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Méa Shéarim: la vie quotidienne d’une « ville » figée dans le temps / i24 news

Méa Shéarim pendant la fête de Pourim
Ofir Barak

Vestes et chapeaux noirs déambulant dans les rues, barbes et papillotes, visages formant un groupe d’individus en apparence identiques et coupés de la société. Une représentation souvent négative – surtout depuis les grands rassemblements pour manifester contre le service militaire obligatoire. Tel est le regard communément porté sur la communauté juive orthodoxe de Méa Shéarim à Jérusalem.

Or, vu de l’intérieur, la vie de ce quartier dévoile une toute autre réalité d’hommes dévoués à l’étude de la Torah, de femmes ayant la charge de leur famille et d’enfants, qui comme ailleurs, inspirent joie et insouciance.

Un monde figé dans le temps, que le photographe Ofir Barak a cherché à comprendre – choisissant d’ignorer volontairement l’influence des médias et des sujets politiques – au travers d’un travail qui a duré plus de trois ans et demi, lequel lui a permis de réaliser près de 15.000 clichés et de remporter un prix de la prestigieuse agence Magnum Photo dans la catégorie « photographie de rue » en 2016.

« Afin d’obtenir de bons clichés, j’ai dû me rendre dans le quartier encore et encore parce qu’au début, ils m’intimidaient. Quand j’ai levé mon objectif pour la première fois – les quelques fois où j’y suis allé – les gens là-bas pouvaient me tuer rien qu’avec le regard (…) mais ensuite vous commencez à prendre confiance et vous commencez à vous adapter à l’endroit », explique Ofir Barak.

Au début de son projet, le photographe passait par le quartier en revenant du travail, puis a commencé à y manger régulièrement, à y aller « juste pour s’entraîner, se sentir normal dans l’endroit, pour connaître les petites entrées et les routes », allant même jusqu’à emménager dans un appartement plus près du quartier.

« Si quelque chose arrivait, je pouvais y être en une minute », raconte-t-il, précisant que lors de ses déplacements, de jour comme de nuit, il ne portait que du noir, du bleu ou du gris de même qu’il s’était laissé pousser une barbe.

Ofir BarakPrix Magnum Photo dans la catégorie « photographie de rue » en 2016
Ofir Barak

Fondé en 1874, Méa Shéarim est l’un des cinq premiers quartiers juifs construit hors des murs de la vieille ville de Jérusalem. Son nom tiré d’un verset de la Torah correspond à la Parasha de la semaine lue à la synagogue la semaine où fut créé le quartier : « Isaac sema en cette terre-là, et il recueillit cette année-là le centuple (Méa Shéarim), car Dieu le bénit. » (Genèse 26:12).

« Je dirais que l’endroit s’est également adapté à moi parce que ce n’est pas très grand donc les gens ont commencé à me reconnaître surtout quand je photographiais pendant les journées ordinaires, en dehors des fêtes. Car pendant les fêtes, il arrive souvent que les gens viennent prendre des photos des costumes à Pourim ou des cérémonies lors de Pessah (Pâque juive) », relate-t-il.

La grande majorité des habitants de Méa Shéarim sont ashkénazes et parlent le yiddish dans leur vie quotidienne. La seule utilisation de l’hébreu se fait pendant la prière et l’étude religieuse, l’hébreu étant pour eux une langue sacrée à utiliser uniquement à des fins religieuses.

Si certaines familles sont aisées, d’autres vivent aussi dans le besoin, aidées par des institutions caritatives locales. La toute première photographie du quartier prise par Ofir Barak était d’ailleurs celle d’un mendiant, qui lui tendait la main par charité.

« C’était extrêmement dur pendant l’édition du livre parce que ma première ébauche était vraiment triste. J’ai vu beaucoup de tristesse, beaucoup de femmes déprimées et l’oppression masculine. Et les enfants qui ne connaissent rien de la technologie… des gens qui n’étaient pas vraiment heureux. Cela était vraiment triste de me rendre compte que c’était tout ce que j’avais pu voir dans cet endroit », se souvient le photographe.

Ofir Barak« Mais la tristesse n’est pas présente partout autour de vous »
Ofir Barak

« Mais la tristesse n’est pas présente partout autour de vous. Vous avez aussi des influences positives… alors j’ai abandonné le premier brouillon puis je suis retourné là-bas et j’ai décidé que j’allais maintenant prendre de bonnes photos, qui reflètent le bonheur, la joie… « , continue-t-il au sujet de son ouvrage « Mea Shearim – The streets » (Méa Shéarim – Les rues) salué personnellement par le président d’Israël Reuven Rivlin, lui-même issu d’une famille orthodoxe descendante des disciples du Gaon de Vilna.

En outre, il précise que même si ces personnes sont « hassidiques » (issues du mouvement religieux fondé au 18ème siècle en Europe de l’Est) et intraitables en ce qui concerne la religion, ils ont également su apprécier, au fil des discussions et des explications, son travail.

« Certaines personnes ont répondu favorablement à ce que je faisais. Elle m’ont aussi aidé à obtenir de bonnes photos et trouver de bonnes situations parce qu’elles voulaient être vues d’une manière positive », confie Barak.

En effet, loin de la révolution digitale des téléphones portables, Instagram et Facebook, la communauté n’a pas la possibilité de faire connaître son quotidien ou ses valeurs, et de facto se marginalise. Ainsi, Méa Shéarim reste fidèle à ses vieilles coutumes et préserve son isolement dans le cœur de Jérusalem, mais engendre aussi de l’incompréhension allant jusqu’à une certaine forme de répulsion, souvent infondée.

« Ce qu’il y a de positif, c’est la volonté de ces gens-là – un peu de tout le monde orthodoxe mais là c’est plus spécial et plus tranché – de se maintenir dans le vieux monde juif du ghetto d’il y a 200 ou 300 ans », explique le Rav Henri Kahn, rédacteur en chef du magazine Kountrass à Méa Shéarim.

« C’est cela qu’ils font sincèrement jusqu’au bout – d’une manière un peu extrême – mais on a besoin de ça aussi, de gens qui tiennent à maintenir la tradition de la manière la plus authentique, la plus sérieuse et la plus sincère », insiste-t-il ajoutant que « quelque part si on le prend bien, on ne peut qu’apprécier cette volonté ».

Ofir BarakDes les rues de Méa Shéarim
Ofir Barak

Il souligne toutefois que « c’est vrai que dans cette volonté, il y a des choses qui vont gêner », se référant notamment aux règles de conduite dans les espaces publics ou les codes vestimentaires.

Les hommes et les garçons par exemple doivent porter des redingotes et des chapeaux noirs. De longues barbes couvrent leurs visages et beaucoup ont des boucles (papillotes) sur les côtés. Les femmes et les filles sont vêtues de robes sobres et longues de même que leurs épaules doivent toujours être couvertes. Les femmes mariées portent quant-à-elle des couvre-chefs variés, des chapeaux aux perruques en passant par des foulards.

Et effectivement, l’image négative du milieu orthodoxe s’est accentuée ces dernières années notamment depuis la médiatisation de la séparation hommes/femmes dans les bus, les protestations contre l’ouverture des cinémas et des commerces pendants le Shabbat ou le début des manifestations contre le service militaire obligatoire.

Une expérience également vécue de l’intérieur par Ofir Barak: « certaines personnes n’ont pas réagi très bien. Ils ont essayé de casser mon appareil photo, et même de me tuer. J’ai été poussé, il y avait beaucoup de rassemblement autour de moi surtout pendant les manifestations contre l’armée. J’étais considéré comme un informateur de la police et quand une centaine de personnes se rassemblent autour de vous et essaient de vous crier dessus, c’était vraiment dur ».

Ofir BarakLes hommes et les garçons doivent porter des redingotes et des chapeaux noirs
Ofir Barak

« C’est vrai que ça peut être heurtant, que ça peut être irritant, que ça peut être surprenant mais je crois qu’il faut comprendre leur volonté. Le milieu de Méa Shéarim n’est pas une enceinte avec des singes. Certainement pas. Il faut essayer de comprendre les choses de leur point de vue », insiste pour sa part le Rav Henri Kahn rappelant que leur message est simplement « celui d’une longue tradition qu’ils veulent conserver ».

« Si l’establishment attend et exige du monde orthodoxe qu’il vienne à l’armée, il faut lui donner les moyens, et il y a tout de même des choses dans la vie quotidienne de l’orthodoxe qu’il faut savoir respecter et qu’il faut savoir accorder », fait-il remarquer au sujet du service militaire.

Car selon lui, outre ces désaccords avec l’Etat « il n’y a pas de plus accueillant et de gens faciles à vivre que le monde orthodoxe ». « Quand on les connaît au quotidien, on constate que les gens sont équilibrés, sont heureux, sont bien dans leur peau, surs de leurs affaires », dit-il.

Un sentiment partagé par Ofir Barak: « j’ai appris en trois ans et demi que tout ne ressemble pas à ce qu’on voit à la télévision ou dans les journaux. Il y a des gens derrière l’idée qu’on s’en fait et ces gens ont des vies ».

Et d’ajouter: « peut-être que leurs vies sont différentes des vôtres mais pour y poser un regard juste, vous devez vous libérer de tout ce que vous saviez afin d’obtenir une image qui racontera toute leur histoire ».

A l’écart de ceux pris dans l’interminable course contre le temps, Méa Shéarim est donc cette ville dans la ville, figée dans sa propre temporalité.

Un milieu dans lequel la communauté aspire à des choses « plus liées à la tradition », où l’épanouissement passe d’abord par une vie vouée à l’étude, la famille et la joie d’avoir des enfants et qui, à rebours de la modernité, a choisi de se maintenir dans le vieux monde juif des shtetls.

« S’il est honnête, même quelqu’un qui vit à Tel-Aviv et se conduit comme quelqu’un qui vit à Tel-Aviv le sent aussi. Il comprend qu’il y a quelque chose de fondamental dans ce truc juif, qu’on se doit de respecter, qui est notre âme. C’est l’âme du peuple juif qui se trouve là-dedans », conclut le Rav Henri Kahn.

Nathalie Boehler est journaliste et rédactrice Web pour le site internet français de i24NEWS.

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