Les pages sur la destruction de Juifs d’Europe se remplissent sans relâche, dévoilant la lâcheté et la culpabilité des nations dans cette catastrophe indicible. La conférence d’Evian de juillet 1938 vient compléter et éclairer ces pages sordides de leur histoire.
Raphael Delpard a écrit de nombreux livres et réalisé plusieurs films. Il a consacré différents ouvrages notamment aux enfants juifs cachés de la guerre, aux souffrances des Français d’Algérie, à l’attitude de la SNCF qui jusqu’après le 20 août 1944 (alors que les Américains entraient à Fontainebleau et que les Allemands allaient capituler le 25 août 1944), persistait à envoyer ses trains de Juifs français vers les camps de la mort.
Il nous apporte ici un nouveau témoignage, exceptionnel (1).
La France y tient son rôle au même titre que les pays que l’on a cru préoccupés de démocratie et de liberté, et qui ont acceptés de sacrifier des millions d’individus, parce que juifs, à leurs intérêts et à leurs peurs.
C’est un récit comme Raphael Delpard sait les écrire, d’un style fluide, apportant de nouveaux éléments à l’histoire et surtout construit comme un roman à suspense, avec le souci du détail de l’historien puisant ses sources dans des archives encore peu ou mal connues. Tout le monde sait ce qui va se passer mais attend, comme si un deus ex-machina allait pouvoir encore rendre un peu moins dure une réalité difficilement supportable.
Tout est dit pas à pas, à travers le rappel des événements depuis l’accession d’Hitler au pouvoir, en janvier 1933 sur la façon dont, par des lois raciales, par des brimades, des violences, des exclusions, des actes de cruauté, les Juifs allemands se sont trouvés pris dans une nasse d’où personne ne leur permettra de s’échapper.
Et aussi comment l’expression orale et le charisme d’un seul homme a pu conduire d’autres hommes vers les pires actions.
Un clin d’œil au présent
Un clin d’œil au présent car les arguments développés alors contre les Juifs sont encore ceux d’aujourd’hui, de l’Iran des Mollahs, de la Turquie de Erdogan, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite européenne « la finance internationale dirigée en sous-main par les Juifs, prête à fondre sur les entreprises allemandes et à les dépouiller de leurs maigres ressources au profit du capital ». Hitler savait qu’il pouvait « rassembler le peuple car le Juif est un sujet mobilisateur, un exutoire pratique que l’on peut utiliser à tout moment »
Ce passé sert à comprendre le présent et retrouver les comportements presque immuables des hommes face à des questions et des problèmes semblables.
Et dans ces pages d’histoire on découvre que toutes les nations, quoiqu’elles aient pu prétendre lors de la découverte des charniers des camps d’extermination, savaient. Elles savaient, mais leur indifférence était sans limite. Elles collaboraient même à l’essor allemand par des accords et échanges économiques. Les seules choses qu’elles auraient dû (et pu) faire, à savoir le boycott de l’Allemagne avec l’arrêt des échanges commerciaux avec ce pays et le sauvetage des Juifs d’Europe, elles n’ont fait ni l’une ni l’autre, volontairement, délibérément.
Comme ce que souhaitent et font aujourd’hui les nations face à l’Iran dans sa quête de nucléaire militaire.
Le fil des événements analysés et décrits par Raphael Delpard nous amène à nous redemander si l’histoire est ou non un éternel recommencement ? Si oui il n’y a rien à attendre de ces spectateurs passifs, seulement capables d’organiser ces tristes mais inutiles marches blanches quand frappe la foudre, de cette presse qui choisit ce qu’il convient selon elle d’écrire et surtout d’occulter, de tous ces responsables qui revoient se jouer devant eux une pièce dont ils connaissent l’issue, qui savent mais ne veulent rien faire pour en changer la fin.
Tout le monde aurait voulu, mais…
En Allemagne, en Autriche, la situation des Juifs devient vite désespérée : exclusions de leurs emplois, accroissement des suicides, expulsions avec perte de leurs biens, tentatives de fuite alors que les frontières des pays pouvant les accueillir se ferment une à une. Le flot croissant de réfugiés amène Roosevelt à lancer l’idée d’une conférence internationale pour les réfugiés pour demander au pays participants de faire ce que les USA refusent pour eux, à savoir accueillir pour les sauver 650 000 Juifs en déshérence.
Hitler attend.
Raphael Delpard explique comment les uns après les autres, les représentants des pays réunis à Evian du 6 juillet au 15 juillet 1938, ont rappelé leurs traditions d’accueil, leur volonté d’assister et de secourir les personnes en détresse, leur attachement à soulager les misères du monde, affirmant qu’ils auraient bien voulu accueillir ces malheureux, mais, des larmes dans la voix, qu’ils ne le pouvaient vraiment pas pour des raisons plus hypocrites les unes que les autres.
Ainsi le représentant de la France expliqua que les ressources du pays n’étaient « hélas pas aussi illimitées que son ardeur à servir la communauté des hommes » celui de la Grande Bretagne, que le pays « n’était pas un pays d’immigration ». Le Néerlandais prétexta le chômage, le Belge une saturation d’immigration, le Mexicain une réforme économique, le Brésilien la crise ayant contraint à des mesures de limitation de l’immigration, le Canadien le souhait de n’accueillir que des agriculteurs etc…
Bref tout le monde aurait voulu mais personne ne pouvait, …
Feu vert pour la suite et fin
Pour décider de ne pas sauver quelques 650 000 juifs, la conférence d’Evian donnait les mains libres à Hitler pour accomplir sa funeste entreprise d’extermination des Juifs d’Europe.
Le Führer exultait :
« Ces démocraties jettent les hauts cris devant la cruauté sans borne avec laquelle l’Allemagne tente de se débarrasser des Juifs…(..).. Oui, on gémit. Mais cela ne veut pas dire que ces pays aient l’intention de résoudre par une action efficace le problème qu’ils posent avec hypocrisie. Bien au contraire, ils affirment le plus froidement du monde qu’il n’y a pas assez de place chez eux… Bref, de l’aide – non ! Des leçons – ça oui ! »
Ce livre est un document remarquable sur ce que l’auteur appelle « la conférence de la honte » qui fut un véritable tournant dans l’extermination des Juifs d’Europe. Il rappelle que « Si le crime nazi envers les Juifs et les Tziganes est imprescriptible, il a été rendu possible par le silence des nations ».
Il ne peut être résumé en un article.
Il faut le lire pour comprendre le fil des événements, connaître les raisons des décisions prises, de l’abandon des Juifs par des pays que l’on a pu croire épris de liberté et de justice, de la trahison de l’Amérique qui ne date pas de la présidence d’Obama, des témoignages émouvants de ceux qui vécurent ces heures épouvantables, mais aussi des actions lumineuses de quelques autres. Il y en eut, comme le remarquable James Grover MacDonald d’un courage et d’une lucidité magnifique, mais ils ne furent pas très nombreux
Ne sont pas aujourd’hui très nombreux non plus, ceux qui se sont inquiétés des dangers pour le grand reliquat du peuple juif d’Israël, et opposés à l’accord sur le nucléaire iranien signé le 2 avril 2015 à Lausanne…par une partie de ces mêmes de la conférence de la honte, à Evian.
Distance Lausanne-Evian 66 km par la route, 14 km par le lac.
Par Fabien Ghez – JSSNews
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La conférence de la honte- Editions Michalon- à paraître le 15 mai 2015