvents d’hommes et de femmes augmentait d’année en année. Les premiers fournirent à l’Église catholique une armée de religieux et de moines qui se donnèrent pour principale mission de convertir les protestants. Les congrégations de femmes se servirent également de l’assistance aux pauvres et aux malades dont elles s’étaient chargées ainsi que des établissements fondés par elles pour l’éducation des jeunes filles de la bonne société pour exercer leur infatigable zèle de conversion. C’était pour elles non seulement un mérite, mais souvent un devoir qui leur était dicté par leurs règles de faire des prosélytes. Ces efforts faits par l’Église pour ramener les protestants dans le sein de la seule véritable Église furent puissamment secondés par l’État et le gouvernement. Par des faveurs et des promesses de toutes sortes, on essayait de ramener à la foi catholique les huguenots de marque, et de nombreux membres de la noblesse ne se montrèrent que trop disposés à renier leur foi protestante lorsqu’on leur promettait à ce prix une haute dignité à la cour ou dans l’État. Les protestants déçus et attristés voyaient ces familles nobles, qui avaient jadis été leur orgueil et leur appui et dont les ancêtres avaient répandu avec joie leur sang pour la bonne cause, revenir l’une après l’autre dans le sein de la seule véritable Église. Même un petit-fils de l’amiral de Coligny, Charles de Châtillon, fit parti de ces renégats.
Toutes sortes de mesures arbitraires réduisirent les droits et les biens de l’Église protestante. Il ne se passait guère d’années sans qu’une église ou une école protestante fusse fermée, qu’on n’enlevât aux protestants un droit incontestable, qu’on ne leur imposât des restrictions. Lorsqu’un seigneur terrien était revenu à l’Église catholique, le culte public devait cesser dans la localité. Par des mesures analogues, les protestants perdirent plus d’une douzaine de leurs églises. Citons seulement quelques exemples de ces procédés arbitraires auxquels les protestants de France étaient continuellement exposés. Nous les empruntons à l’œuvre du professeur Dr. Scholl : La Révocation de l’Édit de Nantes. En 1635, on interdit aux protestants de Metz de fonder un collège ou un pensionnat. Les maîtres protestants ne pouvaient enseigner que la lecture et l’écriture. La même année, dans une autre ville, le collège protestant fut cédé aux ursulines parce que celles-ci n’avaient pas de place dans leur couvent. Un petit hôpital qu’avaient fondé à Paris les protestants pour leurs coreligionnaires fut simplement supprimé. L’évêque de Valence fit publier dans son diocèse une ordonnance d’après laquelle les pasteurs protestants ne pouvaient prêcher que dans la localité où ils étaient domiciliés. Les protestants éparpillés parmi les catholiques furent ainsi privés de culte. À Dijon, on ordonna aux protestants d’orner également leurs maisons à l’occasion des processions solennelles. Dans d’autres localités, il leur fut interdit de manger de la viande les jours de fête catholique. Le Parlement de Bordeaux interdit aux parents protestants de contraindre leurs enfants à suivre le culte protestant. Il fut interdit aux protestants d’employer dans leur commune le nom d’église. Les protestants de Paris ne pouvaient enterrer leurs morts qu’au coucher du soleil. En 1644, le culte protestant fut interdit dans la ville de Saint-Cyr. Toutes ces violations du droit rappelaient aux protestants qu’ils n’étaient que tolérés et qu’ils n’avaient aucune protection légale.
Néanmoins, tant que Richelieu fut à la tête du gouvernement, la situation des protestants fut relativement tolérable. En différentes occasions, il prêta volontiers l’oreille à leurs plaintes légitimes et leur accorda son appui, s’efforçant de maintenir les édits décrétés en leur faveur. Richelieu étant mort le 5 décembre 1642, et Louis XIV encore mineur étant devenu roi par la mort de son père survenue l’année suivante, la régente Anne d’Autriche, ayant à lutter contre les guerres de la Fronde que nous n’avons pas à étudier ici, jugea plus prudent de respecter les droits des protestants afin de ne pas les pousser à une guerre civile et religieuse qui aurait accru les difficultés intérieures.
Les chefs protestants furent d’ailleurs, dans ces guerres de la Fronde, les plus solides appuis du trône. Louis XIV, étant devenu majeur le 7 septembre 1651, reconnut expressément, dans une déclaration royale formulée dans les termes les plus flatteurs, la fidélité et l’attachement des protestants. Tant que Mazarin, successeur de Richelieu, fut à la tête du gouvernement, les huguenots furent relativement traités avec justice. On rouvrit des églises qui avaient été fermées. On accorda aux pasteurs l’autorisation de prêcher dans les succursales. Les tracasseries des tribunaux cessèrent. Mais la situation changea brusquement lorsque Louis XIV, âgé de 22 ans, prit en main les rênes du gouvernement, le cardinal de Mazarin étant mort le 15 mars 1661. L’absolutisme dont Louis XIV avait déjà conscience a été traduit dans l’inscription « Le roi gouverne par lui-même » qu’on lit encore aujourd’hui au-dessus de son portrait dans un des tableaux qui ornent le plafond de la fameuse galerie des glaces à Versailles. L’attitude personnelle du roi vis-à-vis des protestants fut, dès le début, celui d’un adversaire. Il considérait l’unité religieuse comme une des conditions essentielles de la puissance de l’État. Le souvenir que la royauté avait jadis été contrainte de signer des traités avec les huguenots contribuait à accroître son aversion pour le protestantisme. Il haïssait au fond l’indépendance intellectuelle des protestants. Il puisait dans son titre de « roi très chrétien, fils aîné de l’Église » et dans les termes de son serment « d’extirper tous les hérétiques de son territoire » le droit et le devoir de faire disparaître le protestantisme de son pays. Il n’osa pas provisoirement le faire d’une seule fois. Mais, dès le début de son règne, il voulut atteindre ce but. Sans prendre des mesures de rigueur et tout en ayant l’air de respecter provisoirement les droits concédés aux huguenots, mais refusant strictement toute nouvelle faveur, il espérait convaincre peu à peu les protestants que le retour à l’Église catholique était dans leur propre intérêt. Dès 1664, Louis XIV fit savoir ouvertement à l’empereur d’Allemagne que son seul but était d’extirper de France l’hérésie, et que si Dieu lui prêtait vie, il en viendrait à bout en peu d’années. Ses efforts furent activement secondés par le haut et le bas clergé de son pays. Les évêques rivalisaient de zèle religieux. Leurs agents recueillaient des documents sur lesquels ils appuyaient auprès du roi leurs plaintes au sujet de prétendus abus commis par les huguenots et ils savaient découvrir habilement les points sur lesquels il était possible de restreindre les droits des protestants sans violer ouvertement l’Édit de Nantes.
La lutte contre le protestantisme français commença l’année même où le roi prit en mains le pouvoir. Elle visa d’abord les églises protestantes. En vertu de l’Édit de Nantes, de petites églises très simples et sans ornements avaient été construites en beaucoup d’endroits pour permettre aux protestants qui habitaient loin d’une église urbaine d’assister au culte. Elles étaient particulièrement nombreuses dans le Languedoc. Les catholiques s’en plaignirent prétendant que les protestants outrepassaient les droits qui leur avaient été concédés par l’Édit de Nantes. Sur ces plaintes, le roi nomma une commission chargée de rechercher si et jusqu’à quel point ces droits avaient été outrepassés. Bien que, pour sauver les apparences, chaque commission fut composée d’un catholique et d’un protestant, l’enquête fut, dans la plupart des cas, défavorable aux protestants, les documents faisant fréquemment défaut pour justifier la fondation. Il arriva de la sorte que, dès 1663, on enlevât aux protestants 140 églises, et, durant les années qui suivirent, il ne s’en passa presque pas une sans qu’on fermât une église et que le culte fût interdit en quelque endroit. Là où le culte ne pouvait être simplement supprimé sous le prétexte que les titres faisaient défaut, on le restreignit de toute façon. Il fut sévèrement défendu d’ouvrir au culte de nouveaux locaux. Nous avons vu plus haut que les protestants appartenant à la haute noblesse avaient le droit de célébrer le culte dans leurs châteaux. En dépit des traités, ce droit fut limité aux temps où ils y séjournaient. Comme ils étaient souvent en campagne ou à la cour, les protestants ne pouvaient célébrer régulièrement le culte. La cloche d’aucun château ne pouvait sonner l’office. La chapelle ne devait pas avoir de chaire. On essayait de toutes manières d’humilier les pasteurs et de les déconsidérer. On leur défendit de porter le titre honorifique de « pasteur » qui leur avait encore été concédé au début du règne de Louis XIV. Ils ne purent s’appeler que « ministres ». Ils ne pouvaient prêcher qu’aux lieux où ils étaient domiciliés, et dans les châteaux qu’en présence du seigneur propriétaire. Il leur était strictement interdit de prêcher sur les places publiques.
Pour arracher à l’hérésie la jeune génération, les protestants furent privés de leurs écoles sous tous les prétextes possibles. Il fut expressément interdit de créer des écoles supérieures. Dans les grandes villes où elles existaient, on manœuvra pour les supprimer. Les protestants qui voulaient donner à leurs enfants une éducation supérieure étaient donc obligés de les envoyer dans des églises catholiques ou à l’étranger. Or, la direction de la plupart de ces écoles avait passé en France, de même que nous le verrons plus tard en Allemagne, dans les mains des jésuites. Parmi les pires mesures légales visant à la destruction progressive du protestantisme, il faut ranger celles relatives au passage de la religion catholique à la religion protestante. Le roi se refusait encore, il est vrai, à faire droit aux exigences du clergé catholique qui réclamait que le passage de la religion catholique au protestantisme fût interdit et punissable. Il approuva encore moins la proposition des États de Languedoc d’interdire le changement de religion sous peine de mort. Mais on ne recula devant aucun moyen pour l’empêcher. Il était rigoureusement interdit d’y pousser quelqu’un, et les renégats ne pouvaient se marier que six mois après le changement de religion. Tout relaps qui, après avoir adopté la religion catholique, revenait au protestantisme était menacé du bannissement perpétuel et les autorités avaient l’ordre de se montrer très sévères en pareil cas. Les relaps étaient considérés et traités comme des profanateurs. Un prêtre, du nom de Gentil, fut condamné par le tribunal de la Rochelle à neuf années de galère pour avoir dit la messe après avoir eu l’intention de changer de religion. Par contre, la conversion au catholicisme était favorisée de toute façon. Les nouveaux convertis ne pouvaient, pendant un délai de trois ans, être pressés par leurs créanciers protestants ni poursuivis par eux en justice. Une ordonnance de 1665 décrétait que les enfants de parents protestants pouvaient choisir s’ils resteraient auprès de leurs parents ou seraient élevés ailleurs. Dans ce dernier cas, les parents devaient leur servir une pension en rapport avec leur condition. Ce fut pour les familles protestantes une cause de mécontentement, de discorde et de tracasseries inqualifiables. Il suffisait qu’un enfant s’écriât : « Que la messe est belle ! » pour qu’on en déduisît le désir d’une conversion. L’enlèvement d’enfants en vue de leur donner une éducation catholique devint si fréquent et fit l’objet de plaintes si déchirantes que la Cour elle-même se vit obligée d’intervenir.
On essayait aussi de toute manière de porter atteinte au droit civil de la population protestante. Dans tous les corps municipaux, catholiques et protestants devaient être en nombre égal, même lorsque la majorité de la population était protestante. Les charges d’employés municipaux ne devaient être occupées que par des catholiques. Les lois, d’ailleurs sévères sur la censure, étaient encore aggravées pour les protestants. Aucun livre traitant de la religion réformée ne pouvait être imprimé sans l’assentiment du prêtre catholique de l’endroit et sans la permission des autorités. Les restrictions et les tracasseries auxquelles les protestants étaient en butte s’étendaient même aux mourants et aux morts. Les prêtres catholiques et les congréganistes avaient le droit de pénétrer chez les malades protestants, qu’ils fussent appelés ou non, afin de s’informer s’ils voulaient persévérer dans la religion protestante. Ce droit fut souvent exploité pour exercer à la dernière heure une pression sur la conscience des mourants. Dans les localités où le culte protestant n’était pas admis, les inhumations ne devaient se faire qu’au lever du jour ou à la tombée de la nuit, et les convois ne devaient pas être escortés de plus de dix personnes. Aucun protestant ne devait être enterré dans le cimetière catholique même lorsqu’ils y avaient leur tombeau de famille et que leurs aïeux y reposaient depuis longtemps.
Parmi ces tracasseries, il faut citer encore celle qui consistait, lorsqu’une localité pour un méfait quelconque recevait une garnison, à imposer aux protestants le plus grand nombre de soldats. Lorsque les cantonnements duraient des mois, il arrivait qu’un grand nombre d’habitants fussent réduits à la mendicité.
Ces faits, auxquels on en pourrait ajouter un grand nombre d’autres, expliquent pourquoi tant de protestants préférèrent quitter leur bien-aimée patrie pour se fixer à l’étranger où ils pouvaient du moins vivre dans leur religion. Ils savaient que dans les états protestants voisins ils seraient bien accueillis. À diverses reprises, les Etats protestants ne manquèrent pas d’intervenir en faveur de leurs coreligionnaires opprimés. Le prince électeur Frédéric Guillaume en particulier qui, par son mariage avec Louise d’Orange, comptait Coligny parmi ses ancêtres, s’intéressa vivement ainsi que son épouse au sort des protestants. En 1666, il adressa au roi en termes graves et émus la prière d’accorder à ses sujets protestants la liberté de conscience et de leur laisser les lieux où ils pouvaient sans inconvénient servir Dieu et prier pour le bien et la grandeur de sa Majesté. Dans sa réponse, le roi contesta l’oppression des protestants et déclara que les nouvelles à ce sujet qui étaient parvenues aux oreilles de l’Électeur avaient été inventées et répandues par des gens malintentionnés. On n’avait pris et détruit que les églises sur lesquelles ils n’avaient aucun droit. Mais il se vit obligé par égard pour le vaillant Électeur, qui, à cette époque, était son allié, de donner de secrètes instructions invitant à modérer le zèle dans l’application des mesures contre les protestants. Cependant, l’arrêt qui se produisit dans la destruction du protestantisme, et qui permit durant quelque temps aux réformés de respirer, ne fut pas de longue durée. Outre cette intervention de l’Électeur, l’émigration croissante qui nuisait à la prospérité de la France fut une des principales causes qui contribuèrent à adoucir les mesures prises contre les protestants. En 1669 fut publiée une ordonnance interdisant à tous les sujets d’émigrer sans l’autorisation du roi. Ceux qui avaient émigré furent invités à rentrer en France dans un délai de six mois sous peine de confiscation de leurs biens.
D’année en année, les conversions étaient plus nombreuses, et la population protestante perdait quelques-uns de ses membres ainsi que des familles entières influentes et considérées. La haute noblesse, en particulier, ainsi que nous l’avons dit, tenait pour avantageux de faire la paix avec la cour. Une perte cruelle pour le protestantisme fut, en 1668, celle de Turenne l’illustre général, dont la défection en entraîna beaucoup d’autres. La petite noblesse, particulièrement celle des campagnes, montra un plus grand attachement à la religion réformée, bien que les avantages personnels et les influences de famille y rendissent également les défections plus fréquentes. Un nouveau moyen particulièrement répréhensible de ramener les protestants à l’Église catholique consistait dans la fondation d’une caisse secrète servant à payer en argent l’abjuration de la foi réformée. Le roi, dont les péchés de jeunesse commençaient à opprimer la conscience, affecta à cette caisse une partie des revenus provenant des bénéfices qui lui échouaient. On prescrivit pour ce commerce des âmes des tarifs suivant la condition de l’intéressé. Tandis qu’au début on procédait en grand secret, les évêques, les fonctionnaires royaux et les particuliers rivalisèrent bientôt de zèle. Tous les mois parvenaient au roi de longues listes contenant le nombre et les noms des protestants convertis à l’aide de cette caisse, avec indication du prix payé pour la conversion. Jusqu’en 1682, le nombre des conversions opérées par ce moyen s’éleva dit-on à 48 130. Les protestants fidèles ressentirent amèrement cet avilissement de la religion, et ce commerce d’âmes suivant tarif resta à jamais une honte pour le roi qui le favorisa et pour le pape Innocent XI qui exprima par un bref sa gratitude à l’auteur du procédé, un huguenot converti du nom de Pélesson.
Malgré les grandes et les petites tracasseries, les mauvais traitements et les injustices, les spoliations et les dommages, la situation des protestants en France jusqu’en 1679 n’était pas tout à fait intolérable. De temps en temps l’oppression s’allégeait en sorte qu’ils se reprenaient à espérer que leur sort s’améliorerait. Cet espoir devait être cruellement déçu. À dater de cette époque, le roi tomba sous l’influence de Madame de Maintenon qui se fit un devoir de réveiller et d’entretenir son zèle religieux et sut lui présenter comme une affaire de conscience la conversion des protestants et l’anéantissement de l’hérésie. Elle eut pour allié le chancelier Le Tellier, ennemi fanatique de la religion réformée, et qui ne désirait rien tant que la révocation de l’Édit de Nantes. Grand maître de la justice en France, il fit ce qu’il put pour mener aux protestants la vie dure. Il fut aidé de son côté par un auxiliaire fidèle et infatigable, le jésuites La Chaise, confesseur du roi, à qui ses vœux mêmes faisaient un devoir de collaborer à l’extinction de l’hérésie. Sous l’effet de ces influences, les plus cruelles épreuves fondirent sur le protestantisme. En vingt-six endroits les églises furent détruites et les cultes interdits. Les relaps furent frappés des peines les plus sévères. Les parlements institués spécialement pour les protestants et qui leur assuraient une juridiction indépendante furent supprimés. Les réformés furent ainsi livrés à la justice catholique qui leur était hostile. Il fut interdit à tous les nobles qui possédaient le droit de justice de nommer des employés de justice protestants. Les femmes protestantes perdirent le droit de remplir la charge de sage-femme. Les artisans protestants de Paris ne pouvaient accepter d’apprentis de leur religion. Les prétextes les plus futiles suffisaient à fermer des églises protestantes, à interdire le culte. Ce fut en 1682 le sort de vingt-huit églises. Un réformé ayant omis de saluer l’hostie au passage, l’église protestante de l’endroit fut fermée et toute la communauté privée du culte. On appliqua sur une plus grande échelle toutes les mesures ci-dessus mentionnées et dont le but était d’une part de créer toutes sortes de difficultés et d’ennuis à ceux qui persévéraient dans la foi protestante, de l’autre de faciliter le passage à l’Église catholique et d’y amener la population à l’aide de récompenses et de privilèges. Il fut interdit de contracter des mariages mixtes. Ceux contractés en dépit de cette interdiction furent déclarés nuls, et les enfants qui en étaient issus illégitimes. Il devint de mode de ramener à l’Église ses parents et connaissances ; on se fit un honneur de sauver le plus d’âmes possible. On fonda des congrégations et des ordres dont la seule mission était de gagner de nouveaux catholiques. Les moyens que nous avons déjà mentionnés, mais qui jusqu’ici n’avaient été employés que dans des cas isolés de contraindre les réformés à changer de religion en les forçant à loger des soldats, furent appliqués plus largement par le fils de Le Tellier, le ministre de la guerre Louvois. C’est ainsi que commencèrent les fameuses et infâmes dragonnades ainsi appelées parce que les soldats employés à ce moyen de conversion des protestants étaient pour la plupart des dragons.
Le 18 mars 1861, Louvois publia l’ordonnance tristement célèbre suivant laquelle sa Majesté, très heureuse des rapports favorables qui lui avait été fournis, trouvait bon que la majorité des dragons logés chez l’habitant fut imposée aux protestants. Lorsqu’un protestant, d’après une répartition équitable, était tenu de recevoir dix dragons, on devait lui en donner vingt. Ces dragonnades imposées par Louvois firent des années 1681 à 1686 les plus désolantes de l’histoire du protestantisme français.
Les dragons ne se faisaient pas dire deux fois d’en prendre à leur aise dans leurs quartiers protestants. Ils ne savaient que trop que cette recommandation avait pour but de livrer les protestants à toutes les fantaisies, à l’arbitraire d’une soldatesque brutale. Ils se permettaient donc dans les maisons toutes les inconvenances et tous les désordres. Dans une localité, ils lavaient leurs chevaux avec du vin. Dans une autre, ils démolissaient les meubles et jetaient par la fenêtre ce qui ne leur plaisait pas. En fait de boire et de manger, ils réclamaient l’impossible. Toutes les localités où les dragons avaient séjourné durant quelque temps ressemblaient à une ville mise à sac en temps de guerre. Les « missionnaires bottés », comme ils s’appelaient, ne se contentaient pas de piller les maisons et les familles qui les logeaient. Avec eux, on n’était pas sûr de sa vie ni maître de son corps. Ces convertisseurs menaient leurs victimes à l’église catholique avec une corde au cou ou en les traînant par les cheveux, afin de les contraindre à y abjurer leur foi protestante. Lorsque les protestants s’y refusaient, ils étaient jetés en prison pour y languir souvent pendant des mois. On battait les femmes, on les jetait à terre, on les maltraitait de toute façon. Les dragons attachaient des crucifix à l’extrémité de leurs mousquets et quand on se refusait à baiser ces crucifix, ils frappaient au visage de la pointe du mousquet.
La plume se refuse à énumérer les cruautés et les atrocités commises au nom de la religion et auxquelles succombèrent des milliers de protestants par peur des supplices auxquels ils auraient pu se soustraire en reniant leur foi. Les localités entières se convertissaient à la simple nouvelle de l’approche des dragons. Pour sauver leur vie et leurs biens, des centaines entendaient la messe et se faisaient inscrire sur la liste des convertis. De cette façon, les dragons obtinrent dans la localité de Fossay 300 conversions en cinq jours. La plupart du temps, les soldats ne quittaient une localité que lorsque toute la population protestante avait renoncé à sa religion ou, réduite à la mendicité, s’était retirée dans les bois. Dans ce cas, les biens étaient pillés, les propriétés vendues pour un prix dérisoire. Il y eut dans toutes les classes des misérables pour profiter de la détresse des huguenots et s’enrichir en achetant leurs maisons et leurs propriétés. Pour sauver les apparences, le roi, lorsqu’on réussissait à lui faire parvenir les plaintes au sujet des violences commises par les dragonnades, ordonnait de mettre un frein aux débordements des troupes, afin de ne pas donner aux protestants de vrais motifs de réclamer. Mais en même temps, il ne laissait aucun doute sur son désir de voir les conversions se poursuivre.
Bien que les protestants de France subissent en général ces persécutions avec une patience résignée, il y eut de temps à autre quelques soulèvements qui eurent pour eux de funestes conséquences. Un comité secret qui s’était constitué pria les protestants des régions du Languedoc, du Dauphiné et du Vivarais, où les églises avaient été supprimées en grand nombre, de se réunir à jour fixe dans les maisons, les jardins et en plein champ pour y célébrer le culte en commun. On voulait manifester aux yeux de tous que les protestants n’étaient pas indifférents en matière de religion ainsi que ses adversaires l’affirmaient souvent. Mais le but de cette manifestation fut manqué, toutes les réunions n’ayant pu être tenues le même jour. Là où elles eurent lieu, elles se passèrent dignement.
On en profita du côté catholique pour parler d’une nouvelle guerre de religion et, bien qu’on se fût convaincu à la cour qu’il n’y avait pas de réel danger, on prit les mesures les plus sévères contre ceux qui y avaient pris part. Louvois ordonna de disperser par la force toutes les autres réunions, de livrer les prisonniers à la justice qui devait les punir sur-le-champ, de raser les maisons où avait eu lieu ces réunions. Poussés par ces violences, les protestants prirent les armes dans divers endroits. Une rencontre sanglante eut lieu dans une localité du Dauphiné. Cinquante à soixante protestants se défendirent contre trois escadrons de dragons et furent massacrés jusqu’au dernier. Quelques-uns qui s’étaient réfugiés dans une grange furent brûlés avec celle-ci. La soi-disant révolte du Dauphiné était réprimée. Le tribunal commença alors son œuvre sanglante. Quantité de prisonniers furent condamnés aux galères, les chefs des mouvements à la potence et à la roue. Les nouvelles du Dauphiné causèrent parmi les protestants la plus vive agitation. Le 27 septembre 1683, il y eut sur le Rhône une rencontre qui se termina par la défaite de cinq à six cents révoltés. Les fugitifs furent abattus sans pitié, quelques prisonniers aussitôt pendus, les églises détruites, les innocents maltraités. La malheureuse population eut à subir toutes les souffrances d’un pays conquis. L’une après l’autre, les églises protestantes tombèrent en ruines. Les prisons et les galères se remplirent. Les cadavres des victimes jonchaient les routes. Quantité de protestants racontaient les mauvais traitements qu’on avait fait subir en particulier aux femmes. L’échafaud attendait également ses victimes. Parmi celles-ci se trouvait un pasteur très considéré, Isaac Hommel, vieillard de 72 ans qui avait encouragé les siens à persévérer et qui fut roué le 20 octobre 1683 comme particulièrement dangereux.
Pour se débarrasser complètement des derniers protestants restés malgré les persécutions, on appliqua encore une fois, en 1684 et 1685, le système des dragonnades. Dans la province de Béarn, pays d’Henri IV, annexé à la France en 1620, et qui était devenu sous Jeanne d’Albret exclusivement protestant, l’intendant Nicolas Joseph Foucault se distingua par son zèle afin de gagner la faveur du roi et celle du chancelier Le Tellier. Il demanda des troupes à Louvois pour faciliter le travail des missionnaires et, sous prétexte de surveiller la frontière espagnole, on lui en envoya. Avec leur appui, il obtint qu’en août 1685 le Béarn, qui avait été jadis une des forteresses du protestantisme, ne comptât plus que trois à quatre cents pratiquants de la religion protestante. Des Pyrénées, au pied desquelles est située la province de Béarn, les dragonnades se propagèrent sur les plaines de France et leur succès fut tel que l’Église catholique put se vanter d’avoir obtenu des conversions en plus grand nombre que dans n’importe quel autre pays. Ni en Allemagne ni en Autriche, ni en Hongrie au plus mauvais jour de la Contre-Réforme les conversions en masse ne se produisirent comme en France durant ces deux années.
Il serait trop long d’énumérer toutes les provinces et les localités où le protestantisme fut anéanti par suite de la terreur qu’inspiraient les troupes envoyées pour opérer les conversions. Les mêmes scènes se répétèrent dans tous les pays. Là où les troupes pénétraient, les églises étaient détruites, les pasteurs bannis. Les commandants et les fonctionnaires du roi rivalisaient pour opérer aussi rapidement que possible le plus grand nombre de conversions. A la nouvelle des événements, personne ne voulait rester dans sa province. Les rapports au sujet des conversions en masse étaient accueillis à la cour comme des bulletins de victoire. En fait, le protestantisme se réduisait en France, en automne 1685, à quelques groupes et à quelques familles isolées.
On ne saurait reprocher aux transfuges la promptitude avec laquelle ils se courbèrent, souvent sans résistance, au joug qui leur étaient imposé, ni les accuser d’indifférence. Leur situation était désespérée. Il ne pouvait être question de résistance à main armée. Sans places fortes, sans armes, sans organisation, sans alliés, un soulèvement aurait été absolument inutile et aurait ressemblé à de la folie. La terreur qui, ainsi que nous l’avons dit, s’emparait des esprits à la nouvelle de l’approche des dragons était contagieuse. Les ordres les plus sévères donnés aux soldats de s’abstenir de toute violence ne réussirent pas à maintenir la discipline. Jeunes et vieux, riches et pauvres, hommes et femmes furent l’objet de mauvais traitements. Les plus courageux furent les plus éprouvés. Nous ne citerons que quelques exemples parmi un grand nombre d’autres. A Baurevard, en Dauphiné, on brûla avec une pelle rouge les pieds d’un nommé Pierre Lambert, de telle sorte que pendant quatre mois il ne put marcher. On brûla de même le cou et les mains d’un paysan, et sa fille, âgée de 17 ans, dut assister à ce supplice suspendue par les bras à une poutre. On versa du suif brûlant dans les yeux d’un nommé Charpentier. On fit à un protestant atteint de la goutte des plaies aux hanches et au côté et on y versa du vinaigre. On eût à nouveau recours à un moyen fréquemment employé lors des précédentes dragonnades et qui consistait à convertir les obstinés en les privant durant des jours et des semaines de tout sommeil. Il est impossible de décrire ici les traitements qu’on fit subir aux filles et aux femmes honnêtes. Nous ne mentionnerons qu’une cruauté particulièrement inhumaine : on attachait au montant du lit les femmes qui allaitaient, et ont plaçait à quelques pas d’elles les enfants souffrant de faim et de soif.
La destruction du protestantisme étant presque achevée, on jugea, en octobre 1685, le moment venu de faire le dernier pas et de révoquer l’Édit de Nantes lui-même. Sans doute Henri IV l’avait proclamé « irrévocable ». Tous les traités de paix, toutes les ordonnances et les décrets concernant les protestants le désignaient comme tel. En donnant à son libellé une interprétation factice, on s’était, à l’occasion des injustices les plus criantes et des oppressions les plus dures, référé à cet édit et l’on avait essayé de faire croire que rien n’avait changé à sa validité. On s’efforça alors de justifier la révocation de l’édit par son texte même. On prétexta qu’il y était dit : « Il n’a pas plu à Dieu que nous ayons présentement la même forme de religion », et l’on n’en déduisit que, puisque la France n’avait plus maintenant effectivement qu’une seule religion, rien ne s’opposait plus à la révocation. Le côté juridique de la question ayant été, dans une délibération spéciale à laquelle des théologiens catholiques prirent également part, tranché par l’affirmative, et la révocation ayant été considérée comme un devoir religieux, le procureur général du Parlement de Paris déclara que rien ne s’opposait à la révocation, et le chancelier Le Tellier rédigea le projet du décret qui devait réaliser la révocation. Ce fut le 17 octobre 1685 que Louis XIV, en signant ce décret à Fontainebleau, dépouilla d’un trait de plume les sujets protestants de son royaume de tous leurs droits et anéantit d’un coup de protestantisme français. Lorsque le chancelier Le Tellier, qui avait atteint par là un but qu’il poursuivait depuis longtemps, appliqua le sceau au bas du document de révocation, il s’écria : « Seigneur, maintenant vous pouvez rappeler en paix votre serviteur ».
On n’a jamais abusé d’une façon plus odieuse et plus criminelle de ces paroles du vieillard Siméon. La collaboration à cette mesure de violence de Louis XIV fut le dernier acte officiel de Le Tellier. Il mourut peu de jours après, le 30 octobre. Le décret fut validé du fait de son enregistrement par le Parlement de Paris, le 22 octobre. Ainsi s’explique que ce jour soit désigné comme celui de la révocation de l’Édit de Nantes. Nous ne mentionnerons ici que les principales dispositions de l’édit : toutes les églises protestantes devaient être immédiatement détruites ; toutes les réunions cultuelles, même dans les maisons particulières étaient interdites. Tous les pasteurs protestants étaient expulsés et devaient quitter le pays dans les quinze jours. Toutes les écoles protestantes étaient supprimées. Tous les enfants devaient recevoir le baptême catholique. L’émigration était interdite pour les hommes sous peine des galères, pour les femmes sous peine d’emprisonnement. Pour comble d’ironie, le document qui est la plus grande tache de la vie et du règne de Louis XIV conclut par les mots : « Ceux qui confessent encore la religion réformée pourront demeurer dans le royaume et s’y mouvoir librement jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de les éclairer ». Le traitement que subirent les quelques pratiquants de la religion évangélique demeurés en France a montré que ce n’était là qu’un mensonge.