L’heure est venue… – Par S. Trigano
Ce qui s’est passé le dimanche 13 juillet 2014 à Paris[1] est, à de nombreux points de vue, un événement considérable, un tournant dans la vague antisémite commencée au début des années 2000. C’est comme la répétition en bonne et due forme d’un pogrom qui a échoué mais qui risque de se reproduire. Il aurait pu réussir, cependant, et provoquer mort d’homme, si ce n’était la résistance improvisée du Beitar et de la Ligue de défense juive devant la synagogue de la Roquette. Telle était l’intention des émeutiers vu les armes dont ils étaient pourvus et l’ampleur des cibles visées: 2 synagogues (et la veille Belleville et Aulnay sous Bois) et le signalement d’adresses juives, cibles potentielles, sur le parcours de la manifestation.
L’acte est manifestement antisémite car ni les émeutiers ne sont des « Palestiniens », ni les Juifs français agressés ne sont des Israéliens. L’événement est franco-français. Il émane non pas d’une idéologie politique mais d’une appartenance ethnique et communautaire, religieuse (arabo-musulmane). De même, sa cible ne concerne pas les adhérents d’un parti politique mais une appartenance ethnique et religieuse, les Juifs (pour l’occasion identifiés aux Israéliens), en deçà de toute option, ce qui en fait un acte typiquement raciste, quoiqu’un racisme de source religieuse comme les symboles identitaires des assaillants et leurs slogans le montraient.
Par ailleurs, le lien de cette manifestation avec une campagne internationale, sans doute par le biais des Frères Musulmans, semble évident. « Chameau ne voit pas sa bosse » pour des gens qui fustige le « sionisme international »… Le prétexte invoqué est dilatoire: il y a eu 170 morts à Gaza, dont une majeure partie de terroristes, et 170 000 morts en Syrie. La comparaison vaut le détour car 170 000 morts n’ont suscité aucun scandale ni aucune compassion dans l’opinion musulmane. Aucune manifestation. Le caractère de prétexte est donc ici clairement évident. C’est les Juifs qui sont en question, pas les Palestiniens.
Depuis l’an 2000, la cause palestinienne est l’emblême de l’activisme islamique en France qui a trouvé dans l’antisionisme dominant dans les médias et la société une justification « morale » à son éruption violente sur la scène publique et une avenue à son développement. Cela n’a été que la première étape d’une violence qui a gagné tous les territoires de la société, à la façon dont les 500 agressions de 2001 ont précédé la « révolte des banlieues » de 2005.
Sommes nous en France en situation de guerre civile? La confiance dans le fair play citoyen d’une partie de la société française risque fort d’avoir été définitivement rompue. Mais que va-t-il se passer dans la vie quotidienne, la vie civile, la vie économique, la vie administrative? Car il y a d’autres informations inquiétantes venant de ces domaines. Déjà les populations juives, celles qui le peuvent, se sont d’elles mêmes repliées dans des quartiers plus sûrs. Les enfants juifs ont déserté en masse l’école publique incapable d’assurer leur protection. Les étudiants juifs évitent certaines universités. Un élément juif dans un CV est souvent fatal. Les écoles juives elles mêmes et les synagogues sont devenues des casemates. Les Juifs sont progressivement repoussés d’un espace qui n’est plus « public » mais fragmenté sous l’effet de la « diversité ». L’image des Juifs, d’Israël, voire du judaïsme, est sans cesse bafouée… Sans compter les terroristes potentiels du djihad qui sont parmi nous.
A celà s’ajoute la complaisance de la société et la somnolence de l’Etat, qui durent depuis 14 ans. Empétrés dans le politiquement correct européen, les hommes d’Etat ont fait une erreur d’analyse stratégique considérable qui non seulement n’a pas fait obstacle à la dégradation mais l’a empirée de plus belle. Dans les interventions des deux têtes de l’Etat après La Bastille, cette erreur est réïtérée. Manuel Valls ne veut pas laisser « le conflit israélo-palestinien s’importer en France » . C’est ce que pense Hollande « Le conflit israélo-palestinien ne peut pas s’importer. L’antisémitisme ne peut pas être utilisé parce qu’il y a un conflit entre Israël et la Palestine« . C’est un déni de la nature du problème qui est français, religieux, ethnique. Israël n’est qu’un prétexte, à l’inverse de ce que dit Hollande. En faisant référence à Israël, on accumule encore plus l’opprobre sur lui, on enrage encore plus les émeutiers, et on renforce leur « raison » de manifester. On évite ainsi de se confronter au problème strictement français. Jean Yves Le Drian en demandant « à Israël de faire preuve de mesure dans sa riposte, de respecter le droit international et de faire en sorte que les victimes civiles soient épargnées» ne fait que répéter le mantra gaulliste de 1967 qui vise à interdire à Israël le droit à l’auto-défense. Plutôt que toucher à un seul Palestinien il vaut mieux que les Israéliens se laissent tuer. C’est le même « politiquement correct » qui sévit en France et déforme la réalité, transporté sur le plan international. Juifs, souffrez en silence!
Le plus terrible reste cependant la réaction ou l’absence de réaction de la société et notamment des médias. La dépèche de l’AFP est un modèle du genre en matière de réécriture des événements dans le sens de leur dénaturation[2], mâtinée de l’opinion du grand « expert » en la matière, Pascal Boniface:« Interdire ce type de manifestation serait un remède pire que le mal». Les manifestants fustigeant la cruauté d’Israël sont abondamment cités et bien sûr l’AFP incrimine la Ligue de défense juive. Elle fournit dans sa dépêche un schéma sur les pertes à Gaza comme pour justifier implicitement la manifestation.
Quel va être l’impact de cet événement sur les Juifs de France? Il pourrait jouer le rôle que des faits de ce type ont rempli dans le passé pour les Juifs du monde arabe: un événement symbolique très fort (une émeute,un assassinat…) qui donne le signal du départ en donnant à comprendre aux Juifs qu’ils n’ont plus d’avenir dans le pays qui était le leur. Ce phénomène s’est répété dans les 10 pays d’où les Juifs ont été chassés en masse. Après tout ce serait plausible car c’est comme si l’exclusion des Juifs, qui avait commencé en Afrique du Nord et qui, d’une certaine façon menace, depuis, ceux d’entre eux qui ont trouvé refuge en Israël, se poursuivait sur le sol français. De la « Françalgérie »?
Par Shmuel Trigano – JSSNews
S. Trigano est l’auteur de dizaines d’ouvrages tous plus intéressants les uns que les autres.
[1] Et à Marseille, à Nice, etc.
[2] Voir l’excellente analyse de Jean Szlamowicz