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« Ô Toulouse, mon beau pais » chantait Nougaro

By 29 septembre 2014Lève-toi !

Enquête au cœur de l’islam radical à Toulouse

lundi 29 septembre 2014, par Jihadisme Français

« Je suis inquiet. Les choses ont évolué. On se retrouve face à quelques individus qui sont méconnaissables. Et pourtant, nous essayons de donner à nos enfants une éducation positive… »

Djamel Sekkak, solide quinquagénaire aux cheveux gris, reçoit dans son modeste bureau du faubourg Bonnefoy à Toulouse. Il a un sourire bienveillant. Il dirige une entreprise de pompes funèbres musulmanes. Beaucoup de paperasses, mais aussi beaucoup de chagrins, de douleurs, qu’il faut savoir adoucir.

En mars 2012, Djamel s’est retrouvé dans une situation terrible : il a été chargé d’organiser les obsèques de deux soldats assassinés par Mohammed Merah. Et c’est également à lui qu’on a fait appel pour les funérailles du tueur au scooter…

« Entre ces trois familles, j’ai vécu les journées les plus difficiles de toute ma vie. » Rien que d’y repenser, son visage se crispe. Et lorsqu’il constate que des jeunes veulent partir pour le jihad, il se désole : « Pourtant, l’Islam, c’est aussi une richesse pour la France ! Regardez, moi, je crée des emplois. Le halal, cela crée des emplois ! Mes enfants ont fait de bonnes études, et en France, les portes nous sont ouvertes ! » Son ami, Mohamed Ben Ramdane Khemliche, président du Football Algérie-Toulouse affirme : « Nous nous voulons un corps sain dans un esprit sain. Le sport, c’est la sagesse, il faut éliminer les mauvais esprits. »

Jihad ? Guerre sainte ? Les musulmans de Toulouse, dans leur immense majorité, ne se reconnaissent absolument pas dans ces combattants fanatiques qui tentent de recruter leurs enfants – comme du reste, des enfants d’autres religions. Mais ils savent tous que l’extrémisme religieux est là, très près de chez eux. Et depuis longtemps.

Filières ariégeoises, toulousaines, tarnaises…

L’islam radical est arrivé à Toulouse à l’état embryonnaire il y a une vingtaine d’années. À l’époque, le Groupe islamique armé (GIA) terrorisait l’Algérie, et ses actions avaient largement débordé sur la France. En 2001, juste après les attentats du 11 septembre, à Toulouse, a lieu l’explosion de l’usine AZF. Un groupuscule islamiste toulousain est soupçonné brièvement, et ses membres sont interpellés près d’Agen. La preuve que déjà, la police avait à l’œil cette mouvance.

En 2007, c’est un coup de filet que la police va lancer chez les islamistes, soupçonnés de vouloir partir pour le jihad en Irak contre les Américains. Une dizaine de personnes est arrêtée. Dont des Toulousains et des Tarnais convertis à l’Islam. C’est la filière « ariégeoise », autour du « cheik » d’Artigat, Olivier Corel. Dans l’équipe, il y avait déjà Abdelkader Merah, frère de Mohammed… Beaucoup ont depuis disparu de la circulation. Peut-être morts entre Irak et Syrie. Mais, eux aussi, avaient été surveillés de près, lorsqu’ils prêchaient dans les mosquées ou quand ils vendaient sur les marchés des exemplaires du Coran et des petits bouquins prêchant une foi aveugle. Ceux sont eux qui ont, en partie « élevé » Mohammed Merah.

Aujourd’hui, il y a sans doute entre 50 et 100 salafistes à Toulouse. « Mais », explique Boris – source proche des milieux judiciaires –,« salafiste ne veut pas forcément dire jihadistes. Ce sont des fondamentalistes qui veulent vivre comme au temps du Prophète. Bien sûr, parmi eux, on peut trouver des personnalités violentes, que la misère sociale va radicaliser. » Un discours radical sur une personnalité psychopathique : voilà qui donne la bombe Merah.

A l’université

Les plus radicaux des islamistes peuvent se mêler aux musulmans modérés qui pratiquent leur culte à Toulouse, dans les quartiers d’Empalot, Bagatelle, les Izards. « Le quartier du Mirail est plutôt proche des Frères musulmans », estime Boris. Un islam réputé plutôt rigoriste. Chaque vendredi après-midi, le parking de Basso-Cambo se remplit. Les voitures débordent sur les ronds-points avoisinants. Des centaines de fidèles sont là pour la prière.

« Les « recruteurs » bougent beaucoup », constate Patrick, un collègue de Boris. « En France, tout d’abord. Ils sont étudiants à Lyon, puis à Paris, puis Toulouse. Ils sont présents dans les facultés. Ils font de la propagande. Ils ont toujours deux ou trois téléphones, sont prudents et méfiants. Les filles sont voilées de pied en cap. Les garçons eux, peuvent être en jean. Mais lorsqu’on discute avec eux, on voit qu’ils ont un discours radical. Ils sont aussi bien à la fac du Mirail qu’à Rangueil ou à l’Arsenal. »

« Certains profs ont été intimidés », observe Maria, une étudiante du Mirail. « Les salafistes n’aiment pas qu’on les dénonce comme des extrémistes. Mais ils ont quelque chose de sectaire. »

« Beaucoup se déplacent aussi à l’étranger, à la Mecque, à Médine, et puis en Égypte qui est le berceau des Frères musulmans », poursuit Boris. « Et on voit qu’ils peuvent avoir de solides moyens financiers derrière eux… » Certains propagandistes, qui touchent officiellement le RSA, disposent de belles villas dans les banlieues chics de Toulouse, avec de belles voitures… « D’où vient l’argent ? Sans doute des pays du Golfe ! », soupire Patrick.

« On a aussi beaucoup dit que les intégristes bénéficiaient de l’argent de la drogue : pour moi, c’est une chimère », assure Boris. « Cela n’a jamais été prouvé, il n’y a jamais eu d’éléments matériels dans les enquêtes menées. En revanche, ce qui est une des caractéristiques du salafisme toulousain, c’est son infiltration au sein de bandes de délinquants. Beaucoup de conversions auraient lieu en prison : là encore, ce n’est pas forcément exact. »

« Car ces recruteurs ont souvent du charisme », estime Louis, éducateur dans une cité de Toulouse. « Et ils tiennent un discours qui plaît aux jeunes en galère : « Tu n’as jamais été accepté dans ce pays, pas même à l’école, et tu ne seras jamais accepté »… Ils jouent sur du velours. Et ils intimident les mamans plus modérées, en affirmant que ce sont eux, les bons musulmans. »

Intimidations ? Il y a quelques semaines, à Albi, un groupe de jeunes d’origine kurde (donc musulmans) a été interpellé par un autre groupe d’origine maghrébine. De toute évidence, tout le monde se connaissait : «  Vous êtes des mécréants, des ennemis de Dieu. Vous avez tué des frères  », ont-ils lancé à propos de ce qui se passait en Irak. « Ces garçons-là n’ont rien d’intégristes, j’en suis sûr », observe un témoin. « Mais, ce discours-là, ils ne l’ont pas inventé ! Est-ce qu’ils ont entendu de la bouche des intégristes ? Est-ce un discours entendu sur les réseaux sociaux ? »

Évidemment, à Albi, Toulouse ou ailleurs, toute une jeunesse est branchée sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux, où s’échangent des idées dangereuses et des images ignobles. On se souvient que Merah avait été poursuivi pour avoir montré des scènes de décapitation à un jeune voisin de 15 ans, qui en avait été traumatisé. Mais effectivement, à Toulouse, il y a des hommes et des femmes qui n’ont rien de virtuel et qui peuvent ouvrir les portes des filières. Au mieux pour un embrigadement religieux rétrograde et sectaire. Au pire pour un engagement jihadiste ou terroriste.

Certains prénoms ont été changés.

2007-2014 : les mêmes…

Décembre 2006, à Hamah en Syrie, la police d’Hafez el-Assad arrête deux Français de 23 et 25 ans. Toulouse et Albi se trouvent loin du jihad et de la révolte des islamistes radicaux. Pourtant, ces deux garçons qui voulaient se battre en Irak contre les Américains ont grandi à Toulouse et Albi. Et si Sabri Essid et Thomas Barnouin, plus Miloud Chachou un autre Toulousain vraissemblablement mort en Irak, ont pu « faire le voyage », c’est grâce à l’aide de leurs « frères » de Toulouse et d’Artigat – du nom du petit village de l’Ariège où « l’émir blanc » Olivier Corel dispense ses prêches et sa connaissance du Coran à quelques initiés .

Février 2007. La sous-division anti-terroriste de la police judiciaire démonte la « filière d’Artigat ». Des ramifactions vont jusqu’en Belgique, en Egypte et en Syrie. Parmi les suspects : Sabri Essid, Thomas Barnoin ou encore Imad Djebali. Ce dernier semble être considéré comme le leader du groupe. On retrouve déjà Abdelkader Merah, le frère de Mohammed et de Souad, qui sera inquiété par les investigations du juge anti-terroriste mais finalement pas poursuivi.

Juillet 2011. Sabri Essid sort de prison et rejoint Toulouse. « J’avais été approché par un de ses proches pour essayer de l’aider pour un boulot pour accélérer sa sortie », glisse un témoin. « Je me suis renseigné et j’ai vite compris qu’il était encore plus fanatisé que lorsqu’il est partie vers la Syrie. » Le père de Sabri Essid est une personnalité active du milieu salafiste, et il a épousé la mère de Mohammed Merah. C’est Sabri Essid qui, pendant la semaine qui a précédé le massacre de l’école Ozar Hatorah, a échangé plus de 60 conversations avec « le tueur au scooter » avant d’organiser ses obsèques. Sabri Essid a par ailleurs été vu en train de s’entraîner avec des membres de la filière des « Albigeois » dans un parc de la Reynerie à Toulouse fin 2013. Enfin Sabri Essid est parti en Syrie avec son jeune frère Wallid, mais également Thomas Barnoin, entre février et mars 2014.

Dominique Delpiroux et Jean Cohadon

Publié le 24/09/2014 à 07:32, Mis à jour le 25/09/2014 à 10:19

ladepeche.fr

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