Alors que la communauté juive de France s’interroge sur son avenir, il importe de garder à l’esprit des repères essentiels, et cela sans s’adonner au mélange des genres, celui qui mène à substituer la théologie à la politique. La célébration de Pourim en donne l’occasion. Elle marque en premier lieu la conversion sensible et palpable de l’hiver au printemps. Cette conversion-là n’est pas seulement climatique. Elle souligne en effet un état d’esprit, celui qui inspire une forme aigue et intense de résistance morale face aux multiples visages et langages de l’antisémitisme. Il faut bien comprendre que ce fléau n’est ni circonstanciel, ni accessible à la raison.
[Illustration : Esther devant Assuerus ; Giovanni Andrea SIRANI; 1630 ; huile sur toile, Musée des Beaux Arts, Budapest]
L’antisémitisme est inhérent à la manière aberrante dont s’est constituée l’identité occidentale durant plus deux millénaires. Lutter contre l’antisémitisme exige que l’on ait le souffle long et qu’on ne s’étonne pas, après chaque victoire contre ses sbires, qu’il reprenne sans cesse, si l’on peut dire, du poil de la bête, et quelle bête puisque le livre de Job laisse le choix entre Léviathan et Béhémoth!
Pourtant nous ne vivons plus au temps de Pharaon ou de Haman.
Nous vivons au temps de l’Etat d’Israël ressuscité après vingt siècles d’exil et de dispersion. Déjà, lorsque le peuple juif s’est retrouvé pulvérisé parmi les nations et exposé aux lubies de potentats divinisés, il s’est trouvé des êtres à la fois inflexibles et capables de prier, comme Mardochée et Esther lorsqu’ils surent faire face à une adversité qui s’annonçait fatale. Rien ne les fit plier, pas même le sentiment de peur sans lequel un être de sang et de chair ne saurait pas vraiment ce qu’est la condition humaine.
Cette capacité de résistance morale procédait également et indissociablement d’une intelligence vive de la situation du peuple juif et de son environnement mortel. Car cet environnement-là était simultanément traversé par des contradictions majeures entre intérêts personnels, statuts politiques, ambitions forcenées, qui ne tarderaient pas à se manifester férocement.
En ce sens, Mardochée comme Esther furent des personnalités prophétiques si le prophète se définit aussi par la capacité de percevoir l’instant décisif, celui à partir duquel une époque bascule, une situation se renverse et que les juges du trop fameux tribunal de l’Histoire réalisent qu’ils vont à leur tour être jugés.
Aujourd’hui en France, la communauté juive vit pratiquement en état de siège.
Nul ne peut prédire l’impact de cette « bunkérisation » insensée en plein XXIème siècle sur le psychisme d’enfants qui doivent de toute façon ne pas manquer la classe. La stratégie des antisémites de tous acabits est de leur mettre la vie à charge. C’est justement dans ces circonstances que sa propre histoire spirituelle lui procure les ressources d’une résistance exemplaire. Car statistiquement parlant, tous ceux qui au long des siècles ont tenté de l’exterminer ont fini pendus ou carbonisés.
En attendant, il faut discerner les deux affects essentiels de Pourim et s’y tenir fortement : Le courage et la joie.
Car comme y insistent les Sages d’Israël : Si la peur est contagieuse, la joie est communicative.
Source : Raphaël Draï, chronique Radio J, 2 mars 2015.
Note Europe-Israël : L’histoire en bref de la fête de Pourim : Elle est célébrée chaque année le 14ème jour du mois hébraïque d’Adar (fin de l’hiver/début du printemps). Elle commémore le salut miraculeux du peuple juif dans l’ancien Empire perse (Iran actuel) du complot ourdi par Haman pour « détruire, exterminer et anéantir tous les juifs jeunes et vieux, enfants et femmes, en un seul jour. »
Pourim, פורים , mot d’origine persane signifie « sorts ». C’est le jour où le sort, le pour fut tiré par Haman, le ministre du roi Assuérus, qui cherchait le moment idéal pour anéantir le peuple juif, le 13 Adar. Le mois d’Adar était le mois de la mort de Moshé, et Haman y voyait là un heureux présage annonçant la fin du peuple qu’il haïssait. Mais il avait oublié que c’était également la date de la naissance de Moshé !
Dans l’Empire perse du 4ème siècle avant l’ère commune, le roi Assuérus fit exécuter son épouse, la reine Vashti, pour lui avoir désobéi, puis il organisa un concours de beauté pour trouver une nouvelle reine. Une fille juive, Esther, trouva faveur à ses yeux et devint la reine – bien qu’elle refusât de divulguer quelle était sa nationalité.
Entre temps, l’antisémite Haman fut nommé premier ministre de l’Empire. Mordékhaï, le chef des Juifs (et le cousin d’Esther), défia l’ordre du roi en refusant de se prosterner devant Haman, qui portait l’effigie d’une idole sur sa poitrine. Celui-ci, exaspéré, convainquit le roi de promulguer un décret ordonnant l’extermination de tous les Juifs le 13ème jour de Adar – une date qui fut tirée au sort par Haman.
Mordékhaï galvanisa les Juifs et les convainquit de se repentir, de jeûner et de prier D.ieu. Pendant ce temps, Esther invita le roi et Haman à participer à un festin. Lors de ce festin, Esther révéla au roi son identité juive. Haman fut pendu, Mordékhaï fut nommé premier ministre à sa place et un nouveau décret fut promulgué, donnant au Juifs le droit de se défendre contre leurs ennemis. Et c’est le 13ème jour d’Adar que les Juifs prirent les armes et vainquirent leurs agresseurs, en en tuant de nombreux. Le 14 Adar, ils se reposèrent et célébrèrent leur victoire et le miracle de D.ieu.